Les combustibles fossiles : quels usages, quelles réserves ?
Pétrole et charbon réunis assurent, dans la majorité des pays du monde, la fourniture de l’essentiel des besoins énergétiques.
Dans la cadre de la proposition d’un panorama complet du problème du réchauffement climatique il est donc important de bien cerner les contours des usages et des réserves pour ces deux sources d’énergie.
Le charbon
Le charbon reste une énergie en développement, même si sa part relative décline. C’est l’une des bases de l’approvisionnement mondial en énergie, après le pétrole, mais avant le gaz naturel. L’utilisation est fortement concentrée sur quelques pays : Chine et Etats-Unis consomment à eux seuls 55% du total mondial, et 75% de la consommation est effectué dans six pays seulement (2,8 Gt sur 3,7 Gt).
Le charbon voyage peu. Son coût rendu à l’utilisateur est constitué pour 50 à 80% de coûts de transport.
- Le commerce international reste limité, même s’il croît : 500 Mt, soit moins de 15% de la production.
- Les grands pays charbonniers sont assez autarciques, sauf l’Australie, qui exporte la majeure partie de sa production et en sens inverse le Japon, qui importe toute sa consommation.
Mais le développement des nouvelles zones de consommation (Asie) passe par les importations.
Partout, le développement du charbon est déterminé par le développement de la production d’électricité.
Dans les grands pays industriels, l’autre grand usage du charbon est la fabrication d’acier (filière cokéfaction – haut-fourneau) qui a quelques dizaines de belles années devant elle en termes de supériorité technologique.
Consommation de charbon par pays (Mt) |
Dans certains vieux pays charbonniers (Allemagne, Pays de l’Est), le charbon reste utilisé comme énergie de base dans les usages thermiques industriels et de chauffage.
Dans plusieurs pays émergents (Brésil, Chine, Inde), le développement des industries sidérurgique et cimentière (dans une moindre mesure) détermine une part notable des nouveaux besoins de charbon.
Le charbon présente quand même quelques contraintes lourdes à l’utilisation, notamment environnementales (pollution locale et effet de serre). Il en résulte des coûts de mise en uvre pouvant être élevés, se traduisant par une décote de la thermie-charbon.
Mais, spontanément, le charbon continuera de se développer :
- Parce que les réserves sont abondantes pour le très long terme (plus de 2 siècles sur la base actuelle de consommation) et diversifiées dans des pays sûrs.
L’importance de ces réserves est telle que plusieurs pays qui n’en détiennent qu’une part infime (Colombie, Indonésie, Venezuela) peuvent être des acteurs importants sur un marché international qui reste relativement étroit. - La faiblesse du marché international par rapport aux réserves garantit une certaine stabilité des prix à moyen terme (quelques décennies). Les prix CIF Europe restent depuis bientôt 20 ans entre 35 et 50 USD/t.
- Les Etats-Unis sont ce que l’on appelle un producteur poumon : plusieurs milliers de tonnes de capacités annuelles s’ajustent conjoncturellement à la demande, permettant de contenir les coûts,
- Les progrès techniques, notamment la part croissante des mines à ciel ouvert.
- Les besoins d’électricité sont sur une hausse tendancielle, et on ne va pas partout opter spontanément pour le gaz.
Or l’alternative charbon-gaz pour l’électricité est incontournable dans les pays développés.
Le pétrole
Nombreuses sont les études sur les évolutions futures du secteur de l’énergie. Les résultats peuvent en être le plus souvent résumés au moyen d’un certain nombre de scenarii. Ils sont différents d’un organisme à l’autre mais on distingue en général un (ou des) scénario(s) d’extrapolation des tendances actuelles (« Conventional wisdom » ou « Business as usual ») de scenarii plus volontaristes ou plus efficaces en matière de protection de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (scénario C du Conseil Mondial de l’Énergie, scénario « Forum » de la CCE, scénario « Energy Savings » de l’AIE, scénario NOE de B. Dessus)1.
Parmi les points communs à la plupart des études, on peut citer le fait que la croissance de la demande d’énergie en général, et de pétrole en particulier, viendra principalement des pays en développement du sud-est asiatique et que la part du secteur des transports dans la consommation de produits pétroliers est sur une tendance de croissance au détriment des usages moins « nobles ».
Il importe de noter que la part du pétrole utilisée pour la pétrochimie2 est faible, et que l’essentiel du pétrole sert de carburant dans les moteurs ou de combustible dans les chaufferies.
Le concept de réserves
Historiquement, la principale question – hors problèmes climatiques – a toujours été de savoir de combien d’années de production nous étions assurés, c’est à dire de ce que nous avions « en réserve ».
Une question de vocabulaire tout d’abord :
- Les ressources d’un bassin ou d’une zone géographique, encore appelées « volumes en place » sont les quantités totales d’hydrocarbures présentes dans les champs découverts et à découvrir dans la région considérée sans aucune considération technique ou économique. Elles incluent les quantités de pétrole non conventionnel. Seule une fraction des ressources est récupérable.
- Les réserves sont les quantités que l’on espère extraire des gisements et exploiter de manière rentable dans un avenir proche. Le passage de ressource à réserve est caractérisé par le taux de récupération.
La notion de réserve est complexe. Elle est liée à la connaissance géologique que l’on a des bassins pétroliers, aux performances de la technologie du moment qui peuvent évoluer grâce aux progrès techniques et entraîner par exemple une amélioration significative du coefficient de récupération et à des facteurs économiques et fiscaux, tels le montant des investissements réalisés pour développer le champ, les différents coûts d’exploitation mais aussi le prix du pétrole et les impôts et taxes qui évoluent en permanence.
Consommation de pétrole en Mt par secteur |
De plus, les réserves ont une dimension politique. Ce sont souvent, en effet, des évaluations fournies par les gouvernements et donc des données qui évoluent selon l’environnement (à comparer avec un particulier qui donne des informations différentes sur sa fortune selon qu’il répond au fisc ou qu’il veut obtenir un prêt de son banquier). Ainsi, on a constaté les modifications suivantes :
- diminution des réserves déclarées par le gouvernement mexicain lors de la négociation de l’ALENA afin de faire preuve de ” »bonne conduite »,
- augmentation du montant des réserves déclarées OPEP au moment de l’établissement des quotas.
Tous ces facteurs qui agissent sur la valeur des réserves sont des facteurs dynamiques qui varient en permanence.
Les réserves d’un gisement pétrolier ne sont connues avec exactitude que lorsque la production est définitivement arrêtée. Auparavant les experts peuvent fournir des fourchettes d’estimation à partir des études géologiques, géophysiques et d’ingénierie du réservoir. Mais les organismes qui publient des valeurs de réserves ne diffusent en général qu’un seul chiffre et les définitions restent multiples malgré les efforts de différents comités qui se sont réunis pour clarifier la question.
Classification des réserves
Les réserves se subdivisent en trois catégories :
- les réserves prouvées : ce sont les quantités d’hydrocarbures récupérables à partir des ressources prouvés aux conditions économiques et techniques du moment. Les études géologiques estiment leur présence avec une probabilité d’existence supérieure à 85–95 % (chiffre qui varie selon les organismes).
Les réserves prouvées se divisent en deux sous-catégories :
– les réserves prouvées développées : les réserves sont récupérées à partir de gisements pour lesquels le développement a été décidé, est en cours ou est terminé,
– les réserves prouvées non développées lorsque le développement n’a pas encore été décidé. - les réserves probables : ce sont les quantités d’hydrocarbures susceptibles d’être produites à partir des réservoirs prouvés ou probables aux conditions économiques et techniques d’un futur proche. La probabilité d’existence de ces réserves est estimée à 50%. Les réserves probables comprennent les quantités d’hydrocarbures récupérables par de nouvelles méthodes connues mais non opérationnelles.
- les réserves possibles : ce sont les quantités d’hydrocarbures récupérables à partir des réservoirs prouvés, probables et possibles aux conditions économiques et techniques dans un futur non déterminé. Leur présence est estimée par une probabilité entre 5 et 10%.
Les réserves espérées sont définies en pondérant les différentes catégories des réserves par des probabilités ; les probabilités que l’on trouvera le plus couramment sont :
- Réserves espérées = réserves prouvées + 2⁄3 ou (1÷2) réserves probables + 1⁄3 ou (1÷4) réserves possibles
- Les réserves initiales sont la somme de la production cumulée et des réserves prouvées, probables et possibles.
- Les réserves restantes sont une abréviation de la notion réserves restant à produire.
Les réserves prouvées de pétrole sont aujourd’hui généralement estimées à 1.000 milliards de barils, soit 138 milliards de tonnes. Au rythme actuel de production, la durée de vie de ces réserves serait ainsi de 45 ans (ratio réserve/production). Les deux tiers sont situées au Moyen-Orient. Les réserves ultimes récupérables sont estimées en moyenne à 2.000 milliards de barils (2.200 pour l’USGS, United States Geological Survey).
Évolution des réserves dans l’avenir
La question des réserves restant à découvrir est très controversée.
Classification des réserves |
Les « pessimistes » estiment que la production de pétrole conventionnel ne peut que décroître dès le début des années 2000, à partir d’un certain nombre d’observations.
55 à 60 % des réserves prouvées initiales appartiennent à des champs géants (c’est-à-dire à des champs dont les réserves sont supérieures à 500 Mb) découverts il y a 20 ou 30 ans. Le monde compte actuellement 360 gisements géants de pétrole qui représentent moins de 1 % du nombre total de champs découverts.
Or, actuellement, les découvertes de cette taille se font rares. À titre de comparaison, la décennie des années 60 a permis de découvrir une centaine de ce type de champ alors que la décennie 80 n’a permis que la découverte de 29 géants. Dans certaines zones, comme aux États-Unis, on ne parle plus que de découvertes marginales.
Plus généralement, il devient de plus en plus difficile de découvrir de nouveaux gisements. Au cours de ces dernières années, l’accroissement des réserves résulte principalement de révisions des volumes préalablement annoncés ainsi que de la mise à jour d’extensions de gisements connus ou satellites. Les autres facteurs, comme les nouvelles découvertes résultant de l’effort d’exploration ne sont, en fait, que la « cerise sur le gâteau ».
Les découvertes correspondent à des pétroles d’accès de plus en plus difficiles.
Les « optimistes » constatent que malgré les observations ci-dessus le volume des réserves a continué à augmenter, et même le nombre d’années de production, c’est à dire le ratio réservés/production (cf schéma). Ainsi les pays non-OPEP ont réussi à maintenir un taux de renouvellement de leurs réserves supérieur à 1, c’est-à-dire à trouver plus que ce qu’ils avaient produit.
Production de combustibles en 1996 (millions de tep) |
Dans le même esprit, les réserves prouvées des États-Unis étaient en 1930 de 13 milliards de barils, elles étaient de 20 milliards en 1990 (hors Alaska), mais entre temps 124 milliards de barils supplémentaires avaient été découverts et produits.
Plus près de nous, en 1990, la plupart des experts prévoyait un maximum de la production des pays non-OPEP vers 1995 suivi d’un inexorable déclin. La pointe de production semble maintenant repoussée largement après l’an 2000. De même, le déclin de la production de la mer du Nord interviendrait beaucoup plus tard que ce qui était initialement prévu dans les années 1970.
De façon plus générale, les capacités de production pétrolière ont le plus souvent été sous-estimées dans le passé, qu’il s’agisse de prévisions par zones ou de prévisions plus agrégées3 . Elles ont continué à croître dans la plupart des pays à l’exception des États-unis qui constituent une zone largement explorée et dont la production est déclinante. C’est la seule province arrivée à ce niveau de maturité. Remarquons cependant que le ratio R/P y est relativement stable.
Au niveau mondial ce ratio a presque toujours oscillé entre une vingtaine et une quarantaine d’années (sauf dans l’immédiat après-guerre). La principale raison du « pessimisme » passé réside dans la sous-estimation du progrès technique et des capacités de réaction de l’industrie pétrolière.
L’évolution des techniques permet de trouver des gisements plus difficiles à découvrir et conduit à des améliorations sensibles des taux de récupération. D’importants efforts de recherche et développement ont en effet été réalisés, stimulés dans les années 1970 et au début des années 1980 par la crainte d’une raréfaction des ressources et d’une croissance inéluctable des prix. Ils ont permis un développement du pétrole » non-OPEP « . Après le contre-choc de 1986, ils se sont poursuivis et ont conduit à une forte diminution des coûts d’exploration et de production.
La frontière entre pétrole « conventionnel » et « non conventionnel » est régulièrement repoussée. Le problème de la tranche d’eau en offshore profond est résolu au moyen de techniques en constante amélioration. La différence entre les coûts de production de pétrole en mer et à terre diminue. Les huiles extra-lourdes de l’Orénoque au Venezuela étaient jusqu’aux années 90 considérées comme exploitables seulement pour un prix élevé (30 $ ou plus) du baril de brut. Elles le sont maintenant à partir d’un prix du brut de l’ordre de 15 $/baril, voire inférieur.
Conclusion
Pour l’avenir, les évolutions techniques sont particulièrement difficiles à prévoir. Par contre, il semble se former un consensus sur l’existence d’un continuum de ressources pétrolières (gisements plus difficiles d’accès, pièges plus complexes, couches sous sel, offshore profond et très profond, huiles extra-lourdes, sables asphaltiques, schistes bitumineux, …) qui pourraient à un instant donné être classées par coût croissant. Remarquons que ce continuum n’est pas limité aux hydrocarbures d’origine pétrolière.
À titre d’exemple, nombreuses sont les recherches sur le développement des procédés Fischer-Tropsch permettant la production de carburants liquides à partir du gaz naturel. À plus long terme, il peut être fait appel à la liquéfaction du charbon. En schématisant, il n’y a pas limitation des ressources en hydrocarbures, mais il y a et il y aura nécessité de faire appel à des techniques plus complexes au fur et à mesure de l’épuisement des gisements à faibles coûts.
Quant aux coût et aux prix pétroliers, il ne faut pas en déduire qu’ils seront nécessairement en augmentation. Mis à part les comportements de cartel, les prix sont les aléas d’une course, selon des termes de M. Adelman, entre le progrès technique d’une part et l’épuisement des ressources connues d’autre part.
Par contre l’exploitation de ressources non conventionnelles et la fabrication de combustibles liquides à partir de gaz naturel ou de charbon ne pourront vraisemblablement pas se faire sans augmentation des émissions de CO2, ces procédés étant fortement consommateurs d’énergie.
Ce qui risque de limiter l’utilisation des hydrocarbures dans les décennies à venir, ce n’est pas la raréfaction des ressources mais le respect des engagements de Kyoto. Mais les innovations technologiques et la capacité d’adaptation dont a fait preuve l’industrie pétrolière pour pallier l’épuisement des réserves devraient contribuer au développement de solutions à même de préserver de façon durable la qualité de notre environnement et en particulier de relever le défi du changement climatique.
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1. Voir article de B. Dessus.
2. Plastiques, engrais, etc.
3. Il existe naturellement également des exemples de surestimation comme celui du champ de Mabrouk en Libye dont les réserves ont été estimées au départ à 1 milliard de barils et qui ne devraient pas dépasser 100 à 150 millions de barils.