Les câbles sous-marins, cœur des réseaux de télécommunications
La flotte mondiale de navires câbliers n’a jamais été aussi importante qu’au lendemain de l’éclatement de la bulle Internet en 2001 ; elle se composait alors de cent unités. Les premiers câbliers furent armés dans les années 1850 ; ils ont depuis sillonné les mers et les océans pour poser ce support, le câble sous-marin, qui est devenu le vecteur quasi unique de nos communications interactives, véhiculant au commencement des mots, puis la voix, la vidéo, et maintenant les échanges sur le Web.
En illustration, ci-dessus : Le premier navire câblier français, l’Ampère, sa première pose : le câble Oran-Carthagène.
REPÈRES
En 1851 est posée la première liaison entre la France et le Royaume-Uni. Plusieurs années furent ensuite nécessaires pour surmonter les problèmes mécaniques provoqués par les profondeurs de 4 000 à 5 000 mètres rencontrées dans la traversée de l’Atlantique. La première tentative eut lieu entre l’Irlande et Terre-Neuve en 1858, mais elle ne fonctionna que vingt jours. Une seconde tentative se déroula en 1865 sur le premier grand navire câblier, le Great Eastern, et ce fut également un échec. Mais lorsque ce dernier revint affronter les éléments un an plus tard en 1866, il connut le succès. Le premier câble transatlantique télégraphique était posé ; cette technique allait perdurer près d’un siècle, puisque ce n’est qu’en 1958 qu’est posé le premier câble coaxial transatlantique de téléphonie analogique, le TAT1. Trente ans plus tard, le premier câble numérique en fibre optique, le TAT8, faisait son apparition. Aucune autre technique n’est venue contester sa domination.
La création de la flotte câblière remonte aux années 1850 avec le développement des câbles sous-marins télégraphiques. Dès que le télégraphe électrique est apparu dans les liaisons terrestres, l’homme a voulu lui faire franchir les mers et le seul moyen connu alors était le câble. C’est la mise au point d’un isolant d’origine végétale, la gutta-percha, bien adapté à l’immersion prolongée, qui a rendu la chose possible.
S’affranchir des Anglais pour relier métropole et colonies
La France s’est toujours intéressée aux câbles sous-marins. Et pour cause, elle fut l’une des deux grandes puissances coloniales, et les câbles télégraphiques apportaient la solution pour diriger les colonies à partir de la métropole. Le développement du réseau fut modeste au tout début, mais à compter de 1893 et jusqu’en 1914 l’effort fut considérable, et permit de s’affranchir des Anglais pour relier métropole et colonies.
En 1939, le réseau français comptait environ 60 000 km et était essentiellement orienté vers la Méditerranée et vers l’Afrique occidentale, avec deux traversées Atlantique Nord et Atlantique Sud. Le réseau mondial, quant à lui, cerclait le globe d’environ un demi-million de kilomètres de câbles télégraphiques.
La volonté de la France d’être présente dans la pose et la maintenance des câbles sous-marins se traduisit en 1862 par le lancement du premier navire câblier français, l’Ampère.
L’administration française maintint, jusqu’à la fin du XXe siècle, une flotte câblière de deux, trois ou quatre unités ; au cours de cette période, un câblier est construit tous les huit ans en moyenne ; le dix-huitième du nom est le Fresnel lancé en 1997. Le navire amiral est aujourd’hui le Descartes, le dix-neuvième, lancé en 2002.
Du mot au térabit, en cent cinquante ans
Au commencement était le verbe, certes, mais avec beaucoup de lenteur. Ainsi fallait-il une heure pour transmettre 100 mots. Parfois, et avec l’appui de notre chère Albion, cela pouvait prendre des mois. Puis avec le premier câble coaxial, 36 communications téléphoniques simultanées furent possibles, soit l’équivalent de deux modestes mégabits. Rapidement on atteint 500 Mb sur ce même support. Comme par le passé où la TSF, télégraphie sans fil, a concurrencé le câble sous-marin dès la fin du xixe siècle, le satellite dans cette gamme de débit introduit le doute sur le futur des câbles avec une première liaison transatlantique en 1962.
La technique des fibres optiques mettra un terme à cette interrogation, car outre le fait que les câbles sont parfaitement adaptés à l’échange bilatéral à la différence du satellite bien adapté à la diffusion, le débit permis sur ces câbles sous-marins de dernière génération est désormais de l’ordre du térabit, soit une capacité de transmission un million de fois supérieure à celle du satellite. Aujourd’hui, plus de 99 % des communications s’acheminent sur câbles sous-marins.
Le câblier type du début du XXIe siècle
De 25 à 250 km par jour
Typiquement une opération de pose d’un câble se décompose en un tiers de chargement à l’usine, un tiers de transit et un tiers de pose effective. Les vitesses de pose varient de 250 km par jour pour la pose en surface, à 25 km pour l’ensouillage.
Les navires câbliers de la dernière génération, longs de 150 m, disposent d’une puissance de plus de 20 000 chevaux. Des moteurs électriques actionnent deux hélices de propulsion, deux transverses à l’avant et deux à l’arrière. Un logiciel de positionnement dynamique permet, grâce au GPS différentiel, qui dans 95 % des cas donne une position avec une erreur inférieure à 2,5 m, de suivre une route prédéfinie, pour la pose d’un câble, de tenir une position lors d’une épissure finale, ou encore de suivre à distance un robot sous-marin. Ce logiciel gère la propulsion en fonction des paramètres opérationnels, qui viennent d’être énoncés, et en tenant compte des éléments, vent et courant.
Une capacité de transmission un million de fois supérieure à celle du satellite
Typiquement un câblier peut charger plus de 5 000 tonnes de câbles, soit l’équivalent d’un transatlantique en câble grand fond. Le poids unitaire au mètre varie de moins d’un kilogramme à près de dix kilogrammes, selon que le câble est dit grand fond avec une seule protection de polyéthylène, ou armé, simplement doublement ou même rock armored pour l’atterrissement sur les côtes britanniques. Pour être complet il faut préciser que l’un des types se nomme fish bite, en référence à des câbles relevés et portant l’incrustation de dents de requin. Ce câble est d’une protection immédiatement supérieure à celle du grand fond.
La pose des câbles sous-marins, ou l’art de la gestion du mou
Élodie, construite par SIMEC, filiale de FT Marine, ensouille les câbles jusqu’à 3 mètres et à des sondes pouvant atteindre 2000 mètres de profondeur.
La pose des câbles sous-marins doit résoudre le problème de la gestion de deux vitesses, celle du navire et celle du câble. En effet, un câble bien posé doit parfaitement épouser le relief des fonds marins pour éviter toute tension et toute suspension, qui pourraient endommager celui-là. Tout le secret de la pose tient donc dans la gestion du mou ! Une autre règle de l’art vise à une tension longitudinale quasi nulle pendant la descente du câble depuis le navire jusqu’au toucher final. Au niveau de l’image, un tapis à la surface de l’eau, sur lequel reposerait le câble, et qui se déroberait sous ce même câble, réaliserait cette pose idéale sans tension longitudinale. Le poids des répéteurs, tous les 50 km, de l’ordre de plusieurs centaines de kilogrammes, induit néanmoins des tensions de cette nature, et la célèbre droite de pose sous cet effet se déforme pour donner naissance à une figure proche du vol d’un goéland. Le logiciel d’aide à la pose, » Myosotis « , le met clairement en évidence. La pose d’unités de dérivation à trois branches oblige cette fois-ci à appliquer des tensions adaptées pour éviter d’avoir au fond des boucles par renversement de ces mêmes unités. Pendant les quatre glorieuses de 1998 à 2001, 150 000 km de câbles furent posés en moyenne chaque année.
Pendant ces quatre années plus de 30 câbliers poseurs sillonnèrent les mers. L’optimisme était universel ; des dizaines de câbliers furent commandées ; elles furent livrées après l’éclatement de la bulle Internet en 2001 ; ainsi sur 100 câbliers plus de 60 durent quitter l’activité par mise à la casse, retour à l’offshore, ou transformation. La traversée du désert a duré cinq ans, et ce n’est qu’en 2007 que l’activité reprit réellement. Aujourd’hui les opérateurs investisseurs sont devenus beaucoup plus raisonnables. Les ambitions de cercler la terre avec chacun son propre réseau » sans couture » appartiennent au passé. Les consortiums sont redevenus la norme.
Des anciens qui ont marqué leur temps
Le plus célèbre d’entre eux est Louis Leprince- Ringuet (20) de l’Académie des sciences et de l’Académie française. Gérard Théry (52) ancien directeur général des Télécommunications, est le père du Minitel et des réseaux en fibres optiques.
La maintenance des câbles sous-marins, une activité de tous les jours
Les robots sous-marins, appelés ROV (Remote Operated Vehicle) participent à l’inspection, la maintenance et l’ensouillage des câbles. Les ROV Hector, fabriqués par SIMEC, filiale de FT Marine, peuvent opérer jusqu’à des profondeurs de 2 000 mètres et disposent de bras articulés pour saisir, couper, tenir. Cinq ROV Hector sont en opération dans le monde.
Les chaluts, les ancres, le balancement des câbles en suspension sous l’effet des courants sont autant de causes de fautes sur les câbles sous-marins. Il y a chaque année plusieurs centaines d’interventions sur l’ensemble du globe. En Méditerranée, il n’est pas rare d’avoir deux interventions en moyenne par mois par exemple. Les télélocalisations des défauts permettent par des mesures électriques ou optiques de limiter la zone de recherche. Vient alors la drague pour récupérer le câble, directement ou précédée d’une drague coupante. Alors que la pose s’effectue sans la moindre tension, la relève d’un câble est sujette au poids des deux parties de câble en suspension, au frottement de l’eau et à l’action du courant. Tous ces effets peuvent conduire à des tensions au point de croche de plus de 10 tonnes.
Ainsi l’ingénierie d’un câble sous-marin doit prendre en compte les aspects de maintenance. Il est arrivé que ce point ayant été oublié, la réparation d’un câble par 4 000 m de sonde fût rendue des plus difficiles. Autre point délicat, l’abrasion au point de touche en présence de courant. Dans ce cas de figure, et au moment d’une épissure, il convient de faire avancer et reculer le navire pour éviter ce phénomène. La réparation elle-même consiste après avoir récupéré sur le pont une extrémité à éclaircir le défaut, autrement dit à supprimer la partie du câble en faute. Puis il est procédé à l’adjonction d’une » baguette de câble » en général de deux fois la sonde avec une première épissure appelée » initiale » ; la durée de l’épissure varie entre dix et vingt heures, selon le nombre de paires de fibres optiques et le type de protection avec ou sans armure. Interviennent ensuite la récupération de l’autre extrémité sur bouée et le raccordement des deux avec l’épissure » finale « . La mise à l’eau de la finale relève d’un exercice délicat, car là comme partout ailleurs, il faut éviter de faire des boucles, les » coques » (câble serré) étant, quant à elles, strictement interdites.
Charrues et hélicoptères sous-marins
Les activités de pêche, mais aussi les navires à l’ancrage ont conduit à protéger le câble sur les plateaux continentaux jusqu’à des profondeurs de 2000 m. Ainsi des charrues sous-marines ont été conçues à cet effet. Ce sont des engins de 30 à 40 tonnes de poids dans l’air et qui ensouillent jusqu’à 3 m. Dans des endroits précis, tels les atterrissements à Singapour, Hongkong ou Shanghai, des engins spéciaux ensouillent les câbles à 10 m. À l’occasion de croisements de câbles, de pipelines, voire pour éviter des obstacles, la charrue est relevée quelques centaines de mètres de part et d’autre. Il y a donc lieu de terminer l’ensouillage par un engin non plus tracté mais possédant l’autonomie de déplacement pour postensouiller. Ce sont les ROV (Remote Operated Vehicle) qui remplissent cette fonction d’inspection puis de fignolage de l’ensouillement. Beaucoup plus agiles que les charrues, ces engins sont de véritables hélicoptères des fonds marins. Leur utilisation ne se limite pas à la seule pose. Par des sondes inférieures à 2 000 m, ils peuvent inspecter les câbles pour repérer les défauts, couper les câbles, saisir les deux extrémités et les remonter à bord. Après mise à l’eau de la finale, une inspection est pratiquée pour vérifier le bon étalement de cette finale sans roue de bicyclette verticale par exemple, et pour réensouiller le câble, s’il l’était à l’origine.
Les opérations spéciales de récupération de boîtes noires
Les opérations spéciales périphériques aux activités câblières peuvent revêtir des aspects dramatiques ; ainsi en 1971, les navires Ampère 3 et Alsace récupèrent les restes de la caravelle Ajaccio-Nice abîmée en mer en 1970 ; en 1985, le Thévenin est envoyé au large de l’Irlande pour retrouver les boîtes noires du 747 d’Air India ; en 2004, le robot sous-marin Scorpio 2000 ramène les boîtes noires du 737 de Flash Airlines au large de Charm el-Cheikh.