LES BALCONS D’AIX
Notre camarade Erik Egnell (57) est un passionné de la littérature et de l’écriture. Déjà, lors de son passage à l’X, il n’avait laissé à aucun cocon le soin de rédiger la revue Barbe de sa promotion, et sous ce titre alléchant, Un Caprice de Sophie ou À chacun son futur, avait placé les habituels personnages de ce genre de théâtre d’ombres, professeurs ou colonels, dans des situations inédites. Est-ce aussi pour pouvoir écrire qu’il choisit de faire l’essentiel de sa carrière dans des ambassades, expédiant du monde entier des rapports économiques, et profitant de ces séjours pour approfondir sa connaissance des lettres locales ?
Rentré en France, Erik accepte sans difficulté d’apporter son appui à la Sabix, et plus que jamais décidé à célébrer la chose écrite, mène de front une carrière d’écrivain, dont La Jaune et la Rouge a parfois rendu compte, et une carrière d’éditeur. Installées dans son cher Périgord, les Éditions Cyrano se constituent peu à peu un catalogue d’ouvrages aux couvertures soignées, essentiellement consacrés à l’histoire, mais ouvert à tous les genres littéraires. Une de ses collections s’intitule Fictions de X. Elle a pour vocation de publier des textes écrits par des polytechniciens. C’est ainsi que nous sont récemment parvenus Les Balcons d’Aix, un roman original écrit par Francis Soulié de Morant.
Dans Les Balcons d’Aix, l’histoire se passe évidemment à Aix, et l’unité de lieu y est totale, même si on ressent chez l’auteur comme chez certains des personnages le poids des djebels algériens, lieux de vie ou de batailles si difficiles à oublier. L’auteur y a été sous-lieutenant, il le signale dès la quatrième de couverture ; il a aussi été élève en taupe et s’en souvient dans un dialogue entre deux de ses personnages qui ont aussi souffert en prépa. Se doutant que ses lecteurs sont très souvent friands d’énigmes bien racontées pour en accompagner la résolution, il nous propose dès sa première page un message crypté déniché au fond d’un petit meuble de famille. Cela débute donc comme beaucoup de voyages extraordinaires de Jules Verne, mais le périple que nous aurons à effectuer se limite à quelques hectares d’Aix, peints avec l’amour d’un connaisseur et parfois la gourmandise d’un auteur qui veut nous faire partager son plaisir de l’écoute des fontaines ou de la contemplation de la silhouette de la Sainte-Victoire flamboyant comme une déesse rousse.
Alors, que se passe-t-il sous ou sur les balcons d’Aix ? Ne croyez pas que je vous le dirai ! Voici pourtant un indice. Les personnages que nous croisons, professeur sorti de Normale sup, épouse heureuse, épicier d’origine nord-africaine, vendeuse, ancien légionnaire, policiers, indics et tous les autres nous sont présentés lors d’un récit strictement chronologique qui les voit se préoccuper de plus en plus de ce message car, et c’est l’une des originalités du livre, nous n’avons pas le plaisir de nous pencher tout de suite sur son déchiffrage, ce qui est frustrant ! Nous passons notre temps à essayer de suivre son périple qui le mène de main en main, ce qui nous permet de peu à peu connaître et en quelque sorte déchiffrer d’abord les personnages et leurs fragilités, donc leur vérité. Comme souvent les êtres les plus intéressants ne sont pas les plus sûrs d’eux-mêmes. Aussi dois-je peut-être marquer ici mes réserves devant la figure de l’islamiste, que je trouve stéréotypée, même si on retrouve parfois ce genre de caractères dans les rubriques de faits divers ; mais les autres personnages du roman méritent de nous être présentés.
Un roman policier ? Pas vraiment. Nous suivons le message, nous vivons des péripéties parfois logiques ou prévisibles, parfois surprenantes mais néanmoins vraisemblables, nous aidons nos héros à faire connaissance les uns avec les autres avant de remettre la main sur le document égaré. Au travail, Jules Verne ou Sherlock Holmes ! Le décryptage nous donnera-t-il la clé de l’énigme ? Oui, si on veut ; mais surtout l’occasion d’ouvrir d’autres tiroirs à secrets que, je vous le répète encore une fois, je ne trahirai pas.