Les banques coopératives, un modèle pour l’avenir
La plupart des établissements coopératifs financiers français sont issus de deux initiatives privées et parallèles. D’une part, celle conduite par Wilhelm Raiffeisen, inspirée par le protestantisme et à vocation rurale et, d’autre part, celle menée par Schulze-Delitzsch qui se caractérise par des fondements laïcs et tournée vers les zones périurbaines.
Ces deux initiatives reposaient sur les principes de solidarité, d’entraide et de contrôle démocratique des caisses mutuelles d’épargne et de prêt qui venaient de se constituer.
REPÈRES
Les banques coopératives sont nées au XIXe siècle dans une Europe en proie à la première révolution industrielle, marquée par une économie libérale.
La rentabilité et l’espérance de profit attiraient bon nombre d’épargnants qui se désintéressaient des autres secteurs de l’économie plus risqués et moins rentables, comme, par exemple, l’agriculture.
Cette dichotomie entre le monde industriel et le monde rural, en l’absence de toute économie des services, se traduisait au niveau du secteur bancaire. Des initiatives privées virent le jour et se structurèrent au fil de l’expérience acquise. Elles résultaient d’une démarche à la fois philosophique, car inspirée de principes religieux ou syndicalistes, et pragmatique dans la recherche de l’efficacité et de la simplicité. Ces principes fondés sur la solidarité et l’entraide ont permis la construction progressive de banques coopératives rentables, sûres et performantes.
Les trois « a »
Le but est identique de part et d’autre des frontières politiques : lutter contre l’usure, favoriser l’accès des « petites gens » au crédit et aux services bancaires et contribuer ainsi au développement de leurs activités économiques. Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, de petites sociétés de crédit mutuel se constituent et progressivement s’institutionnalisent.
C’est la responsabilité solidaire des membres qui prévaut
La philosophie de ce mouvement se décline sur la base des trois « a » :
- auto-assistance : chaque sociétaire ou membre s’aide lui-même à passer de la dépendance à l’indépendance ;
- auto-administration : aucune aide extérieure sous forme de subventions ou d’aides de l’État ne doit interférer dans la gestion de la caisse ;
- auto-responsabilité : aucun sociétaire n’est responsable individuellement, mais au contraire c’est la responsabilité solidaire des membres qui prévaut.
Un cadre légal
Face à leur succès, l’État les reconnaît et leur confère un cadre légal qui définit leurs champs d’activité et réglemente leur fonctionnement tout en limitant leur extension : spécialisation des activités, composition du sociétariat, encadrement d’une partie de leur financement et de leurs emplois, etc.
Progressivement, les pouvoirs publics poussent les banques coopératives régionales à créer des organes centraux nationaux.
Les banques coopératives en France
Les trois groupes coopératifs, Crédit Agricole, BPCE et Crédit Mutuel, totalisent plus de 67 milliards d’euros de chiffre d’affaires (PNB, produit net bancaire) cumulé, 160 milliards de fonds propres. Premiers réseaux bancaires, ils représentent plus de 60 % de la banque de détail, près de 75% des agences bancaires sur le territoire français (hors réseau de La Banque Postale).
Ils regroupent plus de 22 millions de sociétaires et emploient plus de 346 000 salariés (deux tiers des salariés du secteur bancaire) au service de la population française qui, à près de 90 %, y détient un compte ou un livret.
Ce sont les premiers financeurs de crédit : plus de 60 % de parts de marché (total des crédits) et les premiers financeurs des PME et du développement local, avec 74% de parts de marché.
Une période de mutation
Entre 1945 et 1980, on observe une consolidation d’abord régionale, puis nationale des banques coopératives. Dès le milieu des années soixante, une série de réformes engage la déspécialisation des établissements coopératifs ainsi qu’un désengagement de l’État des circuits de financement, poussant progressivement les banques de détail à aller chercher de l’argent sur les marchés.
La reconfiguration du paysage bancaire français a souvent été le fait des banques coopératives
Depuis 1980, les banques coopératives sont entrées dans une période de mutation liée aux évolutions de l’environnement national et international. La réforme du système financier français – lois de 1984 et 1996 – a stimulé la concurrence, y compris en dénationalisant plusieurs établissements.
Les banques coopératives ont, au cours de ces trente dernières années, fait preuve de dynamisme, notamment face aux banques commerciales classiques : elles ont gagné des parts de marché, ont été à la pointe de l’innovation et ont pris une part importante dans la récente restructuration du paysage bancaire européen tout en préservant leurs emplois et leurs réseaux de proximité.
Concentration européenne
Le Crédit Mutuel
Association de caisses locales dès son origine, regroupées en fédérations structurées autour de son organe central à partir de 1958, le Crédit Mutuel entre dans la communauté bancaire française en 1984 sous la tutelle des autorités prudentielles communes à tout établissement de crédit. Depuis lors, il poursuit son développement, de banque certes, mais aussi de banque coopérative.
L’histoire du groupe depuis sa création est jalonnée par des innovations générées par sa capacité d’adaptation. Initiateur et promoteur de la bancassurance dans les années 1970 pour apporter à la classe moyenne la panoplie complète de services lui permettant de se constituer un patrimoine qu’il protège. Promoteur des services bancaires en ligne, du mobile-banking, pour accompagner le sociétaire-client dans ses déplacements.
En Europe, les banques coopératives ont amorcé un mouvement de concentration en prenant conscience que l’élargissement du marché domestique à plus de 500 millions de consommateurs avec la mise en place de la monnaie unique allait conduire à des phénomènes de dilution des parts de marché et que des alliances pour atteindre la taille critique sur ce nouveau marché étaient nécessaires.
En France, la reconfiguration du paysage bancaire national a souvent été le fait des banques coopératives. Le Crédit Agricole reprend Indosuez en 1996, puis le Crédit Lyonnais ; Les Banques Populaires reprennent Natexis en 1997, puis créent en 2009 avec les Caisses d’épargne le groupe BPCE ; Crédit Mutuel rachète le CIC en 1998, puis Cofidis.
Les banques coopératives ont évolué. Elles ont fait la preuve de leur qualité et de leur capacité à s’adapter pour rester fidèles à leur mission : être au service des sociétaires. Nos aînés auraient du mal à reconnaître les petites CMDP qu’ils ont créées dans des centaines de petites communes rurales alors que l’accès au crédit, donc à la modernisation et au progrès, était inaccessible pour les populations rurales peu monétarisées et sans patrimoine.
Confiance, proximité, dialogue, durée
Être banque, c’est maîtriser les éléments qui fondent ce métier : l’intermédiation financière, la gestion des risques, la compétence technologique. Cela induit technicité, fonds propres, efficience, c’est-à-dire des économies d’échelle, le partage des moyens, l’adaptabilité des structures, la performance.
Être banque coopérative, c’est accompagner ses membres et les inciter à s’engager en fournissant des services de qualité à juste prix, c’est assurer la pérennité de l’entreprise en anticipant les besoins changeants des sociétaires et clients ; c’est maintenir en permanence une différence, une originalité qui fait contrepoids à la tendance à la banalisation ; ce qui implique confiance, proximité, dialogue, durée.
La règle du double regard
La gouvernance des banques mutualistes s’organise de longue date autour d’un équilibre entre, d’une part, le conseil d’administration et son président (représentant les sociétaires qui l’élisent selon le principe « une personne, une voix ») et, d’autre part, le directeur général exécutif.
Bien notées
Les agences de notation, après avoir été longtemps très réservées sur le modèle coopératif et sa gouvernance, commencent à reconnaître sa validité et sa pertinence. Elles considèrent même que cela constitue un réel atout constitutif de leur réussite économique.
L’agence Fitch constate que les groupes bancaires coopératifs français tels que Crédit Agricole, groupe BPCE et CM-CIC mènent une stratégie peu risquée et axée sur les volumes, qui, bien que s’exposant à des marges faibles, permet un renforcement des bilans.
Les banques coopératives continuent à consolider ainsi leurs sources de financement en attirant davantage de dépôts de la clientèle.
Cette règle mutualiste du « double regard » a conduit, bien avant la loi bancaire nationale française imposant à l’ensemble des banques deux dirigeants responsables (règle dite des « quatre yeux ») et la loi relative aux nouvelles régulations économiques, à dissocier les fonctions dans les banques coopératives.
La définition des orientations stratégiques et le contrôle de leur mise en œuvre incombent au conseil d’administration et à son président, les responsabilités exécutives sont exercées par la direction générale.
Quant à l’équilibre entre élus et salariés, il est recherché par la mise en commun des points de vue. La prise de risque est souvent plus maîtrisée que celle des autres formes de banques et, de ce fait, exerce un effet bénéfique sur la stabilité des systèmes bancaires.
De nouvelles stratégies
L’élargissement du champ de la concurrence directe et indirecte, les évolutions technologiques, l’érosion des marges qui déplace les seuils de performance et renforce l’impact des effets de taille, de masse critique, les changements réglementaires influencent leurs stratégies.
La territorialité des organisations a de moins en moins de frontières
L’environnement se banalise. Le prix de la matière première traitée par les banques – l’argent – est dorénavant mondial, il se fixe sur le marché des capitaux. La territorialité des organisations a de moins en moins de frontières : les échanges électroniques permettent de suivre le sociétaire partout, de faire de chaque client un membre potentiel, mais aussi de chaque membre un (banal) client.
Les moyens à mettre en œuvre pour satisfaire un consommateur de plus en plus exigeant impliquent une concentration capitalistique de moyens techniques qui n’est parfois plus à la portée des coopératives locales de base.
Investir avec raison
Vers la flexibilité
Dans le contexte d’une économie globalisée, le cadre réglementaire européen et international a tendance à favoriser un seul et unique modèle d’entreprise, qui est le modèle de la société anonyme.
À cette fin, le régulateur européen recourt de plus en plus à la normalisation tous azimuts en imposant un corpus législatif uniforme à toute l’industrie sans aucun discernement, étant entendu que les banques coopératives sont des banques privées. En réponse, les banques coopératives appellent à davantage de flexibilité et de proportionnalité dans l’élaboration et la mise en œuvre des directives européennes.
Les conditions d’exploitation banalisent sensiblement la gestion des entreprises bancaires quel que soit leur statut juridique. Cependant, une réelle différence continue de s’exprimer au niveau de la finalité du service rendu.
S’appuyant parfois sur les mêmes méthodes et outils de gestion que la concurrence, c’est par responsabilité économique et industrielle et sans renier les convictions mutualistes que plusieurs réseaux coopératifs ont pris de grandes décisions.
C’est dans ce contexte d’adaptation, de réponse aux défis, que se sont inscrites plusieurs reprises d’établissements cotés par les coopératives, utilisant non pas des outils spécifiquement capitalistes comme des échanges de titres, mais en investissant, fruit d’une gestion raisonnée, leurs réserves collectivement constituées.
Toutefois, si la plupart des banques coopératives résistent bien à la banalisation extrême, plusieurs dangers subsistent : les stratégies de croissance qui privilégient l’unique succès économique et le développement par fusion, acquisition ; l’attrition du cœur coopératif des grands réseaux qui assisteraient à un délitement de leur sociétariat.
C’est pourquoi les banques coopératives françaises considèrent le sociétariat comme une priorité et souhaitent faire de leurs clients autant de sociétaires. Elles entendent également promouvoir la participation de ces sociétaires à la gouvernance des coopératives et en premier lieu à l’occasion des assemblées générales.
La responsabilité sociale de l’entreprise est une pratique ancienne des banques coopératives
Plus que la taille, ce qui compte, c’est le pouvoir de s’imposer comme un acteur majeur sur son marché, géographiquement, par métier, le pouvoir de maîtriser les coûts, soit par les outils internes et le volume, soit par la soustraitance, ou les accords de partenariat dans le respect de l’intérêt du sociétaire.
Il doit y avoir une interaction positive entre la performance, condition de survie et de développement, et le mutualisme à partir de l’engagement personnel des hommes et des femmes qui font les banques coopératives et l’application de codes d’éthique et de déontologie publics.
Faut-il enfin rappeler que la responsabilité sociale de l’entreprise, thème d’actualité depuis quelques années, est une pratique ancienne des banques coopératives se traduisant par de multiples initiatives concrètes ?
Et que leur indépendance par rapport à la Bourse leur évite la spéculation et le « court-termisme » ?
Un facteur de stabilité
Force est de constater que ce modèle original est un facteur de stabilité et de compétitivité du système bancaire européen et contribue efficacement à la réalisation des objectifs économiques et sociaux de l’Union européenne. Plus profondément, il répond aux aspirations fondamentales actuelles : responsabilités locales, lutte contre les exclusions, respect des personnes, démocratie vivante, éthique des affaires, développement durable.
De ce fait, fidèles à leurs racines et innovantes au service de leurs clientèles, les banques coopératives constituent un modèle d’avenir.
Les assemblées générales constituent une occasion de rencontre entre les banques coopératives et leurs sociétaires. © CRÉDIT MUTUEL