Les défis techniques et sociétaux du stockage des déchets nucléaires
L’impact à long terme de la filière nucléaire sur l’homme et l’environnement est directement lié au devenir des déchets nucléaires générés. La France s’est dotée d’un cadre normatif robuste et éthique, et des solutions de gestion à long terme existent. Il reste à mettre en œuvre les solutions de stockage des déchets à vie longue à l’étude et, le cas échéant, à intégrer les impacts de nouveaux scénarios de politique énergétique, incluant la construction de réacteurs supplémentaires. L’implication de la société civile autour d’une gouvernance durable et adaptée au développement progressif des centres de stockage constitue un enjeu complémentaire aux défis techniques.
Définis comme des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée, les déchets radioactifs font souvent l’objet de fabulations dans l’imaginaire collectif. Pourtant la politique française associée est structurée, pragmatique, éthique et documentée. Pourtant la politique française associée est structurée, pragmatique, éthique et documentée. Cette politique s’appuie sur le principe fondamental d’une recherche et d’une mise en œuvre de solutions pour la gestion de ces déchets. Elle ne doit pas être différée afin de prévenir et limiter les charges à supporter par les générations futures. La politique française de traitement des déchets nucléaires vise à assurer leur gestion durable, dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sûreté et de l’environnement.
Un cadre normatif robuste
Cette politique s’inscrit de nos jours dans un cadre législatif et réglementaire robuste, dont la grande majorité des dispositions sont décrites au sein du code de l’environnement. Celui-ci définit des principes de gestion des déchets radioactifs, la garantie de la disponibilité des financements nécessaires par les producteurs et des mesures de transparence, incluant des dispositions en matière d’évaluation indépendante des recherches, d’information du public et de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes. En déclinaison, l’élaboration et le suivi de la feuille de route se matérialisent par un Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), piloté par la direction générale de l’énergie et du climat au sein du ministère de la Transition écologique, actualisé tous les cinq ans et fixant un programme de recherches et de réalisations assorti d’un calendrier.
L’inventaire national et l’Andra
Indépendante des producteurs, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) est un établissement public chargé de concevoir, mettre en œuvre et garantir des solutions de gestion sûres pour l’ensemble des déchets radioactifs français sur le très long terme. Elle assure en particulier une mission de service public pour l’élaboration de l’Inventaire national. Véritable outil de référence, il fournit chaque année une vision aussi complète et exhaustive que possible des quantités de déchets radioactifs en provenance des cinq secteurs économiques : électronucléaire (centres nucléaires de production d’électricité et industries du cycle du combustible), recherche (domaine du nucléaire civil, médical, agronomie, chimie…), défense (propulsion nucléaire pour les besoins des armées), industrie non électronucléaire (extraction de terres rares, contrôle de soudure, stérilisation…) et médical (activités diagnostiques et thérapeutiques). Toutes les données sont mises à disposition du public en open data, sur inventaire.andra.fr et data.gouv.fr.
90 % des déchets radioactifs produits ont une solution de gestion à long terme
Selon la dernière mise à jour, à fin 2020, plus de 1,6 million de mètres cubes de déchets radioactifs sont présents sur le sol français, dont 60 % proviennent du secteur électronucléaire. Le mode de gestion retenu dépend de leur classification, qui repose sur deux
paramètres : le niveau de radioactivité et la période radioactive des radionucléides présents dans les déchets. Ainsi la prise en charge de chaque type de déchets nécessite la mise en œuvre ou le développement de moyens spécifiques appropriés à la dangerosité qu’ils présentent et à leur évolution dans le temps.
90 % des déchets radioactifs produits chaque année en France sont destinés à être pris en charge par l’un des trois centres industriels de stockage de surface de l’Andra, solution retenue pour assurer leur gestion à long terme. Ouvert en 1969, le Centre de stockage de la Manche est le premier centre industriel de stockage des déchets radioactifs exploité en France. Après vingt-cinq années d’exploitation, le relai a été passé au Centre de stockage de l’Aube (CSA), qui accueille depuis 1992 les déchets de faible ou moyenne activité principalement à vie courte (FMA-VC) issus des déchets d’exploitation et de maintenance des installations nucléaires. À proximité, le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) a ouvert ses portes en 2003 et accueille les déchets de très faible activité (TFA) majoritairement issus des déchets de démantèlement (outils, ferrailles, terre, gravats…). La sûreté du stockage repose sur les colis qui contiennent les déchets, les ouvrages de stockage dans lesquels sont placés les colis et la couverture de protection qui sera disposée au-dessus des ouvrages, et la géologie du site qui constitue une barrière à long terme.
Des solutions de stockage pour les déchets les plus radioactifs
Concernant les déchets radioactifs qui ne disposent pas aujourd’hui d’un mode de gestion définitif, le PNGMDR détermine les objectifs à atteindre. Les actions visant à réduire leur volume et leur nocivité ou à concevoir et réaliser des entreposages (solution temporaire) sont portées par les producteurs. La conception et la réalisation de stockages (solution définitive) sont de la responsabilité de l’Andra. Les 10 % de déchets restants ne peuvent être stockés en surface car ils contiennent une majorité de radionucléides à vie longue. Deux solutions sont notamment à l’étude par l’Andra : pour les déchets faiblement radioactifs à vie longue (FA-VL) un stockage à faible profondeur et, pour les déchets moyennement radioactifs et hautement radioactifs (MA-VL/HA), un stockage profond réversible au travers du projet Cigéo (Centre industriel de stockage géologique).
Le projet Cigéo
Ce projet concerne les déchets issus du retraitement du combustible usé servant au fonctionnement des centrales nucléaires. Après quinze ans de recherche sur les trois grandes orientations fixées par la loi n° 1991–1381, dite loi Bataille, et diverses évaluations incluant celle prévue par l’Autorité de sûreté nucléaire, le principe du stockage profond a été retenu par la loi n° 2006–739 comme étant la seule solution sûre pour gérer à long terme ce type de déchets sans en reporter la charge sur les générations futures.
“Le principe du stockage profond a été retenu comme étant la seule solution sûre.”
S’agissant de la séparation-transmutation, il a été considéré que cette solution ne pourrait pas concerner la totalité des déchets concernés. Concernant l’entreposage de longue durée, qui se définirait comme un entreposage conçu pour une durée au-delà de la centaine d’années, il a été estimé qu’il ne pouvait pas constituer une solution définitive au regard de l’exigence requise d’un contrôle continu sur le très long terme.
Enfin l’Andra s’est appuyée sur un laboratoire souterrain construit en 2000 et implanté à 490 m de profondeur, pour démontrer la faisabilité et la sûreté d’un stockage profond dans une couche de roche argileuse, stable depuis 160 millions d’années et reconnue pour son imperméabilité et sa capacité à confiner la radioactivité. À noter que la solution du stockage profond fait l’objet d’un consensus à l’international.
Des enjeux techniques et sociétaux
La conduite de ces projets présente des enjeux techniques et sociétaux notables. Pour les déchets FA-VL, la prochaine étape est de définir différents scénarios de gestion pour ces déchets et de continuer à travailler notamment sur les options techniques et de sûreté d’un potentiel stockage à faible profondeur. Dans le cas du projet Cigéo, ces dernières années ont été dédiées à la conception d’un centre industriel. Les études détaillées obtenues ont permis de franchir à l’été 2020 le jalon du dépôt du dossier de demande d’utilité publique (DUP), dont l’étude d’impact est la pièce centrale, et le jalon de dépôt de la demande d’autorisation de création est prévu très prochainement. En parallèle, des actions de concertation avec le public ont été menées, entre autres, sur la phase industrielle pilote et la gouvernance du projet.
Prévisionnel : premiers colis stockés en 2035–2040
La phase industrielle pilote correspond aux premières années de construction et de fonctionnement de Cigéo. En effet, il est prévu que cette installation d’ampleur (15 km2 de galeries souterraines et durée d’exploitation totale estimée à 120 ans) soit construite progressivement. Selon le calendrier actuel du projet, les premiers colis de déchets radioactifs sont attendus à l’horizon 2035–2040.
Cette phase pilote joue un rôle clé pour conforter les données utilisées pour la démonstration de sûreté, dans des conditions réelles et en complément des essais réalisés au laboratoire. Elle a également pour objectif de réaliser des essais sur la récupérabilité des colis, outil technique nécessaire à la réversibilité de l’installation, caractéristique entérinée par la loi n° 2016–1015.
La réversibilité se définit comme la capacité pour les générations successives soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. En parallèle du dépôt de la demande d’autorisation de création et du suivi de son instruction, les grandes étapes à venir sont la réalisation de travaux préparatoires, ainsi que la préparation des méthodes et du schéma industriel de réalisation.
Des solutions adaptables aux différents scénarios de politique énergétique de la France ?
L’Inventaire national fournit également, tous les cinq ans, des estimations prospectives des quantités de matières et déchets selon plusieurs scénarios contrastés concernant le devenir des installations nucléaires et la politique énergétique de la France à long terme.
L’analyse des inventaires prospectifs de l’édition 2018, fondés sur trois scénarios de renouvellement du parc électronucléaire français et d’un scénario de non-renouvellement (arrêt du nucléaire), met notamment en avant d’une part que des capacités supplémentaires de stockage en surface seront nécessaires dans tous les cas (nouvelles installations ou extension des installations existantes).
L’atteinte de la capacité autorisée du CSA interviendrait à l’horizon 2060 et celle du Cires à l’horizon 2040 (sous réserve de l’obtention de l’autorisation d’augmentation de capacité de stockage en projet). D’autre part, l’adaptabilité et la progressivité de l’installation Cigéo, autres outils techniques de la réversibilité du projet, permettent de s’adapter aux différents scénarios envisagés.
La question de la gestion des déchets fait partie intégrante des travaux préalables à la décision de l’État concernant la mise en œuvre de nouveaux réacteurs. Si les études préliminaires montrent que ces déchets ne présentent aucun élément technique rédhibitoire à leur prise en charge, elles ne préjugent pas des processus réglementaires et démocratiques requis pour la gestion des déchets induits par de nouveaux réacteurs.
Nul doute que l’impact d’un tel programme sur le cycle du combustible et la gestion des déchets sera abordé dans le cadre du débat public « nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly » ouvert le 27 octobre 2022. L’exercice de clarification des controverses techniques, exigé par la Commission nationale du débat public, permettra de donner des éléments factuels aux citoyens participants.