Les dérivés d’hydrogène décarboné
L’industrialisation des énergies renouvelables à travers les dérivés de l’hydrogène représente une étape importante vers un avenir énergétique durable. Les incitations d’incorporation ambitieuses, l’investissement judicieux, la collaboration interdisciplinaire et l’innovation continue seront les piliers de cette transition énergétique et écologique majeure.
Nous sommes dans un tournant critique dans la recherche de solutions durables pour répondre à la demande croissante en énergie. Dans cette quête, les dérivés d’hydrogène décarboné émergent comme des solutions prometteuses, qui permettent de résoudre les contraintes associées au stockage et au transport de l’hydrogène intermédiaire.
Les contraintes de l’hydrogène
L’hydrogène est un gaz à densité énergétique certes importante par unité de masse : 2,5 fois supérieure à celle du gaz naturel, mais faible par unité de volume : 3,5 fois inférieure à celle du gaz naturel. C’est un gaz inflammable et réactif, ce qui entraîne des contraintes en termes de gestion des risques technologiques, notamment dans le cadre des installations classées pour l’environnement et de la directive Seveso.
La liquéfaction de l’hydrogène, qui a lieu à une température extrêmement faible, proche du zéro absolu à pression atmosphérique, est coûteuse et constitue un réel défi énergétique à sa transportabilité sous forme liquéfiée. Ces contraintes ont des conséquences sur les coûts de mise à disposition, ce qui explique en partie l’absence d’un marché de l’hydrogène mondial : il n’y a pas aujourd’hui dans le monde de négoce industriel d’hydrogène autre qu’à l’échelle locale, l’hydrogène étant généralement produit et consommé sur site ou à proximité immédiate.
L’intérêt des dérivés
C’est là l’intérêt des dérivés d’hydrogène, comme l’ammoniac et le méthanol. Comme l’hydrogène, ces substances sont dangereuses (toxiques notamment, ce qui entraîne des contraintes similaires en termes de gestion des risques technologiques, notamment dans le cadre des installations classées pour l’environnement et de la directive Seveso). Néanmoins, ces molécules sont facilement stockées, transportées et commercialisées à l’échelle locale, nationale et internationale, par camions, trains et navires. Des marchés liquides existent, avec des courtiers et des courbes de prix relativement transparentes, en spot voire aussi à plus long terme. C’est un atout pour les nouvelles installations de production de dérivés d’hydrogène, qui facilite leur bancabilité et la faisabilité.
Densité énergétique |
Énergie |
Température |
|
Hydrogène liquéfié |
8,5 |
120,0 |
- 253 |
Ammoniac liquéfié |
11,5 |
18,6 |
- 33 |
Méthanol |
15,6 |
19,7 |
ambiante |
GNL |
22,2 |
53,6 |
- 162 |
GPL (propane) |
25,3 |
49,6 |
- 42 |
Diesel |
38,6 |
45,6 |
ambiante |
Le contexte global de l’hydrogène et ses dérivés
L’hydrogène et ses dérivés, produits à partir d’énergies renouvelables et d’électricité décarbonée, représentent une solution viable de remplacement des combustibles fossiles. L’ammoniac et le méthanol, en tant que dérivés de l’hydrogène, se positionnent comme des vecteurs pour l’industrialisation à grande échelle. Ces composés offrent des avantages par rapport à l’hydrogène, tels que leur capacité à être stockés et transportés efficacement, et à être utilisés facilement pour certaines applications existantes. L’ammoniac offre l’avantage de pouvoir être produit et consommé sans émission de CO2, et sans émission de gaz à effet de serre avec une technologie usuelle de traitement de fumées par exemple, avec des coûts de production par gigajoule inférieurs à ceux du méthanol. De nombreux projets industriels sont en cours de développement en Europe et aussi au-delà avec des projets de grande envergure.
L’ammoniac
L’ammoniac, NH3, quand il est produit de manière décarbonée, est synthétisé à partir d’hydrogène décarboné, H2, et d’azote, N2, extrait de l’air. Cette synthèse peut s’effectuer par le procédé Haber-Bosch utilisé dans les usines conventionnelles de production d’ammoniac. L’électricité décarbonée peut provenir du réseau d’électricité décarboné, comme le réseau français, avec ou sans garantie d’origine renouvelable.
Les électrolyseurs peuvent être de type alcalin conventionnels, comme ceux qui seront fabriqués par McPhy ou John Cockerill en France dans le cadre de leur gigafactory financée par le PIIEC Hy2Tech (projet important d’intérêt européen commun), ou bien avec PEM (Proton Exchange Membrane) comme pour Evolen, ou encore à haute température. La technologie d’électrolyse haute température développée par Genvia aussi lauréate du PIIEC Hy2Tech en France et d’autres fournisseurs européens (Topsoe, Sunfire, etc.) est particulièrement intéressante pour la synthèse d’ammoniac, car elle permet de valoriser la chaleur émise par la synthèse d’ammoniac et d’augmenter les rendements.
Un nouveau site de production sur le territoire national
GH2 développe en France sur la presqu’île d’Ambès au nord de Bordeaux le premier projet français de production d’ammoniac décarboné, qui est l’un des plus avancés en Europe. Une première phase de 100 MW d’électrolyse est prévue pour une mise en service d’ici 2028. La deuxième phase va porter la puissance d’électrolyse à près de 300 MW. Le foncier disponible permet d’envisager même une troisième phase pour accroître encore la capacité du projet, selon l’évolution de la demande.
Les dérivés d’hydrogène décarboné pour le transport et l’industrie
Les dérivés de l’hydrogène vont jouer un rôle important et croissant dans la transition énergétique et écologique du secteur des transports, en particulier maritime. L’utilisation de ces carburants, notamment de l’ammoniac, offre une voie prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre pour ce dernier. L’ammoniac peut être produit à partir de sources d’électricité renouvelable ou bas carbone, ce qui permet la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L’ammoniac décarboné permet également de renforcer notre résilience face aux fluctuations des prix du pétrole. En investissant dans l’adoption de l’ammoniac et du méthanol, les acteurs du secteur des transports suivent des contraintes réglementaires grandissantes du secteur et contribuent à la protection de l’environnement. Dans le cadre de la dernière révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III), l’intégration de ces dérivés d’hydrogène dans le mix énergétique bénéficiera à l’industrie en favorisant l’innovation et la création de nouvelles filières nationales d’approvisionnement, renforçant ainsi la souveraineté nationale de manière compétitive, résiliente et durable.
De la décision d’investir et les obstacles
L’inclusion des projets de plus de 100 MW nécessite des investissements importants, chiffrés en plusieurs centaines de millions d’euros par projet. Elle implique une structuration contractuelle permettant le financement de ces projets. En France, cela implique la consolidation préalable des incitations publiques de soutien à l’exploitation, en premier lieu en France la publication du premier appel à projets dans le cadre du mécanisme national de soutien à la production d’hydrogène décarboné. Ensuite, la transposition en droit national de RED III, avec la mise en place de la taxe incitative à la baisse d’impact climatique de l’azote, pour le soutien à la production d’e‑ammoniac. Il est possible que les premières décisions d’investissement en France pour ce type de projets interviennent dès cette fin d’année, mais plus vraisemblablement en 2025–2026.
Perspectives internationales
Au-delà des frontières françaises, l’Afrique du Nord émerge aussi entre autres comme une région stratégique pour le développement de projets d’hydrogène vert. La combinaison de vastes ressources en énergie solaire et éolienne offre un terrain propice à la production à grande échelle. Cependant, des défis logistiques, politiques et économiques doivent être surmontés pour assurer le succès de tels projets dans la région.
Planifier méticuleusement
Le déploiement à grande échelle des projets d’ammoniac et de méthanol nécessite une planification méticuleuse pour minimiser les risques technologiques associés à ces projets. L’intégration avec les infrastructures existantes et la gestion intelligente de l’intermittence des énergies renouvelables au sein du réseau doivent être prises en compte dès la conception. Les efforts de dérisquage impliquent des partenariats stratégiques en France comme à l’international, des modèles commerciaux innovants et une collaboration étroite avec les autorités régulatrices et les collectivités locales.
“Une planification méticuleuse pour minimiser les risques.”
L’Europe apporte ainsi à la France un réseau d’expertise complémentaire, notamment dans le cadre de la synthèse d’ammoniac qui nécessite l’implication de partenaires européens (notamment danois, allemands ou suisses), cette technologie n’étant pas maîtrisée sur le territoire national. En France, le paysage énergétique est en mutation rapide au sein d’un paysage international aussi mouvant. Les questions de régulation, d’acceptabilité et d’autorisation peuvent également rallonger le processus. Néanmoins, l’engagement croissant en faveur de la durabilité et les incitations gouvernementales peuvent catalyser la mise en œuvre de projets d’échelle industrielle.