Les compagnies low-cost vont-elles concurrencer les grandes ?
Les compagnies low-cost sont devenues un acteur à part entière du transport aérien commercial en conquérant de nouvelles couches de clientèle, en affichant des opérations promotionnelles spectaculaires, et en démultipliant les liaisons aériennes directes entre villes européennes. Une concurrence avec les grandes compagnies semble inévitable, mais les choix qui ont permis de minimiser les coûts en transport court- courrier ne sont pas transposables au trafic long-courrier.
REPÈRES
La première compagnie considérée comme une référence pour le modèle low-cost est la compagnie Southwest Airlines créée au Texas en 1971. Aujourd’hui, Southwest a une flotte de 500 B‑737 et a franchi le cap des 100 millions de passagers par an, ce qui en fait la première compagnie du monde en nombre de passagers, mais pas en passagers-kilomètres transportés ni en chiffre d’affaires.
L’essor des compagnies low-cost en Europe est récent. La pionnière, Ryanair, a été créée en 1985, mais elle s’est d’abord cherchée et n’a véritablement adopté son modèle actuel de développement et pris son essor qu’à partir du milieu des années quatre-vingt-dix.
L’autre pionnière européenne est la britannique Easyjet créée en 1995. C’est aujourd’hui la première compagnie européenne en nombre annuel de passagers avec un chiffre de 50 millions par an, mais est encore loin d’Air France-KLM, de Lufthansa ou de British Airways en passagers-kilomètres transportés et en chiffre d’affaires. Au cours des années 2000, ces pionnières ont considérablement développé leur trafic et de nouvelles compagnies se sont lancées sur le créneau avec des succès variables. Le modèle s’est par ailleurs étendu à l’Asie, et plus généralement à l’ensemble du monde (Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amérique du Sud, Australie, etc.).
En Europe, on compte plus d’une trentaine de compagnies low-cost significatives
En Europe, on compte aujourd’hui plus d’une trentaine de compagnies low-cost considérées comme significatives, bien que certaines soient fragiles. Elles émanent notamment d’Irlande et du Royaume-Uni (Ryanair, Easyjet, Flybe, bmibaby, Jet2.com, Air Southwest), d’Allemagne (Air Berlin, TUIfly, Germanwings), d’Espagne (Clickair, Vueling), d’Italie (My Air), de Slovaquie (Sky Europe), de Pologne (Wizz Air), du Danemark (Sterling), de Norvège (Norwegian), de Suède (Sverige Flyg), des Pays-Bas puis de France (Transavia.com, filiale du groupe Air France-KLM).
Certaines ont été créées ex nihilo ; d’autres proviennent de la reconversion d’anciennes compagnies à vocation plus généraliste de taille moyenne ou petite. Des regroupements, comme l’achat de Buzz par Ryanair ont par ailleurs déjà eu lieu.
LE MODÈLE
Abaisser les coûts
Le modèle low-cost se définit dans le transport aérien par un certain nombre de caractéristiques que l’on retrouve de façon très nette chez certains transporteurs et un peu moins chez d’autres. En d’autres termes, une compagnie aérienne peut être plus ou moins low-cost, ce qui se comprend car il ne s’agit pas d’un métier mais d’un positionnement concurrentiel choisi.
Simples et sans gadgets
La Commission européenne classe les transporteurs aériens en quatre catégories : Full Service Network Carriers (FSNC) ; Low-Cost Carriers (LCC) ; Regional Carriers (Regionals) et Charters. La catégorie des Low-Cost Carriers est définie comme comprenant des compagnies qui proposent des prix bas pour la majorité de leurs vols ; opèrent principalement sur des liaisons à courte et moyenne distance ; ont des frais de structure réduits ; ont un coefficient de remplissage relativement élevé ; proposent aux passagers un service no frills, ce que l’on peut traduire par simple et sans gadgets (repas et boissons à bord supprimés ou payants).
Ces caractéristiques communes sont autant de moyens d’abaisser à la fois les coûts directs d’exploitation, les coûts commerciaux et les frais de structure. Citons l’homogénéité de la flotte (un seul type d’avion) ; l’homogénéité des longueurs d’étapes (segment type, en temps de parcours, consommation de carburant, temps de chargement ; chaque avion revient à sa base le soir, il n’y a donc pas de frais d’hébergement pour les équipages) ; la concentration sur les vols point à point (jamais de vols en correspondance) ; le remplissage des avions (sièges resserrés, une seule classe de passagers) ; le mode de tarification (tarifs promotionnels ; allers simples et non remboursables) ; la réservation et la vente en ligne (les billets ne sont vendus que par Internet, ce qui permet que la recette soit encaissée avant le vol) ; le choix des aéroports (redevances moindres, moins d’attentes) ; les temps de rotation (augmentation du nombre de rotations effectuées avec un même avion et un même équipage) ; le concept » no frills » et les revenus annexes (service minimum, salles spartiates, escabeaux traditionnels) ; la prééminence de l’offre sur la demande (le contraire d’une compagnie charter).
Choisir des niches
La position acquise par une compagnie low-cost sur un segment de marché n’est solide que si elle est réellement et durablement moins chère que ses concurrentes potentielles sur ledit segment. Cela suppose de manière assez évidente une part de marché importante en volume.
En effet, le pouvoir de négociation avec les constructeurs d’avions, avec les aéroports, avec les fournisseurs de carburant, les moyens consacrés au marketing et à la publicité, le rapport entre le coût des outils informatiques et le chiffre d’affaires constituent autant d’éléments qui permettent à celui qui dispose du plus grand volume de trafic d’offrir le service proposé au meilleur coût.
Il ne peut donc pas y avoir véritablement et durablement de petite compagnie low-cost, sauf sur des niches, comme, par exemple, les aéroports qui ont des pistes trop courtes pour accueillir les avions de type A‑320 ou B‑737.
LES CHIFFRES
Deux leaders européens aux stratégies différentes
Carcassonne, bénéficiaire du low-cost
Ryanair est incontestablement le numéro un en Europe, par son taux de croissance, son chiffre d’affaires et sa rentabilité. Son trafic a été multiplié par plus de 7 entre 2000 et 2008. Au cours de son exercice clos le 31 mars 2008, la compagnie a transporté plus de 50 millions de passagers, et desservi 653 routes. Son taux de marge nette de 18 % est très supérieur à celui des compagnies généralistes comme Air France, Lufthansa ou British Airways.
L’une des particularités de sa stratégie et de son développement est d’avoir créé son propre marché, en ouvrant des liaisons internationales directes au départ ou à destination d’aéroports secondaires, et en évitant du même coup d’affronter les compagnies traditionnelles sur leur terrain. Aujourd’hui encore Ryanair ne dessert ni Charles-de-Gaulle, ni Orly, ni Lyon. Easyjet, le numéro deux, a également connu une forte croissante, mais avec des taux plutôt moins élevés que ceux de Ryanair et n’a pas une rentabilité aussi forte. La compagnie a transporté 37,2 millions de passagers sur 289 routes au cours de son exercice clos le 30 septembre 2007.
À la différence de Ryanair, Easyjet s’est attaquée dès le début à des liaisons existantes à fort trafic, à partir des grands aéroports, se posant ainsi en challenger des acteurs en place. En France, Easyjet concurrence ainsi Air France sur les grandes radiales comme Orly-Toulouse ou Orly-Nice, et maintenant sur des liaisons au départ de Lyon.
La vente en ligne permet d’encaisser la recette longtemps avant le vol
Il s’agit véritablement d’un autre chemin stratégique de croissance. Cela étant dit, plus les deux compagnies poursuivent leur développement, plus elles sont amenées à se confronter, à la fois entre elles et avec les transporteurs traditionnels, car les réserves de croissance potentielle inexplorées se font plus rares. C’est ainsi que Ryanair dessert Nice, Marseille, Bâle-Mulhouse ou Nantes, alors que ses premières destinations en France étaient uniquement des aéroports secondaires.
Un impact économique
Retombées et contreparties
Bergerac ou Carcassonne, qui sont de petites villes, et accueillent chacune maintenant plusieurs centaines de milliers de passagers aériens par an, sont tout à fait représentatives d’un développement économique lié au trafic aérien low-cost. En contrepartie, les collectivités concernées aident financièrement l’équipement et l’exploitation des aéroports considérés, dans le cadre d’un calcul coûts-avantages qu’elles jugent toutes nettement bénéficiaire.
En France, une quinzaine d’aéroports régionaux, presque tous situés dans la moitié sud de la France, sont desservis par Ryanair alors qu’ils ne sont pas reliés au réseau du groupe Air France-KLM. De plus, d’autres aéroports encore, comme Chambéry, Avignon, Deauville, sont desservis par des compagnies low-cost qui utilisent des avions plus petits (Flybe, Skysouth). Dans tous les cas, ces aéroports accueillent un trafic touristique récepteur en provenance de Grande-Bretagne ou d’autres pays d’Europe du Nord.
Non seulement ce trafic fait vivre les aéroports en question, mais il est générateur de retombées économiques directes, indirectes et induites pour les villes et régions réceptrices qui représentent, selon des études récentes, une centaine de milliers d’emplois.
L’AVENIR
Vers une concurrence accrue
Le développement du réseau des compagnies low-cost européennes peut encore se poursuivre un certain temps à un rythme supérieur à la croissance moyenne du transport aérien intraeuropéen dans son ensemble, car le nombre de nouvelles liaisons possibles en joignant deux à deux des aéroports déjà desservis est très grand. Ryanair prévoit ainsi d’atteindre 82 millions de passagers en 2012 contre 50 en 2008, tout en supposant une inflexion de son taux de croissance à partir de 2010. Cela étant dit, le potentiel de trafic n’est pas infini et la constitution des réseaux va arriver à maturité, ce qui ne signifiera pas stagnation mais croissance en passagers de 4 % ou 4,5 % par an, comme pour le reste du trafic intraeuropéen.
Easyjet s’est attaquée dès le début à des liaisons existantes à fort trafic
Concrètement, cela se traduira par une augmentation progressive des fréquences et une lente augmentation tendancielle de l’emport moyen des avions, sans nouvelles ouvertures de lignes. La concurrence directe avec les trois grands groupes, Air France-KLM, Lufthansa et British Airways-Iberia, par recouvrement de leurs marchés-cibles, semble donc inéluctable, car les produits ne pourront être que très proches dès lors que le transport aérien économique intéresse la plus grande partie des passagers potentiels.
Des vols long-courriers low-cost ?
Quels seront les relais de croissance pour des entreprises comme Ryanair et Easyjet lorsque les réseaux intraeuropéens seront à maturité ? Ryanair commence à penser au trafic long-courrier, ce qui constituerait une évolution de son métier et de son modèle économique.
La concurrence directe avec les grands groupes semble inéluctable
Les compagnies long-courriers qui se disent aujourd’hui low-cost tiennent plus un discours commercial qu’elles ne se différencient par un modèle économique véritablement affirmé. Quelques initiatives seront cependant intéressantes à observer, notamment de la part de compagnies issues de pays émergents, comme Air Asia en Malaisie, qui a déjà transposé le modèle Ryanair, et semble avoir l’ambition d’aller plus loin.
Fondamentalement, les choix qui ont permis de minimiser les coûts en transport court-courrier de point à point ne sont pas transposables au trafic long-courrier. Parler sérieusement de la faisabilité d’un modèle low-cost dans ce domaine suppose donc de ne pas se contenter de chercher à élargir ce qui a fonctionné, mais de se placer dans une véritable logique de recherche d’innovations visant à tirer parti de l’évolution des règles du jeu et des progrès technologiques.