Coupe machine : Limmern.

Les centrales à vitesse variable, solution d’avenir

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Jérôme BRIDON

Les STEP sont indis­pen­sables dans la tran­si­tion éner­gé­tique. La tech­no­lo­gie de la vitesse variable, avec deux variantes tech­no­lo­giques, vient ren­for­cer leurs per­for­mances et se pré­sente comme la solu­tion d’avenir. Nom­breux sont les pro­jets de ce type à tra­vers le monde. Encore faut-il dis­po­ser de la main‑d’œuvre com­pé­tente et d’une orga­ni­sa­tion indus­trielle optimale.

L’hydro­élec­tri­ci­té, en par­ti­cu­lier des sta­tions de trans­fert d’énergie par pom­page (STEP), est appe­lée à jouer un rôle cru­cial dans la tran­si­tion éner­gé­tique mon­diale. Les STEP, qui uti­lisent deux réser­voirs d’eau à dif­fé­rentes alti­tudes, per­mettent de sto­cker l’énergie excé­den­taire en période de faible demande et de la res­ti­tuer en période de forte demande. Ce méca­nisme aide à équi­li­brer l’offre et la demande sur le réseau élec­trique, un défi crois­sant avec l’augmentation des sources d’énergie renou­ve­lables inter­mit­tentes comme le solaire et l’éolien. Les STEP offrent une capa­ci­té de sto­ckage de longue durée et assurent la sta­bi­li­té du réseau grâce à leur rapi­di­té de réponse. Elles four­nissent des ser­vices auxi­liaires essen­tiels, tels que le contrôle de fré­quence et la puis­sance réac­tive, qui étaient aupa­ra­vant assu­rés par les cen­trales ther­miques fossiles.

Innovations technologiques

Les STEP modernes sont conçues pour réagir dyna­mi­que­ment dans un laps de temps très court aux fluc­tua­tions du réseau, que ce soit pour répondre de façon rapide à de légères fluc­tua­tions ou bien pour assu­rer une ali­men­ta­tion stable afin d’éviter des pannes de cou­rant plus impor­tantes. Par­mi les der­nières avan­cées, la tech­no­lo­gie à vitesse variable per­met un contrôle dyna­mique des uni­tés pompe-tur­bine, offrant des per­for­mances opti­males sur une large plage de fonc­tion­ne­ment et des temps de réponse rapides.

Avec les pompes-tur­bines réver­sibles fixes, la pro­duc­tion en mode tur­bine est adap­tée via le dis­tri­bu­teur et dépend donc du sys­tème hydrau­lique. Une manière de contri­buer à la sta­bi­li­té du réseau consiste à réagir plus rapi­de­ment en cas de per­tur­ba­tion. Avec la vitesse variable, cette réac­tion rapide est pos­sible grâce aux conver­tis­seurs de puis­sance qui sont uti­li­sés. Alors qu’avec une solu­tion clas­sique à vitesse fixe il n’y a qu’un seul point de fonc­tion­ne­ment pour une hau­teur de chute don­née, en mode pom­page le fonc­tion­ne­ment en vitesse variable per­met de faire varier la puis­sance absor­bée entre – 100 % et envi­ron – 55 %, selon les carac­té­ris­tiques de la machine.

Ain­si, la vitesse variable offre une flexi­bi­li­té sup­plé­men­taire face aux fluc­tua­tions du réseau en ajus­tant pré­ci­sé­ment la consom­ma­tion d’énergie. Par exemple, en période de faible demande, la cen­trale pour­ra réduire sa consom­ma­tion d’énergie, tan­dis qu’en période de forte demande elle aug­men­te­ra sa consom­ma­tion pour aider à sta­bi­li­ser le réseau.

La vitesse variable au service du réseau

Les machines à vitesse variable peuvent être syn­chrones avec un conver­tis­seur de puis­sance ou asyn­chrones à double ali­men­ta­tion, offrant une grande flexi­bi­li­té et une effi­ca­ci­té accrue. La solu­tion syn­chrone néces­site un conver­tis­seur de puis­sance (100 % de la puis­sance nomi­nale de l’alternateur) pla­cé entre l’alternateur et le trans­for­ma­teur de l’unité. La tech­no­lo­gie du rotor reste simi­laire à celle d’une uni­té à vitesse fixe.

Cette tech­no­lo­gie per­met un contrôle pré­cis de la vitesse de rota­tion, opti­mi­sant ain­si l’efficacité pen­dant les phases de sto­ckage et de récu­pé­ra­tion d’énergie. Ce type de solu­tion amé­liore la sta­bi­li­té du réseau en four­nis­sant des temps de réponse rapides aux varia­tions de la demande, amé­lio­rant ain­si la fia­bi­li­té glo­bale du sys­tème élec­trique. La solu­tion asyn­chrone à double ali­men­ta­tion consiste à ali­men­ter le rotor par un conver­tis­seur. Dans ce cas, la capa­ci­té de puis­sance du conver­tis­seur ne repré­sente qu’une frac­tion de la puis­sance nomi­nale de l’alternateur, la tech­no­lo­gie du rotor étant très spécifique.

“De nombreux projets sont en cours de développement dans le monde.”

Cette confi­gu­ra­tion à double ali­men­ta­tion offre une grande flexi­bi­li­té dans l’ajustement de la vitesse de rota­tion, amé­lio­rant ain­si la capa­ci­té du sys­tème à réagir rapi­de­ment aux chan­ge­ments des condi­tions du réseau. Cette confi­gu­ra­tion per­met d’obtenir une effi­ca­ci­té et une sta­bi­li­té plus éle­vées, ce qui en fait un choix pré­cieux pour les pro­jets hydro­élec­triques modernes de pompage-turbinage.

Le choix d’une tech­no­lo­gie à vitesse variable dépend de cri­tères à la fois éco­no­miques et tech­niques. L’investissement ini­tial et les reve­nus pos­sibles doivent être pris en compte et sont direc­te­ment liés à l’efficacité des uni­tés, aux temps de tran­si­tion et à la com­plexi­té tech­nique des uni­tés. Sans qu’il n’y ait donc de limite tech­no­lo­gique stricte, le point de bas­cule entre la tech­no­lo­gie syn­chrone avec un conver­tis­seur de puis­sance ou asyn­chrone à double ali­men­ta­tion se situe habi­tuel­le­ment autour de 130 MW de puis­sance uni­taire. De nom­breux pro­jets sont en cours de déve­lop­pe­ment dans le monde et les plus récents pré­sentent des aspects innovants.

En Suisse

La cen­trale de Nant de Drance, inau­gu­rée en 2022, uti­lise six groupes pompes-tur­bines à vitesse variable de 150 MW cha­cun. Elle peut pro­duire 900 MW en moins de deux minutes et sto­cker envi­ron 20 GWh d’électricité, soit un fonc­tion­ne­ment de 20 heures à pleine puis­sance. Les pompes-tur­bines et les moteurs-alter­na­teurs à vitesse variable per­mettent de pom­per pré­ci­sé­ment la quan­ti­té d’énergie que le réseau élec­trique sou­haite éva­cuer, afin que l’énergie éolienne et solaire de la région ne soit pas gas­pillée, mais au contraire hau­te­ment valorisée.

On peut éga­le­ment citer le pro­jet de Linth Lim­mern mis en ser­vice en 2017, repré­sen­tant une autre ins­tal­la­tion hydro­élec­trique majeure et cru­ciale dans l’équilibrage de l’approvisionnement en élec­tri­ci­té de la Suisse. Construite sous terre dans la roche, cette STEP peut pom­per l’eau du lac de Lim­mern vers le réser­voir du Mutt­see situé 630 mètres plus haut. Elle com­prend quatre tur­bines-pompes réver­sibles, cha­cune avec une capa­ci­té de 250 MW et une vitesse de rota­tion pou­vant varier de 470 à 530 tours par minute.

En Autriche

Le pro­jet de Tauern­moos com­prend deux uni­tés de pom­page-tur­bi­nage à vitesse variable de 85 MW cha­cune. Il s’agira de la pre­mière nou­velle cen­trale de pom­page-tur­bi­nage au monde dotée d’une tech­no­lo­gie syn­chrone à vitesse variable avec un conver­tis­seur de puis­sance. La cen­trale élec­trique est conçue pour offrir une grande flexi­bi­li­té et des temps de réponse courts aux chan­ge­ments de charge, notam­ment grâce à des démar­rages et des arrêts très rapides ain­si que des tran­si­tions rapides entre le fonc­tion­ne­ment de la tur­bine et celui de la pompe.

En Espagne

Un pro­jet aux îles Cana­ries, com­pre­nant six uni­tés de pom­page-tur­bi­nage à vitesse variable de 37 MW cha­cune, vise à aug­men­ter la pro­duc­tion d’énergie renou­ve­lable de 37 % et à réduire les émis­sions de CO₂ de 20 %. La cen­trale garan­ti­ra l’approvision­nement éner­gé­tique des îles Cana­ries en aug­men­tant la capa­ci­té élec­trique ins­tal­lée et en ren­for­çant la sécu­ri­té du sys­tème. Ces aspects sont cru­ciaux pour un réseau élec­trique iso­lé comme celui des îles Cana­ries. De plus, le site four­ni­ra de l’eau pour l’agriculture, l’élevage, la lutte contre les incen­dies, le reboi­se­ment, et aide­ra à réduire la désertification.

Centrale de Tehri, en Inde.
Cen­trale de Teh­ri, en Inde.

En Inde

Le pro­jet Teh­ri, en cours de construc­tion, sera la plus puis­sante STEP du pays avec une capa­ci­té de 1 000 MW pour une durée de 7 heures en conti­nu. Le pro­jet inclut quatre uni­tés de 250 MW, cha­cune opé­rant sous une chute de 188 mètres, et toutes équi­pées de machines à vitesse variable. La par­ti­cu­la­ri­té prin­ci­pale de ce pro­jet réside dans la grande varia­tion entre la hau­teur maxi­male et mini­male de chute, sous laquelle les pompes-tur­bines réver­sibles fonc­tion­ne­ront. Grâce à la tech­no­lo­gie à vitesse variable, il est pos­sible de sur­mon­ter cette contrainte, per­met­tant ain­si la réa­li­sa­tion du projet.

L’optimisation de la base installée

Ces avan­cées tech­no­lo­giques offrent une flexi­bi­li­té accrue aux exploi­tants d’installations et de réseaux. Or, le parc mon­dial étant vieillis­sant, moder­ni­ser ces infra­struc­tures per­met­trait de pro­lon­ger leur durée de vie, d’améliorer leur ren­de­ment et leur per­for­mance, ain­si que d’assurer une meilleure uti­li­sa­tion des res­sources en eau. Près de la moi­tié des cen­trales en exploi­ta­tion ayant plus de trente ans, leur moder­ni­sa­tion repré­sente un moyen effi­cace d’améliorer leur per­for­mance avec des coûts, des délais et un impact envi­ron­ne­men­tal réduits. 

Des pro­jets de conver­sion de vitesse fixe à vitesse variable ont déjà vu le jour en Europe et cette ten­dance pour­rait se ren­for­cer à l’avenir. Par exemple, la cen­trale de pom­page-tur­bi­nage de Mal­ta Obers­tufe en Autriche cen­trale a subi une réno­va­tion signi­fi­ca­tive pour rem­pla­cer son alter­na­teur et ses sys­tèmes hydrau­liques par de nou­velles solu­tions à vitesse variable. La mise à niveau com­pre­nait l’installation d’une machine syn­chrone ali­men­tée par conver­tis­seur et d’un conver­tis­seur modu­laire mul­ti­ni­veau, amé­lio­rant ain­si la flexi­bi­li­té opéra­tionnelle et l’efficacité de la centrale.

Un développement sous contrainte

La tran­si­tion éner­gé­tique s’intensifie, met­tant en lumière le besoin urgent de solu­tions de sto­ckage d’énergie à long terme et de sys­tèmes de pro­duc­tion d’électricité flexibles et contrô­lables. Les cen­trales de pom­page-tur­bi­nage, pion­nières dans ce domaine, conti­nuent de s’adapter pour rele­ver ce défi, et leur poly­va­lence opé­ra­tion­nelle, leur effi­ca­ci­té et leur capa­ci­té à équi­li­brer le réseau en font des élé­ments essen­tiels pour la tran­si­tion éner­gé­tique. Leur déve­lop­pe­ment est en plein essor, sou­te­nu par des inno­va­tions tech­no­lo­giques et des pro­jets ambi­tieux à tra­vers le monde.

Il y a aujourd’hui envi­ron 300 pro­jets de STEP repré­sen­tant 214 GW (selon l’International Hydro­po­wer Asso­cia­tion) en cours de déve­lop­pe­ment dans le monde, dont plus de 100 aux États-Unis. Les res­sources, à com­men­cer par l’ingénierie, se raré­fient de plus en plus en rai­son d’une vague de départs à la retraite dans l’industrie et à la concur­rence avec d’autres sec­teurs d’activité sou­hai­tant atti­rer les talents. Afin de faire face à ces nou­veaux défis, des par­te­na­riats se mettent en place, per­met­tant ain­si l’optimisation des pro­jets tout en garan­tis­sant la dis­po­ni­bi­li­té des res­sources. Cette nou­velle approche visant à impli­quer suf­fi­sam­ment tôt l’équipementier, le génie civi­liste et le déve­lop­peur favo­rise l’optimisation des coûts, du calen­drier et des per­for­mances de la future centrale.

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