Les avions d’affaires du futur
L’aviation d’affaires a un rôle socio-économique croissant et constitue un segment à part entière de l’aéronautique. L’objectif majeur de réduction de l’empreinte environnementale dans laquelle s’engage l’ensemble des acteurs du trafic aérien, les demandes de services de plus en plus élaborés et bien entendu la pression de la concurrence nécessitent des évolutions significatives des technologies et concepts préparant les futures générations d’aéronefs.
Illustration ci-dessus : Empreinte au sol comparée d’un Falcon « technologie an 2000 » et d’un concept d’avion d’affaires « ultra-vert ».
REPÈRES
Les avions d’affaires représentent aujourd’hui une flotte comparable en nombre à celles des avions commerciaux. On dénombre environ 27 000 avions d’affaires dont plus de 15 000 avions à réaction dans le monde. Le marché, autrefois fortement concentré sur le continent nord-américain, est dorénavant planétaire.
Longtemps perçus comme des attributs de luxe, les avions d’affaires s’imposent aujourd’hui comme des outils de travail adaptés au contexte de l’économie mondialisée en offrant avec un minimum de préavis la capacité d’accéder au plus près du lieu final de destination dans n’importe quel endroit du monde. Conçus comme de véritables bureaux volants, dotés de moyens de communication les plus sophistiqués, ils prolongent » en tout confort » l’environnement de travail et de détente de leurs passagers.
Il faut simultanément proposer une plateforme d’aéronef et des concepts d’emploi
Atteindre rapidement une altitude de vol élevée, au-dessus du trafic commercial, pouvoir décoller et atterrir sur des pistes courtes, satisfaire aux contraintes locales de bruit, garantir un haut niveau de fiabilité compatible avec des opérations en tout point de la planète et assurer une facilité de pilotage et de mise en oeuvre constituent les principaux atouts de ces avions.
Ils sont confrontés aux mêmes enjeux et défis que les avions de ligne, mais présentent quelques spécificités. Le premier des enjeux est environnemental : l’aviation d’affaires s’inscrit dans la démarche de réduction de l’empreinte environnementale portée par les ambitieux objectifs de l’Acare1. Cela demande un effort de recherche majeur. Il s’agit en effet pour leur mise en application effective à l’horizon 2020 de porter à une maturité suffisante des technologies permettant une forte réduction des nuisances : 50 % pour le nombre de riverains concernés par le bruit des avions au décollage et à l’atterrissage, 50 % pour les émissions de CO2, et même 80 % pour les émissions de Nox. Et cela par comparaison des niveaux obtenus par les technologies des années 2000, avec bien entendu la contrainte de maintenir et même élever le niveau de sécurité.
Des besoins et enjeux spécifiques
Bien qu’elle partage ces objectifs avec l’aviation commerciale, l’aviation d’affaires a cependant un certain nombre de spécificités. Du fait à la fois de ses modes opératoires propres (en particulier opérations à partir des aéroports de l’aviation générale, donc de pistes courtes souvent en milieu urbain et également croisière à très haute altitude) et des contraintes d’encombrement des avions de petite taille, les points de dimensionnement en conception et les conditions d’intégration pour atteindre ces objectifs sont pour une bonne part spécifiques. Néanmoins, il est indispensable d’établir avec l’aviation commerciale des programmes communs de développement technologique pour en partager les coûts (voir encadré en fin d’article).
Le premier domaine d’évolution concerne l’offre que le constructeur d’un avion d’affaires doit mettre à la disposition de ses clients : il faut simultanément proposer une plateforme d’aéronef et des concepts d’emploi de celle-ci dans son environnement, permettant d’offrir un service intégré. Des innovations importantes sont attendues en termes :
- de capacité de diagnostic embarqué, couplée à un système de soutien optimisé, pour une part à distance, afin de permettre une disponibilité maximale de l’avion pour des opérations à partir de terrains sans infrastructures,
– d’assistance dans la conduite de la plateforme, dans toutes les phases de la mission, apportant à la fois une sécurité accrue et une disponibilité plus grande du personnel navigant pour la gestion de la mission,
– de capacités de communication à la fois au profit des passagers (concept de bureau volant connecté) et au profit de l’équipage et de la conduite de la plateforme (concept d’Internet du ciel),
– des moyens et des procédures de navigation permettant des opérations à la fois flexibles et sûres : procédures d’approche ou de décollage donnant l’accès au plus grand nombre de terrains par tous les temps et en maîtrisant les nuisances aux riverains, capacité à réaliser une croisière à finesse maximale et donc d’altitude continûment croissante au fur et à mesure de l’allégement de l’avion, à moyen terme capacité de séparation avec le reste de la circulation en autonome, capacité de réalisation de trajectoires » 4D » (espace + temps) et plus globalement capacité d’intégration dans le futur ATM (Air Traffic Management) développé dans le cadre du programme Sesar2 en Europe et de NextGen3 aux États-Unis.
Maintenir la compétitivité de produits conçus et assemblés dans des pays à coûts salariaux élevés
En grande partie, les développements correspondants sont similaires à ceux qu’entreprendra l’aviation commerciale, les opérations devant s’intégrer dans un ciel unique qui comprendra également l’aviation générale. Cependant, les concepts d’emploi des avions d’affaires sont pour une part spécifiques, du fait des opérations attendues par leurs clients. On peut citer en particulier les opérations depuis les aéroports en proximité des centres urbains, qui nécessitent pour rester acceptables par les riverains un niveau d’optimisation très avancé (voir encadré).
Maintenir la compétitivité par la différenciation
Maquette de soufflerie d’avant-projet d’avions d’affaires supersoniques réalisée dans le cadre du projet européen Hisac du 6e programme cadre de recherche et développement
Autre série d’enjeux, les enjeux de compétitivité, renforcés dans un monde globalisé où des acteurs issus de pays émergents avec des coûts bien plus faibles apparaissent dans le monde des avions d’affaires d’entrée de gamme. À ce titre, l’introduction de différenciateurs en performance demandant une maîtrise fine du dimensionnement d’un avion tels qu’une capacité de vitesse de croisière augmentée, et éventuellement supérieure à la vitesse du son, de croisière à haute altitude permettant de se dégager des couloirs de l’aviation de transport et de capacité à atterrir et décoller depuis des pistes courtes et étroites, reste un gage de compétitivité.
Par ailleurs, la recherche d’amélioration des processus et de conceptions plus efficaces est un enjeu clé pour réduire les coûts de production et en conséquence maintenir la compétitivité de produits conçus et assemblés dans des pays à coûts salariaux élevés.
Technologies et concepts pour le futur
Les avions qui entreront en service en 2020 seront définis et dimensionnés quelques années auparavant (typiquement quatre à cinq ans). Cependant pour permettre le choix pertinent puis le développement efficace des technologies qu’intégreront ces avions, des avant-projets dits » conceptuels » sont créés afin de » mettre en situation » et fédérer les développements en explorant les concepts d’avion rendus possibles.
Des avant-projets dits « conceptuels » sont créés afin de « mettre en situation » et fédérer les développements
Deux avant-projets conceptuels d’avions d’affaires décrits ci-dessous illustrent cette démarche. Le premier préfigure un avion d’affaires à rayon d’action moyen » ultra-vert « . Il intègre l’ensemble des technologies prometteuses visant à réduire émissions et bruit. Parmi les technologies intégrées dans ce concept et permettant des gains environnementaux importants, on peut citer :
- une voilure laminaire en composite, intégrant des technologies d’actionneur fluidique,
– une configuration d’arrière-corps permettant de réfléchir les sources de bruit moteur vers le haut, – un train d’atterrissage caréné et des hypersustentateurs faible bruit,
– des systèmes de gestion de l’énergie et d’actionnement tout électriques,
– un guidage évolué permettant l’optimisation environnementale des trajectoires.
Concept d’avion d’affaires « ultra-vert ».
Le second préfigure un avion d’affaires à long rayon d’action, ultra-performant à tous points de vue, y compris sur le plan environnemental, et en particulier très rapide. Il intègre l’ensemble des technologies permettant une croisière rapide la plus efficace possible. Parmi les technologies intégrées dans ce concept et permettant des gains de performance importants, on peut citer :
- un système d’hypersustentation très performant, permettant de maîtriser le dimensionnement voilure sans pénalité sur l’efficacité en croisière,
– un contrôle adaptatif des charges et des déformations de la voilure,
– un système permettant l’annulation des bruits et vibrations en cabine,
– un système de commandes de vol permettant l’utilisation de configurations aérodynamiques plus efficaces (triplan en particulier),
– un système de communication modulaire et de très haute capacité intégrable sur les avions d’affaires,
– un système de diagnostic embarqué permettant une disponibilité totale.
En parallèle de ces développements technologiques, les évolutions décrites précédemment nécessiteront le développement de nouvelles architectures du système embarqué ainsi que des évolutions de cockpit adapté aux futurs types d’opérations. Là aussi, les solutions qui seront retenues devront être compatibles avec l’emploi et les opérations des avions d’affaires afin de valoriser souplesse d’utilisation et haute fiabilité.
Concept d’avion à haut niveau de service
Dassault Aviation délivre près de 40 % du marché mondial sur le segment haut de gamme des avions à large cabine et long rayon d’action avec la famille des Falcon dans un contexte de concurrence essentiellement nord-américaine.
La société poursuit une démarche de coordination des développements technologiques avec ceux de l’aviation commerciale pour partager une part des coûts associés à leur validation avant application, en participant notamment au programme européen de démonstration technologique Clean Sky qui représente une activité de recherche sans précédent pour un montant de 1 600 Me (dont 800 Me de financement des industriels). Ce projet dont la durée initiale a été fixée à sept ans regroupe les principaux donneurs d’ordre parmi lesquels les avionneurs, les motoristes, les équipementiers, des PME innovantes et des instituts de recherche.
Elle a engagé depuis plusieurs années la révolution numérique de ses processus de conception et de fabrication ; la mise en place, dans le cadre du programme de développement du Falcon 7X, d’un bureau d’études en plateau collaboratif physique puis virtuel avec de multiples partenaires a été une première mondiale.
1. Acare : Advisory Council for Aeronautical Research in Europe.
2. Sesar : développement du futur Single European Space.
3. NextGen : développement du futur ATM aux États-Unis.