Les datacenters, la première brique du numérique durable
Acteur stratégique de l’écosystème numérique et de son développement, les datacenters sont aujourd’hui à la croisée d’enjeux environnementaux, énergétiques, économiques et sociétaux. Géraldine Camara, Déléguée Générale de France Datacenter, l’association professionnelle de la filière datacenter française, nous en dit plus sur ce secteur, son positionnement et ses principaux défis et perspectives. Entretien.
Pouvez-vous nous présenter France Datacenter ?
À l’origine, l’association a été créée en 2008 sous le nom de Comité des Exploitants des Salles Informatiques et Télécom (CESIT). Elle a changé de nom en 2017 et est depuis connue comme France Datacenter. Aujourd’hui, nous nous positionnons comme une association professionnelle qui regroupe toute la filière et la chaîne de valeur des datacenters en France. On retrouve donc parmi nos adhérents les acteurs en charge de la conception, de la construction, de la maintenance et de l’exploitation des datacenters (bureaux d’études, cabinets d’architectes, équipementiers, fournisseurs d’énergie et de solutions de refroidissement…) ; les opérateurs de datacenters comme OVHcloud, DATA4, Equinix, Interxion… ; des hébergeurs régionaux comme Etix everywhere, Euclyde, Fullsave,… Nous avons une centaine d’adhérents de taille très différente (TPE, PME, grandes entreprises, groupes internationaux…). Si le marché reste concentré sur l’Île-de-France, nous avons tout de même de plus en plus d’adhérents dans les régions. Portée par la croissance et le développement de la filière en France, notre association connaît également une hausse régulière du nombre de ses adhérents.
Quelles sont les missions de France Datacenter ?
En notre qualité de porte-parole de la filière en France, notre rôle est d’échanger avec les pouvoirs publics sur les réglementations et les différents dispositifs qui concernent les datacenters. Nous avons, d’ailleurs, accueilli cette année dans notre équipe une personne dédiée aux affaires publiques et aux relations avec les institutions. Plus concrètement, nous répondons régulièrement aux consultations sur les règlementations et législations relatives aux datacenters, nous élaborons également des propositions à destination du gouvernement…
En interne, nous facilitons et animons les échanges techniques entre nos différents adhérents. Nous avons plusieurs groupes de travail qui sont mobilisés sur des sujets à forts enjeux pour la filière comme l’intelligence artificielle, la récupération de la chaleur fatale informatique, le refroidissement… Dans ce cadre, nous nous appuyons sur des antennes régionales dans les Hauts-de-France, le Grand Ouest, la région PACA, ou encore en Auvergne-Rhône-Alpes. Ce maillage territorial permet à chacun de nos adhérents de contribuer au développement, à la visibilité et à l’attractivité de la filière sur son territoire. En parallèle, nous travaillons sur l’attractivité de la France à une échelle européenne, voire mondiale, pour accompagner le développement des entreprises. Sur cette question, nous collaborons notamment avec Business France.
Qu’en est-il de votre plan stratégique 2025 ?
Les grandes lignes de notre plan stratégique ont été déterminées en 2020. Le plan, qui couvre donc la période allant de 2020 à 2025, s’articule autour de plusieurs axes. Le premier concerne l’attractivité de nos métiers et inclut un important volet dédié à l’emploi et à la formation. Dans un contexte de pénurie de compétences, il est important de développer la visibilité et la notoriété de notre secteur et des opportunités qu’il peut offrir. La filière datacenter représente plusieurs dizaines de milliers d’emplois directs et indirects. Chaque année, c’est en moyenne un millier d’emplois qui sont créés (ingénieurs, techniciens…). Nous accordons aussi un intérêt particulier au développement de l’offre de formation qui reste encore aujourd’hui très limitée.
Le second axe se focalise sur la résilience des infrastructures et leur sécurisation face aux attaques cyber notamment. Sur ce dernier point, nous collaborons avec l’ANSSI afin de sécuriser et fiabiliser ces infrastructures stratégiques pour l’économie de pays. D’ailleurs, un certain nombre de datacenters en France sont considérés et classifiés comme des infrastructures critiques.
Nous avons un troisième axe visant à développer et promouvoir l’innovation au service de l’environnement. Dans un contexte où nous entendons parler de plus en plus d’optimisation de la performance énergétique, la filière ambitionne de contribuer à son niveau à la réussite de la transition environnementale et énergétique. Dans cette démarche, nous nous appuyons notamment sur les travaux de notre groupe de travail dédié à la décarbonation.
Enfin, comme précédemment mentionné, nous sommes mobilisés en faveur de l’attractivité de la France afin de promouvoir ses atouts et sa valeur ajoutée face aux autres pays européens. Nous avons d’ailleurs publié une brochure en ce sens, « La France, destination idéale pour implanter votre datacenter et héberger vos données1 », qui met en avant les atouts de la destination France pour les acteurs qui souhaitent héberger leurs données et leur datacenter de manière fiable et responsable.
L’actualité est marquée par la crise énergétique et la hausse du coût de l’énergie, deux enjeux qui impactent fortement l’activité de votre filière. Comment appréhendez-vous ces sujets ?
La filière datacenter en France est relativement récente. Elle a vu le jour il y a une vingtaine d’annés. Toutefois, le secteur n’a pas attendu les règlementations et les crises énergétiques pour se poser la question de sa performance énergétique. En effet, la consommation énergétique et le coût de l’énergie impactent directement les opérateurs de datacenter. Concrètement, toute économie à ce niveau représente un gain réel pour ces derniers et, au cours des dix dernières années, la performance énergétique des datacenters s’est considérablement améliorée.
Aujourd’hui, à l’instar de tous les secteurs d’activité, nous devons faire face à une importante crise énergétique qui est accompagnée par une forte hausse du prix de l’énergie. En effet, la facture énergétique représente 30 % des coûts liés à l’exploitation d’un datacenter. Avec la hausse actuelle des prix, on estime qu’elle devrait atteindre 50 % de ces coûts. À cela s’ajoute le problème de la résilience du réseau avec des délestages qui pourraient intervenir cet hiver. Pour faire face à cette situation, nous sommes en étroite concertation et collaboration avec RTE. En effet, la filière est incitée à organiser son effacement afin de soulager le réseau et contribuer à sa résilience. Signataires de la Charte EcoWatt, nous avons aussi été à l’initiative d’une proposition qui a été reprise dans le plan de sobriété énergétique présenté par le gouvernement le 6 octobre dernier. Il s’agit d’une proposition visant à remonter de 1 à 3 degrés la température dans la salle des serveurs, ce qui permettrait de réduire de 7 à 10 % la consommation énergétique des datacenters.
En interne, pour nos adhérents, nous avons établi un document afin de partager et d’harmoniser les bonnes pratiques environnementales2. Nous avons aussi des groupes de travail qui explorent différentes pistes en termes de refroidissement des salles de serveur, de récupération de chaleur fatale informatique… Nos adhérents sont aussi très mobilisés sur ces enjeux et lancent de nombreux projets en ce sens. Par exemple, un de nos adhérents a mis en place un projet pour récupérer la chaleur fatale informatique de ses infrastructures afin de chauffer la piscine olympique. Ces projets ont vocation à se multiplier au cours des prochaines années afin de renforcer l’efficacité énergétique de notre filière de manière durable. D’ailleurs, nous nous attendons aussi à ce que la valorisation de la chaleur fatale informatique des datacenters soit davantage prise en compte dès les phases de conception des nouveaux datacenters, ce qui, en plus, est très intéressant en termes d’empreinte carbone et environnementale du point de vue de la construction.
Au-delà, comment se porte la filière ? Quels sont ses enjeux et perspectives ?
Notre filière joue un rôle central sur un plan économique et sociétal. En effet, sans datacenter, il n’y a tout simplement pas de numérique ! Les datacenters sont véritablement la première brique du numérique durable. Ces infrastructures physiques permettent le télétravail, la télémédecine, le e‑commerce… Ce sont véritablement des bâtiments au service d’intérêt général. Dans le secteur global du numérique, contrairement aux idées reçues, les datacenters représentent 16 % de l’empreinte environnementale. C’est, en effet, les usages et le réseau qui sont responsables de la part la plus importante. Pour réduire cette empreinte, il y a une responsabilité collective qui implique toutes les parties prenantes, y compris les utilisateurs finaux. Et comme mentionné précédemment, nous restons fortement mobilisés sur la question énergétique qui va largement nous occuper en 2023.
Et pour conclure, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
À côté des efforts de la filière pour valoriser la chaleur fatale informatique, d’autres pistes sont explorées. Parmi celles-ci, il y a le développement du recours aux énergies renouvelables pour développer l’autoconsommation de datacenters et la mutualisation des infrastructures et des salles de serveurs. En effet, la mutualisation de l’énergie et du refroidissement peut permettre une réduction de la consommation énergétique comprise entre 25 et 30 %. C’est non seulement une économie d’énergie, mais aussi une économie sur la facture énergétique pour les opérateurs de datacenters. Récemment, l’Université de Nantes, le Mans et Angers ont ainsi regroupé leurs infrastructures et sont passés de 40 salles informatiques à deux datacenters. Aujourd’hui, nous encourageons ces projets et initiatives au sein de la filière.