Les deux vies de Jonathan GILAD (01) : La musique et le service de l’État

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°697 Septembre 2014Rédacteur : Jean SALMONA (56)

30 juin 2014, 20 heures, Amster­dam, Concert­ge­bouw : Jona­than Gilad, pia­niste, joue en trio Haydn, Men­dels­sohn, Brahms.

Le len­de­main 1er juillet, 9 heures, Ber­lin, ambas­sade de France : Jona­than Gilad, conseiller, adjoint au chef du ser­vice éco­no­mique, char­gé de l’énergie, des trans­ports et de l’environnement, pré­pare d’urgence un dos­sier pour la Direc­tion géné­rale du Trésor.

La veille, à Amster­dam, avant d’entrer en scène, il a regar­dé dans sa loge à 18 heures le match de foot France- Nigé­ria. La nuit a été courte : après le concert, ses deux par­te­naires alle­mands du trio et lui ont assis­té au match Alle­magne- Algé­rie dans un café et il a juste eu le temps de sau­ter dans le pre­mier avion du matin pour Berlin.

1992. À 11 ans, Jona­than sort du conser­va­toire de Mar­seille avec plu­sieurs pre­miers prix, médaille d’or, etc. Trop jeune pour être pris au CNSM de Paris, il com­mence des tour­nées de concerts avec l’accord du col­lège – il est en 5e – tan­dis qu’il est pris en charge pour le pia­no par Dmi­tri Bash­ki­rov, qui a quit­té l’URSS, et avec qui il tra­vaille­ra pen­dant douze ans.

Il vit déjà deux vies sépa­rées : à Mar­seille pour les études, à Madrid, où réside Bash­ki­rov, pour le pia­no. La même année, il obtient le 1er prix du concours inter­na­tio­nal Mozart et le prix de l’Académie d’été à Salzbourg.

À 15 ans, il rem­place à Chi­ca­go, en réci­tal, Mau­ri­zio Pol­li­ni souf­frant. À 17 ans, il joue le Concer­to de Schu­mann au fes­ti­val de Ber­lin sous la direc­tion de Daniel Baren­boïm, à la place de Mar­tha Arge­rich, empêchée.

Le bac pas­sé, il est admis en pré­pa à Sainte-Gene­viève, mais à la condi­tion qu’il renonce aux concerts. Il refuse, s’inscrit à la fac pour un Deug de maths par cor­res­pon­dance et pour­suit ses concerts.

Mais, sans copains, il s’ennuie. Au bout d’un an, le lycée Thiers de Mar­seille veut bien l’inscrire en math sup et fer­mer les yeux sur ses absences pour concerts sous condi­tion de résul­tats scolaires.

Il se révèle être en tête de classe tout en don­nant une tren­taine de concerts dans l’année. Au cours d’une tour­née de deux semaines sans retour au lycée, un copain lui envoie chaque jour par fax, à l’hôtel, des dizaines de pages de cours et d’exercices qu’il tra­vaille dans la jour­née entre deux répétitions.

2001, l’année des concours. Jona­than pour­suit les concerts jusqu’en avril. Il est reçu 1er aux Mines, second à Cen­trale, 6e à Nor­male sup Ulm, 7e à l’X. Il demande un entre­tien au géné­ral qui com­mande l’X. Gabriel de Noma­zy – un grand géné­ral, connu pour sa hau­teur de vues, sa proxi­mi­té avec les élèves et son ouver­ture d’esprit – accepte qu’il conti­nue ses concerts pour­vu qu’il reste dans la course sur le plan des études.

Dans ces condi­tions, Jona­than choi­sit l’X. Il en sor­ti­ra 25e après avoir don­né en moyenne une cen­taine de concerts au cours de sa sco­la­ri­té, concerts qui l’amènent aux quatre coins du monde : Bré­sil, Japon, États-Unis, etc.

Il choi­sit le corps des Ponts, à la fois par goût du ser­vice public et parce qu’il peut ain­si pour­suivre sa car­rière musi­cale dans les inter­stices du temps : congés, RTT.

Aujourd’hui, Jona­than Gilad a ajou­té une troi­sième vie à son par­cours : il est marié – à une musi­cienne – et ils ont deux enfants.

Il n’en conti­nue pas moins ses concerts, avec des pro­grammes aus­si variés, par exemple, que le Concer­to de Grieg à Pleyel en jan­vier der­nier, la Rhap­so­dy in Blue et le Concer­to en Fa de Ger­sh­win à l’Opéra de Mar­seille en novembre 2013, le 4e Concer­to de Bee­tho­ven à Lille sous la direc­tion de Jean-Claude Casa­de­sus en décembre pro­chain, un réci­tal Mozart-Cho­pin-Liszt en jan­vier 2015 à Munich, le 2e Concer­to de Rach­ma­ni­nov au Châ­te­let en avril 2015, de nom­breux concerts de musique de chambre, etc.

Avant le ser­vice éco­no­mique à Ber­lin, Jona­than était chef du ser­vice amé­na­ge­ment durable à la DDTM (ex-DDE) du Var. Ren­sei­gne­ments pris, dans les deux cas, il était, il est connu et par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié pour la rigueur de ses ana­lyses, la rapi­di­té de ses déci­sions et la fer­me­té de ses convictions.

Jona­than est par­ve­nu à ins­tau­rer une cloi­son étanche entre ses deux métiers, si bien que la plu­part de ses par­te­naires et inter­lo­cu­teurs dans l’un des métiers ignorent l’existence de son autre vie. Ce n’est pas, dit-il, par modes­tie, mais sim­ple­ment par commodité.

Ce gar­çon hors normes, qui ne se prend pas du tout au sérieux, ren­con­tré il y a peu à l’ambassade de France à Ber­lin en jeans et tee-shirt, est un tel modèle de décon­trac­tion, de gen­tillesse et de cha­leur humaine que, devant lui, on se sent désarmé.

Et si c’était cela, l’X, non pas for­ma­ter des gar­çons et des filles tous sur le même modèle, comme d’autres écoles, mais accueillir des per­son­na­li­tés diverses et les aider à se déve­lop­per dans le res­pect de nos valeurs : rigueur, liber­té, sens de l’intérêt général ?

C’est l’honneur et la fier­té de notre École d’avoir pris en main et contri­bué à façon­ner un homme de cette qualité.

2 Commentaires

Ajouter un commentaire

Petit Hen­ri-Michelrépondre
14 avril 2018 à 11 h 54 min

pierre bal­main
Bon­jour Jonathan,
je n’ai jamais oublié cet essayage de votre gilet de Dro­guet de soie bleue chez Pierre Balmain.
Le concert qui a sui­vi au Théâtre des Champs Ely­sées était superbe 23 ème concer­to pour pia­no de Mozart.
Tout cela pour vous dire que j’ai­me­rai avoir de vos nouvelles!!
Je viens de pos­té sur fac­book la pho­to que nous avions faites pour le maga­zine Gala!!

on fac­book Hen­ri Michel
Je salue cha­leu­reu­se­ment se magni­fique pianiste!!

Hen­ri-Michel Petit

Jean-Paul Schaerrépondre
23 juin 2018 à 14 h 20 min

concert du 28 juin 2018 à Saint-Tro­pez
votre par­cours per­son­nel annonce un enchan­te­ment pour tous les pré­sents et un vif plai­sir pour moi si je peux “échan­ger avec vous en rai­son de mon propre parcours

Répondre