Le patrouilleur l’Audacieuse au bassin.

Les conséquences pour la marine de la réforme de la DCN

Dossier : Marine nationaleMagazine N°596 Juin/Juillet 2004Par : Michel SCIALOM, chargé de mission auprès du chef d'état-major de la marine

Plus de six mois après le chan­ge­ment de sta­tut de la Direc­tion des construc­tions navales (DCN) inter­ve­nu le 1er juin 2003, quelles sont les consé­quences visibles pour la marine ? De façon un peu para­doxale, l’on peut dire que la pre­mière consé­quence, immé­diate et d’ailleurs anti­ci­pée, de la réforme a été l’aggravation de la situa­tion finan­cière déjà ten­due de la marine. Pour autant, per­sonne ne remet en cause la per­ti­nence du chan­ge­ment de sta­tut, les marins moins que d’autres, confron­tés qu’ils étaient aux insuf­fi­sances de l’ancien ser­vice à com­pé­tence nationale.
Per­sonne n’a sou­te­nu que la trans­for­ma­tion de la DCN en socié­té ne serait pas coû­teuse puisqu’à vrai dire elle mar­quait la fin des arse­naux de l’époque de Col­bert. Aujourd’hui, la ques­tion n’est plus là. Il s’agit de savoir si les charges sup­plé­men­taires que sup­porte la marine par rap­port à ce qui avait été conve­nu dans la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire seront cou­vertes et si, plus géné­ra­le­ment, l’État en aura pour son argent. Il n’est pas inutile tou­te­fois de com­men­cer par un petit rap­pel historique.

La réforme de la DCN est un pro­ces­sus qui s’est dérou­lé sur une dizaine d’an­nées. La théo­rie nous enseigne que le cadre juri­dique d’une admi­nis­tra­tion n’est pas opti­mal pour gérer une acti­vi­té indus­trielle. L’ex­pé­rience de la DCN consti­tue à cet égard un cas d’é­cole. De fait, lors­qu’on a vou­lu doter ce ser­vice d’une per­son­na­li­té morale en l’é­ri­geant en socié­té ano­nyme, il a fal­lu recons­ti­tuer une comp­ta­bi­li­té, éta­blir un bilan d’ou­ver­ture et défi­nir des plans de mise à niveau dans les domaines du contrôle de ges­tion et de l’in­for­ma­tique. Cet effort n’est pas ter­mi­né. Au fond et avec du recul, l’i­dée de départ de 1992, la sépa­ra­tion du pôle éta­tique du pôle indus­triel, était la bonne.

Mais cette dis­tinc­tion n’a pas été au départ assez radi­cale puis­qu’il a fal­lu dix ans pour la mener à bien. Les dates qui jalonnent cette évo­lu­tion sont connues : 1997, créa­tion du ser­vice des pro­grammes navals à côté d’une DCN dépen­dant tou­jours de la DGA ; 2000, trans­for­ma­tion de la DCN en ser­vice à com­pé­tence natio­nale rele­vant direc­te­ment du ministre de la Défense (donc sor­ti du champ de la DGA), 1er juin 2003 obten­tion de la per­son­na­li­té juri­dique et de l’au­to­no­mie finan­cière à la faveur du chan­ge­ment de sta­tut. Sans doute était-il néces­saire de pro­cé­der par étapes et de ména­ger les personnels.

Le patrouilleur l’Auda­cieuse au bas­sin. MARINE NATIONALE

À l’u­sage néan­moins, il appa­raît que la pour­suite de rela­tions for­te­ment consan­guines n’a pas favo­ri­sé la rigueur de ges­tion, le sui­vi des contrats (quand ils exis­taient c’est-à-dire depuis 1998, sous une forme d’ailleurs dégra­dée car l’É­tat ne peut pas contrac­ter avec lui-même), la connais­sance des prix de revient et leur contrôle ain­si que le sou­ci de mettre le client au centre de l’or­ga­ni­sa­tion, pra­tiques de règle dans les socié­tés privées.

Il y a au demeu­rant deux façons d’ap­pré­hen­der ces évo­lu­tions qui ne sont pas ter­mi­nées puis­qu’une conso­li­da­tion inter­vien­dra tôt ou tard dans le domaine de la construc­tion navale mili­taire euro­péenne. La pre­mière consiste à adop­ter le prisme de l’in­dus­triel ; la seconde fait du chan­ge­ment de sta­tut de la DCN un élé­ment de la réforme de la DGA qui se poursuit.

Pour autant, et du point de vue qui nous occupe, il est bon de sou­li­gner que l’ef­fort de mise à plat qui a été mené à bien était néces­saire. L’exer­cice de récon­ci­lia­tion comp­table était obli­ga­toire puisque le choix a été fait de chan­ger le sta­tut de la DCN et non pas de créer une nou­velle socié­té ab ini­tio (ce qui aurait été très dif­fi­cile puisque cette socié­té aurait eu voca­tion à récu­pé­rer les contrats en cours d’exé­cu­tion et le per­son­nel en poste).

Il a per­mis de créer une situa­tion de départ très favo­rable. En cas de doutes, et ils ont été assez nom­breux, la pra­tique a en effet consis­té à dépré­cier ou à pro­vi­sion­ner mas­si­ve­ment les postes concer­nés. Les amor­tis­se­ments pra­ti­qués ont été mas­sifs ; pour les immo­bi­li­sa­tions cor­po­relles par exemple, c’est-à-dire les ter­rains, bâti­ments et outillages appor­tés en propre à la nou­velle socié­té, le taux d’a­mor­tis­se­ment a été de 84 %, dimi­nuant d’un coup la valeur de la DCN de près de 1,3 mil­liard d’eu­ros. Les pro­vi­sions et les amor­tis­se­ments ont été com­plé­tés par des garan­ties déli­vrées par l’É­tat cou­vrant à la fois les contrats export et les contrats natio­naux, garan­ties ayant pour objet de pro­té­ger la future entre­prise de toutes les consé­quences finan­cières néga­tives liées à son acti­vi­té en tant que ser­vice de l’É­tat. Les contrats ayant été trans­fé­rés » en l’é­tat « , ils n’ont pas don­né lieu à rené­go­cia­tion sur le prix et le client n’en a tiré aucun béné­fice. Enfin la DCN a été dotée d’un capi­tal ini­tial qui s’é­lève à 563 M&euro ; et cou­ronne l’édifice.

Bref, rien que du très solide : un capi­tal cor­rect, un action­naire éta­tique, des comptes pas­sés à la paille de fer, un plan de charge consé­quent. Et le client dans tout cela ? À la véri­té, il a été confron­té à un double défi : la réforme l’a conduit à réflé­chir aux fonc­tions réga­liennes qu’il devait exer­cer, notam­ment dans le domaine du nucléaire où l’É­tat conser­ve­ra sa res­pon­sa­bi­li­té d’ex­ploi­tant, mais elle a été sui­vie aus­si de ce que l’on pour­rait appe­ler des dégâts finan­ciers collatéraux.

Les charges sup­plé­men­taires sont par­fai­te­ment iden­ti­fiées. Elles tiennent en pre­mier lieu à l’as­su­jet­tis­se­ment de la nou­velle entre­prise à la TVA dans les condi­tions de droit com­mun qui se tra­duit par une aug­men­ta­tion méca­nique de ses prix. Lorsque la DCN fonc­tion­nait comme un ser­vice de l’É­tat, elle n’é­tait pas en effet assu­jet­tie à cette taxe. Heu­reu­se­ment, et au moins sur la durée de la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire, le prin­cipe d’une com­pen­sa­tion bud­gé­taire a été rete­nu et mis en œuvre à la suite de déci­sions des plus hautes auto­ri­tés de l’É­tat. Il n’en reste pas moins que cette com­pen­sa­tion sera sou­mise à rené­go­cia­tion chaque année compte tenu du prin­cipe de l’an­nua­li­té bud­gé­taire. Et que sur le long terme la situa­tion fran­çaise est insatisfaisante.

Il faut savoir en effet que la plu­part des pays de l’U­nion euro­péenne pra­tiquent le taux 0 ou l’exo­né­ra­tion en matière de construc­tion navale mili­taire à l’ex­cep­tion de la France et de l’Al­le­magne. Cette dis­tor­sion de concur­rence fis­cale péna­lise la marine fran­çaise qui, à bud­get égal, ver­ra ses pro­grammes ampu­tés d’en­vi­ron 20 % de conte­nu phy­sique dès lors qu’elle s’a­dresse à la DCN par rap­port, par exemple, à la marine bri­tan­nique. Cette inéga­li­té de trai­te­ment est dom­ma­geable éga­le­ment au déve­lop­pe­ment de la coopé­ra­tion indus­trielle entre pays de l’U­nion. Non seule­ment les marins devront ten­ter de conver­ger sur l’ex­pres­sion des besoins opé­ra­tion­nels, qui com­man­de­ront eux-mêmes les carac­té­ris­tiques des équi­pe­ments, mais ils devront ensuite gérer une dif­fé­rence sen­sible de pou­voir d’a­chat qui nui­ra à la défi­ni­tion d’un pro­duit com­mun. La solu­tion serait bien enten­du une remise à plat du régime appli­cable à la construc­tion navale mili­taire au niveau euro­péen, en inté­grant les nou­veaux États membres. Mais elle pren­dra du temps compte tenu de l’exi­gence d’u­na­ni­mi­té qui pré­vaut en la matière… Les dis­cus­sions sur la TVA dans le domaine de la res­tau­ra­tion sont là pour nous le rappeler.

Les consé­quences indus­trielles et sociales de la réforme sont une deuxième source de dépenses. Le volet indus­triel » marine » a été esti­mé à 353 M€ base 2003 sur la période 2003–2008 ; il per­met­tra de cou­vrir la réha­bi­li­ta­tion des infra­struc­tures tech­niques mises à dis­po­si­tion de la DCN dans les ports mili­taires de Brest et de Tou­lon, les charges liées à la reprise de la fonc­tion » rechanges « , la mise à niveau de la docu­men­ta­tion tech­nique des bâti­ments et le coût des démé­na­ge­ments induits par la mise en œuvre du sché­ma direc­teur de la nou­velle socié­té. Ces dépenses sont incompressibles.

Navire en entretien programmé.
Navire en entre­tien pro­gram­mé. MARINE NATIONALE

Il faut savoir que l’É­tat, pro­prié­taire des ins­tal­la­tions, ne peut les mettre à dis­po­si­tion de la DCN que si elles sont conformes à la régle­men­ta­tion et aux normes. À défaut, sa res­pon­sa­bi­li­té pour­rait être enga­gée. Ceci concerne en par­ti­cu­lier les réseaux élec­triques, les capa­ci­tés sous pres­sion et les engins de levage. La marine s’est trou­vée en effet dans cette situa­tion para­doxale d’hé­ri­ter d’ins­tal­la­tions por­tuaires vétustes, sous-entre­te­nues pen­dant des décen­nies, et de devoir les remettre sans délai à la dis­po­si­tion de la DCN en état de marche.

Ces 353 M€ sont la contre­par­tie d’un effort d’in­ves­tis­se­ment ana­logue de la DCN au titre, notam­ment, des ins­tal­la­tions dont la pro­prié­té lui a été trans­fé­rée. Dans son plan à moyen terme 2003–2008, la DCN a en effet pré­vu 366 M€ base 2003 d’in­ves­tis­se­ments liés à sa restruc­tu­ra­tion. Ces dépenses pèsent sur les résul­tats pré­vi­sion­nels sur la période et expliquent que le redres­se­ment finan­cier ne soit réel­le­ment tan­gible qu’en 2006, sauf bonne sur­prise. Cer­taines auraient pro­ba­ble­ment dû être enga­gées même en l’ab­sence du chan­ge­ment de sta­tut pour amé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment de l’ou­til industriel.

Mais le débat n’est pas là. Dans la mesure où elles ont été accep­tées, elles consacrent l’ef­fort impor­tant consen­ti pour amé­lio­rer la com­pé­ti­ti­vi­té de l’en­tre­prise. La marine a sim­ple­ment sou­hai­té qu’un effort de même nature soit enga­gé au titre des fonc­tions et des ins­tal­la­tions qu’elle conser­vait ou repre­nait. À défaut auraient coexis­té au sein d’un même port des ins­tal­la­tions réno­vées, celles de la nou­velle DCN, et des équi­pe­ments dignes de l’é­poque de Col­bert ou de Zola, héri­tage d’une ges­tion éta­tique indi­gente. Cette coexis­tence aurait posé pro­blème et n’au­rait pas été comprise.

Pour être com­plet, il fau­drait aus­si inté­grer la charge nou­velle des assu­rances de la DCN (aupa­ra­vant, l’É­tat était son propre assu­reur) et le finan­ce­ment par le minis­tère de la Défense du fonds d’a­dap­ta­tion indus­trielle et des indem­ni­tés de départ volon­taire qui seront pro­po­sées à cer­tains per­son­nels pour ajus­ter la masse sala­riale au plan de charge prévisible.

Troi­sième source de dépenses, la néces­si­té de cou­vrir ce que l’on a appe­lé des encours non contrac­tua­li­sés (340 M€ en base 2003 pour l’en­semble du minis­tère de la Défense), en fait des pres­ta­tions de la DCN, sou­vent réa­li­sées dans des éta­blis­se­ments por­tuaires, qui avaient échap­pé à la dili­gence des ges­tion­naires char­gés de les régu­la­ri­ser a pos­te­rio­ri lorsque la contrac­tua­li­sa­tion des rela­tions entre la DGA et la DCN avait été déci­dée en 1997, prin­cipe rap­pe­lé par la Charte de ges­tion en 1999. Ces dépenses étaient res­tées non fac­tu­rées dans la mesure où les contrats néces­saires n’a­vaient pas été éta­blis. Elles avaient néan­moins été finan­cées en tré­so­re­rie par des avances glo­bales, récu­pé­rées depuis. Lors du chan­ge­ment de sta­tut, elles sont appa­rues en pleine lumière et ont aggra­vé le pas­sif à com­bler. Ce fut une bien mau­vaise nou­velle que per­sonne n’a­vait envisagée.

On pour­ra tou­jours dis­cu­ter sur leur éten­due et leur per­ti­nence ; en fait, après une ana­lyse de la DGA et une enquête de l’IGF et du CGA, leur réa­li­té ne fait plus de doute. Elles ont essen­tiel­le­ment concer­né des études, des tra­vaux d’en­tre­tien, des muni­tions et des rechanges.

Une recherche en pater­ni­té de cette situa­tion serait sté­rile. La cause pro­fonde réside dans le méca­nisme du compte de com­merce qui fonc­tion­nait comme un compte de caisse et comme un par­king bud­gé­taire, bien com­mode pour échap­per aux rigueurs de la régu­la­tion, et n’au­to­ri­sait pas les contrôles dont sont cou­tu­miers les ges­tion­naires d’en­tre­prise habi­tués à la comp­ta­bi­li­té en par­tie double. Ceux-ci savent que recette n’est pas syno­nyme de créance et que la notion de dette est plus large que celle de dépense. Ce compte a ser­vi de ban­quier à la DCN, mais il s’a­gis­sait d’un ban­quier par­ti­cu­liè­re­ment négligent. Les dépenses étaient tou­jours cou­vertes en ges­tion et le compte sol­dé à l’é­qui­libre en fin d’an­née. L’im­pres­sion était trom­peuse. En l’ab­sence de contrats (au moins jus­qu’en 1998), puisque tout se pas­sait au sein de l’É­tat, la clô­ture des opé­ra­tions indus­trielles n’in­ter­ve­nait qu’a­vec retard. Le ges­tion­naire navi­guait donc à l’a­veugle… et les pertes étaient masquées.

Le client marine sou­hai­te­rait aujourd’­hui qu’on lui pro­digue la même sol­li­ci­tude qu’à la DCN car il sup­por­te­ra la plus grande part des charges sup­plé­men­taires rap­pe­lées ci-des­sus. Elles sont esti­mées à plus d’un mil­liard d’eu­ros pour le minis­tère de la Défense entre 2004 et 2008, hors impact de la TVA (encours non contrac­tua­li­sés, volets indus­triel et social de la réforme, assu­rances, impact des rede­vances payées par la DCN pour les zones mises à sa disposition).

Bien enten­du, cette somme consi­dé­rable peut se jus­ti­fier. Si les inves­tis­se­ments inter­viennent comme pré­vu, la DCN dis­po­se­ra dès 2005 d’un outil indus­triel entiè­re­ment remis à neuf ce dont on ne peut que se féli­ci­ter. Les risques sont cou­verts, le capi­tal en voie de libé­ra­tion, la socié­té a été créée sur des bases saines… Son plan de charge n’est pas sus­cep­tible de connaître un effon­dre­ment com­pa­rable à celui de GIAT Indus­tries en 1991 avec le nombre de pro­grammes natio­naux envi­sa­gés (fré­gates mul­ti-mis­sions, sous-marins nucléaires d’at­taque Bar­ra­cu­da, deuxième porte-avions) et des pers­pec­tives pro­met­teuses à l’exportation.

Dès lors la ques­tion qui se pose est celle du retour sur inves­tis­se­ment ; elle conduit à une redé­fi­ni­tion des rela­tions entre la DCN et la marine.

Sous-marin nucléaire au bassin, en entretien programmé.
Sous-marin nucléaire au bas­sin, en entre­tien pro­gram­mé. MARINE NATIONALE

Cette ques­tion de la ren­ta­bi­li­té de l’o­pé­ra­tion est celle de l’É­tat action­naire qui pro­fi­te­ra évi­dem­ment du redres­se­ment finan­cier de l’en­tre­prise. Début 2004, le che­mi­ne­ment vers une situa­tion béné­fi­ciaire semble plus rapide que celui esquis­sé lors des simu­la­tions réa­li­sées au moment de la créa­tion de la socié­té, tout en res­tant tri­bu­taire du res­pect des dates des pro­grammes. Cette valeur appa­raî­tra au grand jour dès qu’une opé­ra­tion inter­vien­dra sur le capi­tal. Elle devrait per­mettre d’ap­pré­cier posi­ti­ve­ment les efforts consen­tis au titre du com­ble­ment du pas­sif et de la capitalisation.

Mais cette inter­ro­ga­tion est aus­si celle de l’É­tat client, en l’oc­cur­rence la marine. Il faut, en ver­tu d’une juste répar­ti­tion de la valeur créée, que celle-ci soit répar­tie entre le client, l’ac­tion­naire, l’en­tre­prise et ses sala­riés. La pos­si­bi­li­té de ratio­na­li­ser les achats en s’af­fran­chis­sant des pro­cé­dures du code des mar­chés publics, très contrai­gnantes et à vrai dire peu adap­tées à une acti­vi­té indus­trielle, va jouer un grand rôle dans le redres­se­ment (en 2003, la DCN pré­voyait 7 % d’é­co­no­mies sur le volume total des achats sur une période de six ans). Les achats de la DCN et de la DCNI repré­sentent envi­ron un mil­liard d’eu­ros par an et, à l’i­mage d’autres indus­tries lourdes, près des deux tiers du chiffre d’af­faires. C’est donc un poste très important.

Il convient que le client puisse béné­fi­cier de ces gains sous forme d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té du ser­vice et de baisse des prix sur les nou­veaux contrats. Des pro­cé­dures de concer­ta­tion ont été mises en place aux niveaux cen­tral et local. Elles doivent encore faire leur preuve. Le contrat d’en­tre­prise, signé entre l’É­tat et la DCN, orga­nise, pour sa part, les rela­tions dans la durée et pré­voit de mesu­rer les pro­grès réa­li­sés par la tenue d’un cer­tain nombre d’in­di­ca­teurs. Il consti­tue­ra un ins­tru­ment pré­cieux et a d’ores et déjà per­mis de mener une réflexion com­mune sur le deve­nir de la socié­té et ses métiers stra­té­giques, pro­lon­geant le plan Azur d’a­vril 2001 demeu­ré à usage interne.

Le débat sur le » juste retour » ne sera pas évi­té et il sera public. La loi du 28 décembre 2001 qui a auto­ri­sé le chan­ge­ment de sta­tut pré­voit en effet que chaque année jus­qu’en 2008 le Par­le­ment sera des­ti­na­taire d’un rap­port sur les pers­pec­tives d’ac­ti­vi­té et les fonds propres de la nou­velle entre­prise. Le pre­mier rap­port a été dépo­sé en avril 2003 ; il n’a pas sus­ci­té d’ob­ser­va­tions par­ti­cu­lières. Les sui­vants pour­ront sans doute être le pré­texte à des dis­cus­sions nour­ries. Tant que l’en­tre­prise sera dans le rouge, toute reven­di­ca­tion serait mal venue car l’in­té­rêt com­mun exige que la réforme soit un suc­cès. Mais dès qu’elle déga­ge­ra des béné­fices, il n’en sera plus de même sur­tout si elle met en œuvre une poli­tique de rente dans cer­tains domaines techniques.

Les évo­lu­tions tou­che­ront éga­le­ment la marine dans ses rela­tions avec la DCN. Les contrats devien­dront la loi des par­ties et les juristes seront beau­coup plus sol­li­ci­tés. Il fau­dra s’y adap­ter. Le tra­vail de fond sur l’ex­pres­sion de besoin devra être déve­lop­pé ; le contrôle de ges­tion interne devra être géné­ra­li­sé ; la véri­fi­ca­tion du conte­nu phy­sique des pres­ta­tions ache­tées, lacu­naire sous l’empire du compte de com­merce et du tra­vail en régie, devra être sys­té­ma­ti­sée, au besoin en s’ai­dant de cata­logues. Ces tâches nou­velles appellent de nou­velles com­pé­tences qu’il fau­dra aller cher­cher à l’ex­té­rieur et conve­na­ble­ment posi­tion­ner dans la hié­rar­chie. Cet état-major en est persuadé.

La réforme de la DCN a été en effet l’oc­ca­sion d’une redé­fi­ni­tion des rôles et d’un trans­fert de cer­taines fonc­tions. Dans le domaine du nucléaire, la marine devra ain­si orga­ni­ser sa mon­tée en puis­sance pour pou­voir contrô­ler l’en­tre­prise deve­nue simple opé­ra­teur indus­triel. La reprise de la ges­tion des rechanges, qui béné­fi­cie désor­mais de moyens de sto­ckage modernes et auto­ma­ti­sés, ain­si que celle des pyro­tech­nies (via le ser­vice de sou­tien de la Flotte) l’ont conduite à accueillir le per­son­nel ex-DCN concer­né par ces acti­vi­tés. Le ser­vice des tra­vaux mari­times a vu la super­fi­cie des emprises dont il est affec­ta­taire aug­men­ter dans une pro­por­tion de 25 % puisque les ter­rains et les bâti­ments (ain­si que les réseaux de fluides) dans les ports mili­taires, pro­prié­tés de l’É­tat gérées autre­fois sous la res­pon­sa­bi­li­té de DCN/service à com­pé­tence natio­nale, lui ont été confiés. Une par­tie de ces emprises a d’ailleurs été mise à dis­po­si­tion de DCN/société ano­nyme par l’in­ter­mé­diaire de titres d’oc­cu­pa­tion du domaine public mili­taire. Dans le domaine des muni­tions le ser­vice des tra­vaux mari­times a récu­pé­ré des tâches sup­plé­men­taires liées à la pour­suite des mises à hau­teur de sécu­ri­té des pyro­tech­nies de Brest et de Toulon.

Il serait faux de croire, tou­te­fois, que le chan­ge­ment de sta­tut réa­li­sé, les prin­cipes posés, les moyens accor­dés, tous les risques sont écar­tés. Comme l’ont sou­li­gné cer­tains spé­cia­listes, la DCN est une entre­prise en situa­tion de retour­ne­ment qui doit prendre conscience de son nou­vel envi­ron­ne­ment. Ain­si, si le plan de charge n’est pas res­pec­té, ce n’est plus l’É­tat, via le compte de com­merce, qui sera char­gé de faire les fins de mois mais la socié­té avec bien enten­du des consé­quences sur son résul­tat. La liber­té accrue de l’en­tre­prise sera la contre­par­tie d’une plus grande expo­si­tion à la vie des affaires et aux néces­si­tés de la concur­rence. En un sens, le chan­ge­ment de sta­tut de la DCN a éli­mi­né une source de défi­cit à la charge du bud­get de la Défense, du moins tant que l’en­tre­prise res­te­ra en pertes.

Cela dit, il faut rai­son gar­der. Pen­dant de très longues années, les sorts de la marine et de la DCN seront liés. Il ne peut en être autre­ment si l’on songe que l’en­tre­prise réa­li­se­ra 70 % de son chiffre d’af­faires avec l’É­tat sur la durée du contrat d’en­tre­prise dans sa ver­sion pru­dente dite de dimen­sion­ne­ment. Dans de nom­breux domaines la mise en concur­rence ne sera qu’une vue de l’esprit.

Dans celui de l’en­tre­tien par exemple, et compte tenu du tis­su indus­triel local, il fau­dra au préa­lable que le Ser­vice de sou­tien de la Flotte (SSF) se consti­tue une doc­trine et une expé­rience avec des moyens ren­for­cés sans cou­rir le risque de deve­nir une DCN bis. Dans les zones délé­guées à la DCN, on ne voit pas qui pour­rait lui suc­cé­der, si tant est que l’on en ait le désir, à l’ex­pi­ra­tion des titres domaniaux.

Rai­son de plus pour que l’en­tre­prise se pré­oc­cupe des res­sources de son client prin­ci­pal. C’est la rai­son essen­tielle qui milite pour le finan­ce­ment du contrat des fré­gates mul­ti­mis­sions en finan­ce­ment inno­vant, mode de finan­ce­ment repo­sant sur l’u­ti­li­sa­tion de tech­niques de mar­ché et non plus sur de simples cré­dits bud­gé­taires. Les res­sources ain­si déga­gées per­met­traient de cou­vrir les charges sup­plé­men­taires rap­pe­lées au début de cet article et de lis­ser le coût des pro­grammes sur la durée d’u­ti­li­sa­tion des maté­riels. S’il n’en était pas ain­si, tous les par­te­naires y per­draient : la marine qui ne pour­rait pas res­pec­ter les termes de la loi de pro­gram­ma­tion mili­taire et serait confron­tée à des rup­tures capa­ci­taires, la DCN qui ver­rait son plan de charge affec­té et son redres­se­ment com­pro­mis, l’É­tat enfin qui n’au­rait pas inves­ti à bon escient. Lors de sa visite dans la marine natio­nale à Brest le 17 février 2004, le pré­sident de la Répu­blique a d’ailleurs inci­té les acteurs à faire preuve d’i­ma­gi­na­tion pour le finan­ce­ment des FREMM.

Les res­pon­sables actuels sont conscients des enjeux. Il reste à espé­rer que les fruits tiennent la pro­messe des fleurs. À cet égard, les deux années qui viennent seront cri­tiques au même titre que les condi­tions de la conso­li­da­tion indus­trielle qui reste à venir. Défi indus­triel majeur, la réforme de la DCN est un élé­ment de la réforme de l’É­tat. Nous avons tout à gagner de sa réus­site et tout à perdre de son échec. Comme tout inves­tis­se­ment, elle est coû­teuse à court terme, mais elle déga­ge­ra pro­gres­si­ve­ment des résul­tats posi­tifs puisque l’in­dus­triel sera non seule­ment atten­tif à sa tech­nique mais aus­si à l’op­ti­mi­sa­tion de ses coûts de réalisation.

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