Les défis de l’Enseignement supérieur et de la Recherche au XXIe siècle
La mondialisation concerne aussi la science. Elle est source de progrès, car elle s’accompagne d’échanges plus nombreux. Elle permet des synergies souvent remarquables. Ce n’est pas à la communauté polytechnicienne que je l’apprendrai. Comme pour les biens et services, cette mondialisation de la connaissance s’accompagne d’une compétition toujours plus intense. Son but est scientifique bien sûr, mais aussi de plus en plus économique.
Tout va beaucoup plus vite s’agissant de la connaissance, car elle est immatérielle. C’est donc le plus rapide qui l’emportera dans cette compétition, pas nécessairement celui dont la taille est la plus importante.
Cette très grande rapidité crée des fractures entre nos pays, des tensions au sein de nos sociétés.
C’est pourquoi cette mondialisation de la connaissance concerne aussi les décisions politiques : elle nous pose des questions inédites, pour lesquelles nous devons inventer des solutions nouvelles.
L’agenda international de 2006 a traduit cette prise de conscience politique : cet été à Moscou, j’ai participé au premier G8 consacré à l’éducation, et les rencontres avec mes collègues se multiplient sur les risques de « marchandisation de la connaissance ».
Voilà brossé à grands traits, le contexte dans lequel nous nous situons. Ce contexte nous conduit, à mes yeux, à relever trois défis :
. 1er défi : adapter nos structures pour tirer profit de la mondialisation,
. 2e défi : rendre le paysage attractif pour les investissements privés de recherche et développement et les activités à haute valeur ajoutée,
. 3e défi : préserver et réguler ce que les spécialistes appellent « le capital humain ».
Le 1er défi, nous sommes en marche pour le relever grâce au Pacte pour la Recherche, que je vous ai présenté il y a un an avec François Goulard
Notre potentiel de recherche est, aujourd’hui, du meilleur niveau mondial dans bien des domaines. Mais nos structures répondent encore trop à la logique de rattrapage qui prévalait dans l’après-guerre, alors que nous sommes entrés dans une logique de compétition mondiale pour la connaissance. Nos structures doivent évoluer pour s’y adapter.
Désormais, nous devons faire valoir nos domaines d’excellence et les consolider, constituer des ensembles de masse critique suffisante pour être à la pointe de cette compétition pour le talent : attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs chercheurs, les meilleurs enseignants dans des structures rassemblant, de façon visible, tout le savoir-faire français.
Cette transformation du paysage de la recherche se produit en ce moment même avec le Pacte pour la Recherche.
Ce pacte nous a permis de constituer d’abord un paysage clair et lisible :
• avec une agence de moyens aux standards internationaux : l’Agence nationale de la recherche (ANR). En moins de deux ans d’existence, un acteur totalement nouveau et totalement accepté est en place… et il a déjà distribué 600 millions d’euros, dans une parfaite logique d’excellence ;
• avec l’Agence de l’innovation industrielle, mise en place par le Président de la République. Elle accompagne les grands projets innovants, et contribue à faire émerger des ruptures technologiques ;
. avec les pôles de compétitivité : ils redessinent la carte de l’innovation française et permettent au monde de l’entreprise, de la recherche notamment publique, et de l’enseignement supérieur de coopérer pour créer des richesses et de l’emploi ;
• et, surtout, avec les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et les Réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) dont le but, pour l’enseignement supérieur et la recherche, est de nous donner les moyens d’accroître notre masse critique. La création de ces deux formes nouvelles de coopération répond aux besoins des universités et des laboratoires.
De quoi s’agit-il ?
Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, lors du lancement de Digiteo Labs à l’école polytechnique, début octobre 2006 © Philippe Lavialle EP |
Les PRES fédèrent sur un territoire donné des forces d’enseignement supérieur et de recherche autour d’une stratégie commune afin d’acquérir une visibilité mondiale. Cela va permettre l’émergence d’ensembles vraiment lisibles pour les étudiants et les scientifiques. C’en sera fini de la juxtaposition de tant d’établissements ou de laboratoires, dispersion souvent responsable de nos piètres performances dans les classements internationaux. Le projet de ParisTech regroupant onze grandes écoles parisiennes avec l’X comme un des points d’appui, et le projet Universud regroupant notamment l’X, l’université Paris Sud, le CEA et le CNRS sont l’illustration de cette dynamique.
Les RTRA, ce sont, pour une thématique scientifique donnée, le regroupement des structures d’excellence pour créer un « fer de lance » permettant de rivaliser avec les meilleurs laboratoires mondiaux. Car là encore, nos laboratoires, souvent excellents, sont trop petits et trop dispersés pour pouvoir tirer pleinement profit de leur attractivité.
Le Premier ministre a annoncé début octobre les 13 RTRA qui ont été retenus, après avis d’une commission présidée par Jean Dercourt, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, commission composée de représentants de la recherche dans toutes les disciplines, publique et privée. Deux de ces RTRA impliquent directement l’X : Digiteo et Triangle de la physique.
Cela a créé une vraie dynamique dans les laboratoires, du fait des deux choix qui guident ce Pacte pour la Recherche :
• faire de l’initiative des acteurs le moteur de cette dynamique. « Il se passe enfin quelque chose » : c’est le commentaire qui me revient le plus souvent chez les scientifiques, en particulier lors du lancement de Digiteo Labs à l’École polytechnique début octobre 2006 ;
• reconnaître l’excellence là où elle se trouve, ce qui a en particulier révélé un véritable « Boston à la française » sur le plateau de Saclay, dont les acteurs sont impliqués dans un tiers des RTRA et dans trois pôles de compétitivité de dimension mondiale. Un tel potentiel mérite qu’on le mette en valeur sans tarder. Le Premier ministre vient de confier à Philippe Lagayette la mission de proposer une programmation des équipements scientifiques et d’établir les priorités permettant de concrétiser cette vitrine de la science française.
Notre 2e défi, c’est rendre le paysage attractif pour les investissements privés de recherche et développement
C’est notre principale faiblesse en France. C’est sur la recherche privée que nous avons le plus à progresser pour atteindre les objectifs de Lisbonne.
Sur les quatre dernières années, mes prédécesseurs et moi avons lancé plusieurs initiatives dont notamment la réforme du crédit impôt recherche ou le développement des contrats CIFRE, dispositif de financement des thèses en entreprise plébiscité tant par les doctorants que les entreprises.
Au-delà de ces aides, il nous faut surtout travailler sur l’environnement pour le rendre attractif aux investissements en recherche et développement.
PRES, RTRA et pôles de compétitivité ont aussi ce rôle d’accroître la lisibilité et donc l’attractivité de notre recherche.
Et j’espère que nous en verrons prochainement des conséquences concrètes comme nous commençons déjà à le voir à Grenoble, à Lyon ou sur le plateau de Saclay.
Notre 3e défi, c’est de préserver et de faire fructifier le « capital humain »
Ces cinquante dernières années, nous avons relevé le défi de l’accès libre au savoir pour tous, aidés par la plus grande période de paix et de prospérité que l’Europe ait connue au cours des deux derniers siècles. En France, la population estudiantine formée a ainsi été multipliée par huit durant cette période, celle des ingénieurs a également crû dans des proportions similaires… et nos universités multiséculaires ont su relever cette gageure.
Aujourd’hui, nous ne voulons pas que nos universités et nos écoles produisent des esprits standardisés, mais bien qu’elles forment des individus créatifs, inventifs et s’épanouissant dans leur activité professionnelle, quelle qu’elle soit.
L’objectif fondamental que nous devons atteindre est celui de garantir une égalité d’accès au savoir, tout en évitant son uniformisation. Ce qui nécessite d’inventer les régulations ad hoc, de la même manière qu’au XXe siècle, nous avons conçu les régulations du travail permettant d’y accéder, de le préserver et de protéger les plus faibles contre les abus. Ces réponses sont à inventer, non seulement par les écoles et les universités, mais aussi par l’État et la société civile.
Il y a, en particulier, un champ qui nécessite un renouveau complet des approches, celui de la formation tout au long de la vie. S’adapter aux nouveautés, progresser dans ses connaissances sont désormais les clés pour que chacun, quelle que soit son activité, puisse s’épanouir dans cette société de la connaissance qui se dessine.
C’est indispensable pour éviter les fractures dans un monde qui bouge de plus en plus vite, où les produits qui feront notre quotidien dans cinq ans n’existent même pas à l’état d’idée aujourd’hui !
Pour conclure, je veux souligner que les défis auxquels nous faisons face sont immenses, et exaltants.
La mondialisation du savoir présente bien entendu des risques, mais nous offre surtout d’immenses opportunités.
J’ai confiance dans la capacité et l’intelligence de la France de les saisir.