Les beaux jeudis matin du département HSS
D’aucuns considéreront qu’en l’absence d’équations ou de résultats quantitatifs, ces quatre heures ne valent pas plus qu’un morceau de pipeau, d’autres au contraire y trouveront la légitimité de la place spéciale consacrée aux humanités.
REPÈRES
Sans aucun doute, l’enseignement à l’École polytechnique ne serait pas le même sans ces quatre heures particulières du jeudi matin proposées aux élèves polytechniciens afin de parfaire leur culture (littéraire, historique, artistique, philosophique), forcer leur talent créatif ou développer leur connaissance du monde de l’entreprise et de l’innovation.
« Et de lettres, vous n’avez que les trois » – H, S, S – pour nommer cette étonnante association d’humanités et sciences sociales, pour regrouper ces disciplines si différentes en un pot-pourri de matières dépourvues de mathématiques.
Un éveil au sens propre
L’éveil aux HSS est d’abord un éveil au sens propre, dès huit heures le jeudi matin, soit trente minutes plus tôt que les cours scientifiques.
“ Un moment libérateur et un gage d’ouverture d’esprit ”
Le « couloir des nouveaux amphis » voit se disperser les élèves dans une torpeur hâtive, qui vers le séminaire d’anthropologie, qui en sociologie, dessin ou droit des entreprises.
Dans le vaste catalogue du département, les cours et séminaires sont répartis en trois catégories : « Droit, économie et sciences politiques », « Sciences humaines » et « Art ». Aucune règle ne s’applique dans le choix des cours, et les élèves peuvent aussi bien se spécialiser dans un domaine que « papillonner » de catégorie en catégorie.
Interactivité
DU BAROQUE AU ROCK
Qu’on ne se laisse pas tromper par le grand nombre de cours proposés : en humanités, la quantité n’exclut pas la qualité des intervenants. Avide de découvertes, Damien Specq (par ailleurs président de la revue X‑Passion) avait choisi le séminaire d’histoire de la musique « Du baroque au rock » et « Introduction à la psychanalyse » : « Les intervenants étaient dans les deux cas de grands spécialistes de leur domaine et le contenu de grande qualité.
Le plus marquant m’a semblé que des élèves comme nous, qui ne nous destinons pas a priori à des études poussées sur ces sujets, puissent y avoir accès dans le cadre de leur cursus et que des intervenants fassent le choix de venir enseigner leur spécialité à des élèves de l’École polytechnique. C’est tout simplement dans ces moments que l’on réalise la chance d’y être. »
Malgré l’expertise des intervenants, la technique pédagogique est très ouverte et chaque professeur laisse généralement place à la discussion pendant sa séance. La répartition en petits groupes d’une vingtaine d’élèves favorise l’interactivité, les séminaires étant rythmés par les témoignages d’intervenants, les exposés d’élèves ou encore le développement de projets personnels sur lesquels porte l’évaluation finale.
Celle-ci sanctionne ainsi bien plus l’intérêt pour une matière souvent récemment découverte que le bachotage systématique.
Développer sa réflexion
Les deux premières heures de séminaire sont suivies de quatre-vingt-dix minutes de cours en plus grand comité (cinq cours au choix, contre vingt séminaires environ) portant sur un thème indépendant.
Enseigné de façon plus traditionnelle, il complète le cours magistral d’Alain Finkielkraut (remplacé désormais par Mickaël Foessel) suivi par toute la promotion au premier semestre. L’évaluation est plus académique et se fait par une dissertation commune dont le sujet, volontairement ouvert, doit permettre aux élèves de développer une réflexion nourrie par des références aussi variées que leur histoire personnelle.
RÉFÉRENCES VARIÉES
Un cinquième de la promotion est constitué d’élèves étrangers dont la majorité ne parlait pas français à leur entrée, et qui suivent les mêmes cours et réalisent les mêmes compositions que les francophones.
Reconnaissons que les humanités n’ont pas la même valeur pour tous les élèves de l’École. Si les plus zélés d’entre nous regrettent de ne pouvoir suivre qu’un cours et un séminaire par période, les moins enthousiastes demeurent indifférents voire absents en ces heures matinales.
Cependant, quel que soit le sujet traité et l’intérêt qu’on lui porte, le cours d’humanités me semble être un moment libérateur et un gage d’ouverture d’esprit.
Tandis que les zones les plus cartésiennes du cerveau se relâchent, l’imagination, la créativité, la rhétorique et la concentration du lecteur prennent le relais de la course aux connaissances et permettent de s’évader le temps d’une matinée.
Le cours magistral d’Alain Finkielkraut (remplacé désormais par Michaël Foessel) est suivi par toute la promotion au premier semestre. © JÉRÉMY BARANDE / EP Alain Finkielkraut ne fait plus cours cette année mais il est tout de même venu pour les X2013 dans le cadre du cours de M. Foessel (que l’on aperçoit au premier rang tout au fond