Les chiffonniers de Paris
Antoine Compagnon, professeur de littérature française moderne et contemporaine au Collège de France, étudie depuis de nombreuses années, entre autres auteurs français, l’œuvre de Baudelaire. Le chiffonnage y est disséminé, « ressource poétique irriguant toute son œuvre et au-delà de celle-ci tout le xixe siècle ». Alors il n’existait pas d’objets mis complètement au rebut, en raison justement des chiffonniers qui venaient les récupérer et leur donnaient une nouvelle vie, acteurs essentiels de cette « économie circulaire » que nous essayons de rétablir de nos jours. Ils représentent ainsi une « figure cardinale » de la vie parisienne entre le Consulat et les années 1880, un personnage marginal, mais indispensable dans la ville industrielle du xixe siècle.
Antoine Compagnon utilise le kaléidoscope des chiffonniers pour renouveler la vision de la vie parisienne à travers leurs liens avec les révolutionnaires, la police, les indicateurs, la prostitution, la mode, les bals masqués, les épidémies, etc. Il alimente sa réflexion de toutes les sources documentaires disponibles : romans, nouvelles, poésie, théâtre, quotidiens, revues, correspondances, gravures, caricatures, affiches, journaux de mode, etc. Son érudition inépuisable ne s’avère jamais lassante.
Le crépuscule des chiffonniers commence en 1883, lorsque le préfet Poubelle interdit le dépôt d’ordures au coin des bornes de Paris. Poubelle prévoyait déjà trois poubelles (matières putrescibles, papiers et chiffons, verre et faïence), préfiguration du tri sélectif des déchets. Il a fallu attendre cent dix ans pour que trois poubelles soient disponibles dans tous les arrondissements et cent dix-neuf ans pour que la collecte sélective des déchets soit installée dans toute la capitale !