Les barrages deviennent soucieux de l’environnement

Dossier : De l’eau pour tousMagazine N°683 Mars 2013
Par Daniel LOUDIÈRE (63)

L’homme s’est ins­tal­lé au bord des rivières, mal­gré les risques impor­tants que cela impli­quait, pour dis­po­ser d’eau pour lui et ses ani­maux, pour dis­po­ser de res­sources ali­men­taires com­plé­men­taires et d’un moyen de trans­port « natu­rel ». Pour maî­tri­ser cette res­source, il a construit des réser­voirs afin de per­mettre la navi­ga­tion et de conser­ver une réserve d’eau en période d’assec des rivières.

La pro­duc­tion inten­sive d’énergie, la satis­fac­tion des besoins en eau potable et le recours à l’irrigation consti­tuent les rai­sons majeures de la construc­tion des grands bar­rages au XXe siècle.

REPÈRES
Le clas­se­ment des bar­rages en France s’effectue de la manière sui­vante : 305 bar­rages de classe A, bar­rages de hau­teur au-des­sus du ter­rain natu­rel supé­rieure à 20 m ; 264 bar­rages de classe B, de hau­teur supé­rieure à 10 m, et envi­ron 1 200 « petits bar­rages » de classe C, de hau­teur supé­rieure à 5 m. Les ouvrages de classe A sont réa­li­sés soit en béton (ou en maçon­ne­rie), soit en rem­blai. Les ouvrages moins impor­tants sont le plus sou­vent des rem­blais en terre compactée.

Des exigences sécuritaires et environnementales

Les très grands barrages
Les « très grands bar­rages » stockent plus de 15 km3. Citons par exemple le bar­rage de Tignes, superbe voûte de 180 m de hau­teur au cœur des Alpes ; celui de Serre-Pon­çon avec 1,2 km3 (un mil­liard de mètres cubes sto­ckés) ; ou encore Petit-Saut, en Guyane, qui stocke 4,8 km3. Ces bar­rages font l’objet de pro­cé­dures par­ti­cu­lières en matière de sécu­ri­té, avec l’établissement de plans par­ti­cu­liers d’intervention.

La lutte contre les inon­da­tions et le sou­tien des débits d’étiage sont res­tés plus mar­gi­naux, même si, actuel­le­ment, ils sont lar­ge­ment évo­qués dans les pro­jets récents dans le monde. En France le parc des bar­rages est rela­ti­ve­ment sta­bi­li­sé. Leur sécu­ri­té et sur­tout leurs impacts envi­ron­ne­men­taux res­tent une pré­oc­cu­pa­tion qui dépasse lar­ge­ment le niveau des exploitants.

À côté des pré­oc­cu­pa­tions légi­times de sécu­ri­té des ouvrages qui ont été revi­si­tées assez com­plè­te­ment en termes de légis­la­tion et de régle­men­ta­tion depuis 2006, de nom­breuses par­ties pre­nantes se sont inves­ties sur le cré­neau de l’impact de ces ouvrages sur l’environnement, du fait notam­ment de la direc­tive-cadre euro­péenne sur l’eau (DCE) de 2000, qui a, entre autres, pour objec­tif que toute masse d’eau (réser­voir, ou rivière à l’aval) pré­sente dès 2015 un « bon état écologique ».

Les impacts sédimentaires

En France, le parc des bar­rages est rela­ti­ve­ment stabilisé

Une rivière est le vec­teur majeur de trans­port à longue dis­tance des maté­riaux et sols éro­dés, en sus­pen­sion pour les par­ti­cules les plus fines, argile silt et sable fin, en char­riage pour les maté­riaux plus gros­siers, cailloux et blocs, enfin en sal­ta­tion pour les sables moyens ou gros­siers et les gra­villons. Cette par­ti­tion est modi­fiée selon la pente, la vitesse de l’eau et la tur­bu­lence de l’écoulement.

La construc­tion d’un bar­rage peut alors consti­tuer une per­tur­ba­tion majeure dans un sys­tème émi­nem­ment dyna­mique, avec les effets pos­sibles sui­vants : enva­se­ment ou ensa­ble­ment de la rete­nue qui perd sa capa­ci­té nette de sto­ckage ; sur­creu­se­ment du lit dans les zones « che­na­li­sées », car la vitesse de l’eau est accrue ; dépo­si­tion de sédi­ments et accrois­se­ment des risques liés aux crues du fait du rehaus­se­ment du lit.

Gestion sédimentaire et morphologique

Pour arri­ver à une ges­tion sédi­men­taire durable d’un amé­na­ge­ment ou d’une série d’aménagements, il convient de dis­po­ser d’un his­to­rique de la rivière ; de réa­li­ser des amé­na­ge­ments per­met­tant d’agir ou de réagir en regard du trans­port solide ; de mettre en oeuvre des modèles inté­grant la connais­sance du fonc­tion­ne­ment sédi­men­taire de la rivière et des rete­nues d’eau ; de simu­ler les dif­fé­rentes familles d’écoulement, crues plus ou moins récur­rentes, étiages plus ou moins pro­non­cés, débits de plein bord ; d’évaluer les impacts géo­mor­pho­lo­giques et biologiques.

La reconquête hydromorphologique

le Rhin, suite aux mul­tiples équi­pe­ments construits sur le Grand Canal d’Alsace, au niveau du Haut-Rhin, le Vieux Rhin ne reçoit hors périodes de crue qu’un débit rési­duel limi­té autour de 20 à 30 m3/s. L’ancien fleuve a lais­sé la place à un Vieux Rhin à che­nal unique.

Simu­ler le fonctionnement
Un pro­gramme de sui­vi et d’étude de la mor­pho­lo­gie et du trans­port sédi­men­taire a été mis en oeuvre sur l’Arc et l’Isère. Ces deux bas­sins sont équi­pés pour la pro­duc­tion d’électricité avec des bar­rages, des prises d’eau, des gale­ries, des bas­sins et des usines hydro­élec­triques. Ce pro­gramme com­prend des rele­vés topo­gra­phiques fins par moyens aéro­por­tés pour dis­po­ser de cartes topo­gra­phiques, éta­lés dans le temps des deux rivières ; le sui­vi de bancs de gra­viers typiques sur les deux rivières, en cas de crues en par­ti­cu­lier ; le sui­vi de dépôts de sédi­ments fins dont la « végé­ta­li­sa­tion » peut se tra­duire par une ins­tal­la­tion pérenne. Sur ce même amé­na­ge­ment, des études appro­fon­dies ont été conduites pour simu­ler le fonc­tion­ne­ment hydro­sé­di­men­taire des bas­sins usiniers.

Le lit majeur est enva­hi par des dépôts et une végé­ta­tion arbus­tive se déve­loppe avec deux effets majeurs : la capa­ci­té d’évacuation des crues s’est dété­rio­rée ; l’habitat pis­ci­cole est réduit et les pos­si­bi­li­tés de frai des espèces litho­philes sont rares.

En 1982, une conven­tion fran­co-alle­mande est signée pour amé­na­ger des zones de réten­tion des crues dans des bas­sins situés dans le lit majeur et occu­pés par la forêt allu­viale. Ulté­rieu­re­ment, deux pro­jets vont, au-delà de la seule ges­tion des crues et de la pré­ven­tion de ce risque, s’atteler à la rena­tu­ra­tion du Rhin, l’amélioration de la qua­li­té des eaux et à la res­tau­ra­tion d’un éco­sys­tème rhé­nan conforme à la DCE en termes de bon état écologique.

On a rame­né des sédi­ments dans le Vieux Rhin, aug­men­té le débit de base et fait varier son débit avec les fluc­tua­tions sai­son­nières, créé des bras secon­daires et conte­nu la végé­ta­tion. Cette redy­na­mi­sa­tion volon­ta­riste devrait favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment des habi­tats aqua­tiques et retrou­ver un fonc­tion­ne­ment éco­lo­gique favo­rable à la bio­di­ver­si­té, y com­pris sur l’ensemble du lit majeur.

Ce pro­jet béné­fi­cie d’un fort sou­tien scien­ti­fique mul­ti­dis­ci­pli­naire et bina­tio­nal tout à fait remar­quable. Sur d’autres fleuves (le Rhône ou la Garonne) ou rivières (la Durance, le Ver­don), des études mor­pho­sé­di­men­taires débouchent sur d’autres conclusions.

Les éclusées

Mettre en oeuvre des modèles inté­grant le fonc­tion­ne­ment sédi­men­taire de la rivière

Les « éclu­sées » hydro­élec­triques per­mettent aux pro­duc­teurs d’énergie d’adapter leur pro­duc­tion à la demande et de faire face pen­dant quelques heures à des pointes de demande, sachant que les cen­trales ther­miques à gaz et les ins­tal­la­tions hydro­élec­triques sont les ins­tal­la­tions les plus adap­tées pour ajus­ter offre et demande d’énergie sur le réseau électrique.

Les sta­tions de pom­page-tur­bi­nage sont, sur la même pro­blé­ma­tique, une autre forme de réponse à ce besoin que l’émergence des éner­gies renou­ve­lables non maî­tri­sées va accentuer.

Plus de 150 amé­na­ge­ments hydro­élec­triques sont exploi­tés par éclu­sées. À l’aval, ces éclu­sées se tra­duisent par des varia­tions rapides du débit. Elles per­turbent le cycle de repro­duc­tion de nom­breuses espèces pis­ci­coles. Les études montrent un lien étroit entre hydrau­li­ci­té, mor­pho­lo­gie du lit et poten­tia­li­tés pis­ci­coles de la rivière.

Faute de modèles cou­plés, ce sont les obser­va­tions de ter­rain qui semblent indis­pen­sables pour amé­lio­rer des situa­tions dégradées.

Le cas du saumon
Le sau­mon est l’espèce emblé­ma­tique la plus concer­née sur les rivières de la façade Atlan­tique. L’Office natio­nal d’étude des milieux aqua­tiques s’est inté­res­sé à l’impact éco­lo­gique des « éclu­sées » sur la Maronne, un affluent rive droite de la Dor­dogne. Les études ont por­té sur l’hydromorphologie de la rivière en rela­tion avec la vie des pois­sons : consti­tu­tion du lit et des rives, zones de frai, mouilles, décon­nexion de bras secon­daires, piégeage.
Ensuite, ce sont les impacts bio­lo­giques qui ont été obser­vés ; des pêches élec­triques ont per­mis des comp­tages. Les pre­mières mesures ont consis­té à aug­men­ter le débit de base pen­dant la période de repro­duc­tion pour faci­li­ter la cir­cu­la­tion des repro­duc­teurs et favo­ri­ser l’émergence des ale­vins ; recons­ti­tuer par apport de gra­viers des frayères col­ma­tées par des sédi­ments ; recon­nec­ter des bras morts à faible débit.

Les passes à poissons

La trans­pa­rence bio­lo­gique des bar­rages en rivière fait aus­si par­tie de la pano­plie des outils du concep­teur d’ouvrages hydrau­liques res­pec­tueux de l’environnement.

Un savoir-faire national
Une équipe de recherche tech­no­lo­gique, basée à Tou­louse au sein de l’Institut de méca­nique des fluides, consti­tue le noyau dur du savoir-faire natio­nal dans le domaine de la trans­pa­rence biologique.
L’efficacité de ces dis­po­si­tifs n’est pas tou­jours assu­rée mal­gré des coûts impor­tants, tant en termes d’investissement pour la réa­li­sa­tion que pour l’exploitation.

Pour per­mettre aux pois­sons de fran­chir un bar­rage, on peut réa­li­ser des « passes à pois­sons », ou échelles à pois­sons. Les bas­sins récep­teurs en cas­cade sont sépa­rés par des murets dotés d’orifices ou, plus sou­vent, de déver­soirs super­fi­ciels en V ou rec­tan­gu­laires uniques ou mul­tiples. On réa­lise aus­si des seuils à faible pente plus adap­tés aux chutes réduites et s’insérant plus faci­le­ment dans le paysage.

Ou encore des « ascen­seurs à pois­sons » plus éco­nomes en termes de débit, plus adap­tés aux grandes hau­teurs de chute et à des sites contraints par le relief.

Les turbines ichtyophiles

Les construc­teurs de tur­bines ont consen­ti de gros efforts pour que ces équi­pe­ments soient moins agres­sifs pour les pois­sons qui les tra­ver­se­raient. Alstom a, par exemple, déve­lop­pé un modèle de tur­bine à faible chute ich­tyo­com­pa­tible, dite aus­si fish-friendly.

Les ascen­seurs à pois­sons sont adap­tés aux grandes hau­teurs de chute

Le sau­mon à la « mon­tai­son » et l’anguille à la « déva­lai­son » sont notam­ment visés par ce type d’équipements. Même à faible chute, donc faible vitesse, l’agression est méca­nique (contact avec les pales, frot­te­ment aux parois, chocs sur des angles) ou hydrau­lique (tur­bu­lence, chute de pres­sion, gra­dient de pres­sion). Les concep­teurs ont revu les dif­fé­rentes com­po­santes de ces tur­bines (avant-dis­tri­bu­teur, direc­trices et roue) pour atté­nuer les effets agressifs.

Tes­tée au labo­ra­toire du corps des ingé­nieurs à Vicks­burg, la tur­bine Kaplan type MGR semble effec­ti­ve­ment pré­sen­ter une amé­lio­ra­tion limi­tant la dan­ge­ro­si­té pour les pois­sons qui la traversent.

L’acceptabilité sociale

À l’international, l’émergence de pro­jets gigan­tesques a exa­cer­bé cette ques­tion d’insertion envi­ron­ne­men­tale des bar­rages ain­si que le grave pro­blème de leur accep­ta­bi­li­té sociale.

D’autres inter­ac­tions
Beau­coup d’autres inter­fé­rences ou inter­ac­tions entre bar­rages et envi­ron­ne­ment auraient pu être citées, telles que les impacts ther­miques, le sto­ckage des pol­luants dans les sédi­ments, l’évolution chi­mique ou phy­sique de l’eau, le déve­lop­pe­ment d’algues.

La Banque mon­diale a sus­ci­té la consti­tu­tion d’une « World Com­mis­sion on Dams » (WCD), dont le rap­port final a mis en avant des réa­li­sa­tions inac­cep­tables et des exi­gences fortes sur ces plans.

Le grand bar­rage de Nam Theun 2 au Laos a été réa­li­sé avec la par­ti­ci­pa­tion essen­tielle d’EDF ; il a été tenu le plus grand compte pour la réa­li­sa­tion de cet ouvrage des recom­man­da­tions essen­tielles de la WCD.

D’autres bar­rages construits récem­ment tels que celui des Trois-Gorges en Chine, ou en cours de construc­tion comme celui de Xaya­bu­ri au Laos n’ont pas béné­fi­cié d’une prise en compte com­plète des exi­gences envi­ron­ne­men­tales et sociales.

Même si l’influence sur les coûts est sen­sible, tout bar­rage moderne devrait s’inscrire dans une logique de crois­sance verte, avec ce que cela implique de res­pect de l’environnement et d’insertion locale.

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