famille des polychlorodibenzo- para-dioxines (PCDD)

Les dioxines : intoxication ou vrai problème ?

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Marie-France RENOU-GONNORD, docteur Denis BARD et Hubert de CHEFDEBIEN

Depuis l’accident de Seveso en 1974, la dioxine est considérée dans l’opinion publique comme l’un des produits les plus diaboliques engendrés par la société moderne. De quoi s’agit-il ?

Mme Renou-Gon­nord :

Depuis l’accident de Seveso en 1974, la dioxine est considérée dans l’opinion publique comme l’un des produits les plus diaboliques engendrés par la société moderne. De quoi s’agit-il ?

Mme Renou-Gon­nord :

famille des polychlorodibenzofuranes (PCDF),

Le terme de « dioxine » recouvre deux familles chi­miques, celle des poly­chlo­ro- diben­zo-para-dioxines (PCDD)

et celle des poly­chlo­ro­di­ben­zo­fu­ranes (PCDF),

soit 210 congé­nères, selon le nombre et la posi­tion d’a­tomes de chlore sub­sti­tués aux atomes d’hy­dro­gène. Seuls 17 congé­nères sub­sti­tués en 2,3,7,8 sont consi­dé­rés comme toxiques.

Le plus dan­ge­reux est la 2,3,7,8‑TétraCDD, celle de Seve­so, qui est clas­sée can­cé­ri­gène de classe 1 par l’IARC1.

On a cou­tume d’ex­pri­mer la teneur en « dioxine » par la somme pon­dé­rée des teneurs des congé­nères toxiques, les fac­teurs de pon­dé­ra­tion (TEF), variant de 0,5 à 110 000, tra­dui­sant la toxi­ci­té de cha­cun par réfé­rence à celle de la dioxine de Seve­so. La quan­ti­té expri­mée, sou­vent en nano­grammes (ng = 10-9g) ou en pico­grammes (pg = 10-12g), est donc un équi­valent toxique (TEQ) cal­cu­lé selon une conven­tion inter­na­tio­nale ; en toute rigueur on devrait por­ter la men­tion (1‑TEQ).

Cer­tains experts sug­gèrent d’é­va­luer le « risque dioxine » en consi­dé­rant en outre cer­tains poly­chlo­ro­bi­phé­nyles (PCB), dont le mode d’ac­tion vis-à-vis des récep­teurs bio­lo­giques est analogue.

Doc­teur Bard :

À la paren­té de struc­ture chi­mique de ces molé­cules, que l’on regroupe sous le terme « d’hy­dro­car­bures aro­ma­tiques poly­cy­cliques chlo­rés » (HAPC), cor­res­pond une com­mu­nau­té d’ef­fets obser­vés en toxicologie.

Comment se forment les dioxines ?

Mme Renou-Gon­nord :

Les dioxines ne sont pas des com­po­sés fabri­qués volontairement.

Pour résu­mer les voies de syn­thèse de ces com­po­sés, on peut consi­dé­rer que des dioxines se forment lorsque sont en pré­sence, entre 300 et 600 °C, du car­bone, de l’oxy­gène, de l’hy­dro­gène et du chlore.

D’a­bord iden­ti­fiées comme sous-pro­duits de fabri­ca­tion de com­po­sés chlo­rés, elles se sont révé­lées un sous-pro­duit de toutes les com­bus­tions en pré­sence de chlore.

Les méca­nismes de for­ma­tion des dioxines à par­tir de pré­cur­seurs sont élu­ci­dés, mais il demeure encore des incer­ti­tudes dans la com­pré­hen­sion des méca­nismes réac­tion­nels de for­ma­tion impli­quant des mélanges complexes.

Que deviennent ces molécules ?

Mme Renou-Gon­nord :

Elles sont peu vola­tiles et leur dis­per­sion dans l’at­mo­sphère sous forme gazeuse est négli­geable. Elles sont trans­por­tées sous forme adsor­bée sur une phase par­ti­cu­laire consti­tuée de pous­sières, sur de longues dis­tances avant de se dépo­ser à la sur­face des sols et des milieux aqua­tiques. L’é­ro­sion des sols par l’eau et le vent contri­bue à leur dispersion.

On trouve ain­si des dioxines dans tous les milieux et sur tout le globe terrestre.

Ce sont des molé­cules stables, dif­fi­ci­le­ment dégra­dables par des micro-orga­nismes ou des phé­no­mènes abio­tiques, qui ne sont détruites qu’à très haute tem­pé­ra­ture, ou par pho­to­dé­gra­da­tion à la sur­face du sol. Dès leur enfouis­se­ment, elles ont une durée de demi-vie longue, supé­rieure à dix ans pour la 2,3,7,8‑TétraCDD.

Ce sont des molé­cules lipo­so­lubles, très peu solubles dans l’eau. Elles vont s’ac­cu­mu­ler dans les chaînes tro­phiques par le biais d’in­ver­té­brés détri­ti­vores, comme le ver de terre, d’a­ni­maux vivant dans les ter­riers et des her­bi­vores. Ceci explique pour­quoi la voie ali­men­taire à tra­vers la consom­ma­tion de graisses est la voie majeure (95 %) d’in­ges­tion humaine de dioxines. L’ex­po­si­tion se mesure en pico­gramme par kg de masse cor­po­relle et par jour : pgI‑TEQ/kg/j.

ISOMÈRE PCDF​ TEF ISOMÈRE PCDD TEF
2,3,7,8‑T étraCDF
1,2,3,7,8‑PentaCDF
2,3,4,7,8‑PentaCDF​
1,2,3,4,7,8‑HexaCDF
1,2,3,7,8,9‑HexaCDF
1,2,3,6,7,8‑HexaCDF
2,3,4,6,7,8‑HexaCDF
1,2,3,4,6,7,8‑HeptaCDF
1,2,3,4,7,8,9‑HeptaCDF
OctaCDF
0,1
0,05
0,5​
0,1
0,1
0,1
0,1
0,01
0,01
0,0001
2,3,7,8‑TétraCDD
1,2,3,7,8‑PentaCDD1,2,3,4,7,​8‑HexaCDD
1,2,3,7,8,9‑HexaCDD
1,2,3,6,7,8‑HexaCDD

1,2,3,4,6,7,8‑HeptaCDD

OctaCDD

1
10,1
0,1​
0,1

0,01

0,0001

10 congénères​par­mi 135 -​ 7 c​ongénères par­mi 75 -​

Potentiel dangereux

Quelles sont en fait les conditions de l’exposition humaine aux dangers des dioxines et, plus généralement, des HAPC ?

Doc­teur Bard :

Il faut dis­tin­guer deux groupes de cas.

Les cir­cons­tances d’expo­si­tion des popu­la­tions humaines aux HAPC peuvent avoir été pro­fes­sion­nelles, lors de la pro­duc­tion volon­taire ou invo­lon­taire de ces pro­duits, résul­ter d’acci­dents de pro­duc­tion ou de conta­mi­na­tions invo­lon­taires avec pour effet, dans les deux cas, une expo­si­tion de popu­la­tions non pro­fes­sion­nelles, comme à Seve­so (Ita­lie), Times Beach (Mis­sou­ri, États-Unis), Yusho (Japon), Yucheng (Tai­wan) ; ou encore résul­ter de l’ex­po­si­tion habi­tuelle liée à l’emploi de pro­duits tels que phé­noxy-her­bi­cides, chlo­ro­phé­nols… conta­mi­nés par les PCDD/F, ou à l’u­ti­li­sa­tion des PCB.

Une cir­cons­tance d’ex­po­si­tion par­ti­cu­lière est l’é­pan­dage mas­sif de défo­liants conta­mi­nés par les PCDD/F lors de la seconde guerre du Viêt­nam. Il s’a­git en géné­ral de doses élevées.

Les niveaux d’ex­po­si­tion du public aux HAPC en « équi­valent-dioxine » sont de l’ordre de 2–4 pg/kg/j.

Comme vous l’a indi­qué Mme Renou-Gon­nord, l’expo­si­tion humaine en popu­la­tion géné­rale, non pro­fes­sion­nelle, se fait à 95 % au moins par l’a­li­men­ta­tion, à dis­tance des sources par­ti­cu­lières de ces com­po­sés. Dans les envi­rons d’une ins­tal­la­tion pro­duc­trice de HAPC, on s’at­tend à ce que la contri­bu­tion de celle-ci à l’ex­po­si­tion des popu­la­tions soit en règle géné­rale insi­gni­fiante, sauf si les rejets sont très impor­tants et si la consom­ma­tion d’a­li­ments (par­ti­cu­liè­re­ment ceux d’o­ri­gine ani­male) pro­duits sur place est très importante.

On est dans le domaine des « faibles doses », mais l’en­semble de la popu­la­tion est concerné.

Quel est le potentiel dangereux des dioxines ?

Doc­teur Bard :

Chez l’homme, de très nom­breux types de can­cers ont été asso­ciés au moins une fois à l’ex­po­si­tion au moins sup­po­sée aux HAPC. Cepen­dant, les asso­cia­tions entre expo­si­tion aux HAPC et ces can­cers sont incons­tantes. Dans les études les plus récentes et les mieux conduites, il appa­raît fré­quem­ment mais non sys­té­ma­ti­que­ment une rela­tion expo­si­tion-effet signi­fi­ca­tive, en par­ti­cu­lier à forte expo­si­tion et lorsque le temps de latence depuis la pre­mière expo­si­tion s’allonge.

C’est en par­ti­cu­lier le cas de la popu­la­tion expo­sée à Seve­so, dont le sui­vi – por­tant sur plu­sieurs dizaines de mil­liers de per­sonnes et exem­plaire sur le plan épi­dé­mio­lo­gique – a fait appa­raître des excès de can­cers à par­tir d’une dizaine d’an­nées après l’ac­ci­dent, alors qu’il n’y avait pas eu de décès à court terme.

Expé­ri­men­ta­le­ment, les HAPC sont sans aucun doute des can­cé­ro­gènes puis­sants chez l’a­ni­mal, mais ne sont pas muta­gènes. Par consé­quent, leur can­cé­ro­gé­ni­ci­té serait liée à leur action promotrice.

Ce temps de latence est un phé­no­mène géné­ral et bien docu­men­té dans la genèse des can­cers. Il a pour consé­quence que des can­cers dus à cette expo­si­tion sont sus­cep­tibles d’ap­pa­raître pen­dant de nom­breuses années à venir.

L’IARC a conclu récem­ment que la 2,3,7,8‑TCDD était un can­cé­ro­gène cer­tain pour l’homme, agis­sant vrai­sem­bla­ble­ment en pro­mo­teur non spé­ci­fique de la can­cé­ro­ge­nèse. Il s’a­git par ailleurs d’un can­cé­ro­gène de faible puis­sance chez l’homme, comme l’in­dique l’en­semble des bonnes études citées plus haut, Seve­so y compris.

Peut-on craindre des effets sur la reproduction ?

Doc­teur Bard :

Épi­dé­mio­lo­gi­que­ment, la téra­to­gé­ni­ci­té des HAPC n’a pas été démon­trée. Les PCDF sont des fœto­toxiques prou­vés, tan­dis qu’il reste pos­sible qu’un tel effet puisse aus­si être attri­bué aux PCB.

Des alté­ra­tions du déve­lop­pe­ment psy­cho­mo­teur des nou­veau-nés après expo­si­tion pré­na­tale ou péri­na­tale aux HAPC ont été obser­vées, à doses fortes ou rela­ti­ve­ment fortes. Cer­taines publi­ca­tions indiquent que ces effets pour­raient éga­le­ment sur­ve­nir chez la frac­tion du public ordi­naire la plus expo­sée, mais la lit­té­ra­ture est rela­ti­ve­ment contra­dic­toire sur ce point.

Chez l’a­ni­mal, les HAPC sont sans aucun doute téra­to­gènes (fentes pala­tines, hydro­né­phroses, reins poly­kys­tiques) et fœto­toxiques (abor­tifs notam­ment). Ils peuvent être res­pon­sables d’une baisse de la fer­ti­li­té, accroître le risque d’en­do­mé­triose chez des pri­mates et alté­rer la qua­li­té du sperme chez le rongeur.

Y a‑t-il d’autres effets redoutés ?

Doc­teur Bard :

Chez l’homme, l’ef­fet aigu le mieux démon­tré, impu­table aux HAPC, est l’ac­né chlo­rique (chlor­ac­né), qui sur­vient à forte ou très forte expo­si­tion. Plu­sieurs cen­taines de per­sonnes en ont été atteintes lors de l’ac­ci­dent de Seve­so, ce qui a consti­tué la mani­fes­ta­tion la plus évi­dente et la plus pré­coce de l’exposition.

Les alté­ra­tions du sys­tème enzy­ma­tique sont démon­trées. Les effets des HAPC sur le sys­tème immu­ni­taire semblent pro­bables, ain­si qu’une atteinte neu­ro­lo­gique, un risque de por­phy­rie et une atteinte du méta­bo­lisme lipi­dique. Les consé­quences atten­dues, par exemple une sen­si­bi­li­té accrue aux infec­tions, ne sont pas démon­trées. Les mêmes effets sont obser­vés chez l’a­ni­mal, ain­si que d’autres mani­fes­ta­tions toxiques très variées.

Comment peut-on estimer l’effet des faibles doses à partir des effets plus ou moins constatés des fortes doses ?

Doc­teur Bard :

L’ab­sence de poten­tiel muta­gène des HAPC conduit à admettre que ce sont des can­cé­ro­gènes « à seuil ». C’est la conclu­sion de l’OMS, mais pas celle de cer­taines agences américaines.

On s’at­tend aus­si, en prin­cipe, à l’exis­tence de seuils pour les autres effets toxiques, qui ont pour carac­té­ris­tique com­mune de sur­ve­nir à rela­ti­ve­ment forte dose.
Les doses mini­males effec­tives de 2,3,7,8‑TCDD obser­vées chez l’a­ni­mal pour divers effets sont au moins 1 000 fois plus fortes que celles aux­quelles est expo­sé le public.

Cepen­dant, cer­tains résul­tats expé­ri­men­taux et épi­dé­mio­lo­giques alertent sur la pos­si­bi­li­té d’ef­fets à très faibles doses (troubles du déve­lop­pe­ment psy­cho­mo­teur, atteintes du sys­tème reproductif).

Sources de dioxines

Quelles sont en France les principales sources « anthropiques » de dioxines ?

Mme Renou-Gon­nord :

Pour les industries :
– les pro­cé­dés de com­bus­tion : inci­né­ra­tion des déchets ména­gers et indus­triels, métal­lur­gie et sidé­rur­gie, indus­trie du ciment…,
– le blan­chi­ment des pâtes à papier,
– l’in­dus­trie chi­mique, les dioxines étant un sous-pro­duit de cer­taines fabrications.

Mais il faut y ajou­ter la com­bus­tion, indus­trielle et rési­den­tielle du bois et des com­bus­tibles fos­siles, la cir­cu­la­tion auto­mo­bile, même les modestes bar­be­cues… La quan­ti­té annuelle totale pro­duite en France a été esti­mée très approxi­ma­ti­ve­ment en 1996 à un mil­lier de g1-TEQ.

Il se pro­duit éga­le­ment un phé­no­mène lent de « relar­gage » de dioxines accu­mu­lées dans les sols, les sédi­ments, les végé­taux, les sites d’en­tre­po­sage de déchets…

Et la formation « naturelle » ?

Mme Renou-Gon­nord :

Il existe des sources natu­relles de dioxines, rela­ti­ve­ment impor­tantes mais non mesu­rables direc­te­ment : acti­vi­té vol­ca­nique, feux de forêts, ou encore action des micro-orga­nismes pré­sents dans les composts…

Évolution des émissions

Les émissions de dioxines datent-elles de l’essor industriel ?

Mme Renou-Gon­nord :

Il faut bien admettre l’exis­tence d’un « bruit de fond » dans l’en­vi­ron­ne­ment. Ain­si le « niveau zéro dioxine » est-il « natu­rel­le­ment » impossible.

Évi­dem­ment non. Les dioxines exis­taient déjà dans l’en­vi­ron­ne­ment, pro­ve­nant des sources natu­relles, des foyers domes­tiques et arti­sa­naux. À titre d’exemple, on a mon­tré que la teneur en dioxines dans les sols anglais était de 29 pg/g en 1846, du même ordre que celle que l’on constate aujourd’­hui en France.

Le niveau de pollution a dû beaucoup augmenter avec le développement industriel. Quelles sont les principales actions engagées pour réduire les émissions industrielles ?

Mme Renou-Gon­nord :
Traitement des fumées de Villejust 2, la première "dé-diox" de France
Trai­te­ment des fumées de Vil­le­just 2 en val­lée de Che­vreuse ; c’est sur cette uni­té qu’a été ins­tal­lée la pre­mière « dé-diox » de France Archives CNIM/Chefdebien

Elles ont com­men­cé il y a une ving­taine d’an­nées, avec une accé­lé­ra­tion dans les années 90. Un objec­tif de réduc­tion de 90 % des émis­sions entre 1985 et 2005 est ins­crit dans le cin­quième pro­gramme d’ac­tion de l’U­nion euro­péenne pour l’environnement.

Les condi­tions clas­siques de blan­chi­ment de la pâte à papier étaient très favo­rables à la pro­duc­tion de dioxine : pré­sence de phé­nols issus de la dégra­da­tion de la lignine, concen­tra­tion éle­vée en chlore, tem­pé­ra­ture. Les pape­tiers ont fait de nom­breux efforts et déve­lop­pé des pro­cé­dés de blan­chi­ment aux per­oxydes, qui ont conduit à une baisse spec­ta­cu­laire des émis­sions de dioxines.

Pour l’in­dus­trie chi­mique, les dioxines sont des sous-pro­duits indé­si­rables de la fabri­ca­tion du chlore, des PCB, des chlo­ro­phé­nols, des her­bi­cides phé­noxy­acé­tiques, des chlo­ro­ben­zènes, etc. La pro­duc­tion de la plu­part de ces com­po­sés a été inter­dite, ou abandonnée.

Dans les pays déve­lop­pés la pro­duc­tion de penta­chlo­ro­phé­nol, excellent pro­duit de conser­va­tion du bois, est en forte régres­sion. En France, le décret du 2 février 1987 régle­mente la mise en mar­ché, l’u­ti­li­sa­tion et l’é­li­mi­na­tion des PCB. Aujourd’­hui, l’in­dus­trie chi­mique ne repré­sente plus qu’une infime par­tie des sources de dioxines. On l’é­va­lue à moins de 0,1 % des émis­sions totales aux Pays-Bas. D’autre part les risques d’é­mis­sions acci­den­telles ont beau­coup diminué.

Les émis­sions des indus­tries de la métal­lur­gie et de la sidé­rur­gie, de l’ordre de 500 g1‑TEQ/an, sont en cours de réduc­tion, en appli­ca­tion d’une cir­cu­laire de novembre 1997. L’é­mis­sion glo­bale du sec­teur est pas­sée en deux ans de 300 à 120 g1‑TEQ/an.

Une valeur limite d’é­mis­sion de 0,1ng/Nm3 4 a été impo­sée aux ins­tal­la­tions d’in­ci­né­ra­tion des déchets indus­triels spé­ciaux par arrê­té du 10 octobre 1996, avec un délai pour les ins­tal­la­tions exis­tantes. Quant aux ins­tal­la­tions d’in­ci­né­ra­tion de déchets ména­gers, M. de Chef­de­bien vous en par­le­ra mieux que moi.

Exemple des usines d’incinération

L’incinération des déchets ménagers est perçue par l’opinion comme l’une des grandes pourvoyeuses de dioxines. Qu’en est-il ?

M. de Chefdebien :

En France, les émis­sions de dioxines par les usines d’in­ci­né­ra­tion de déchets repré­sen­taient en 1995, selon une esti­ma­tion de l’A­DEME, envi­ron 40 % des émis­sions indus­trielles. Mais les tech­niques de réduc­tion pri­maire et de cap­ta­tion se sont géné­ra­li­sées, per­met­tant de les dimi­nuer sensiblement.

Les dioxines se dis­so­ciant à par­tir d’en­vi­ron 600 °C, les pre­mières dis­po­si­tions adop­tées, dites pri­maires, consis­tèrent notam­ment à main­te­nir les gaz en sor­tie de foyer à 850 °C (au lieu de 750 °C aupa­ra­vant) pen­dant au moins deux secondes2. Cela per­met­tait de détruire les dioxines conte­nues dans les ordures3 et celles for­mées après la combustion.

Cepen­dant, la mise en évi­dence d’un phé­no­mène de syn­thèse de novo des dioxines, durant la phase de refroi­dis­se­ment des gaz de com­bus­tion, fit prendre conscience de la néces­si­té de cap­ter les dioxines en aval. Les dioxines s’ad­sorbent natu­rel­le­ment sur les pous­sières. L’a­mé­lio­ra­tion des per­for­mances des dépous­sié­reurs pour satis­faire à l’ar­rê­té de jan­vier 1991 a per­mis d’a­bais­ser au cours des années 90 les teneurs en dioxines à la che­mi­née à des valeurs de l’ordre du ng/Nm3 4.

Est-ce le cas de toutes les usines ?

M. de Chefdebien :

Mal­heu­reu­se­ment plu­sieurs col­lec­ti­vi­tés ont lais­sé pas­ser les échéances régle­men­taires et en 1998 quelques grosses usines dépas­saient encore ces valeurs. Mais les usines retar­da­taires seront, cette année, fer­mées ou mises en confor­mi­té avec l’ar­rê­té de 1991.

Les valeurs d’émission que vous évoquez sont-elles suffisantes ? Sait-on véritablement capter les dioxines ?

M. de Chefdebien :
Dis­po­si­tif de dosage et d’in­jec­tion de char­bon actif
Dispositif de dosage et d'injection de charbon actif pour capturer les dioxines

Compte tenu de divers fac­teurs de sécu­ri­té, l’en­semble des experts euro­péens consi­dèrent aujourd’­hui que des émis­sions infé­rieures à 0,1 ng/Nm3 de fumée garan­tissent l’ab­sence de risque pour la san­té et l’en­vi­ron­ne­ment. Cette valeur est la limite rete­nue par la CEE pour la com­bus­tion des déchets indus­triels spé­ciaux et dans son pro­jet de nou­velle direc­tive, atten­due pour la fin 1999, pour la com­bus­tion des déchets ména­gers. En France cette limite est impo­sée, depuis février 1997, aux seules usines neuves.

Sans attendre l’o­bli­ga­tion régle­men­taire, les indus­triels du trai­te­ment ther­mique des déchets (inci­né­ra­tion et valo­ri­sa­tion éner­gé­tique) ont déve­lop­pé, dès le début des années 90, des dis­po­si­tifs de cap­ta­tion des dioxines ou « dé-diox » qui per­mettent de res­pec­ter cette limite.

Pou­vant être déli­cate dans le cas d’un lavage des fumées, la « dé-diox » est rela­ti­ve­ment aisée avec des trai­te­ments des gaz par voie sèche ou semi-humide puis­qu’il suf­fit alors d’in­jec­ter du char­bon actif avant un bon dépous­sié­reur pour recueillir les dioxines adsor­bées sur le char­bon. La fia­bi­li­té des pro­cé­dés est démon­trée par de nom­breuses réfé­rences indus­trielles, dont une quin­zaine en France.

La captation des dioxines est donc possible, mais à quel prix ?

M. de Chefdebien :

Contrai­re­ment à une idée répan­due, la « dé-diox » n’est pas très oné­reuse. Tout com­pris, amor­tis­se­ment de l’in­ves­tis­se­ment plus coûts d’ex­ploi­ta­tion et d’é­va­cua­tion des rési­dus, pour atteindre 0,1 ng/Nm3, elle revient à 3 à 6 % du coût glo­bal de trai­te­ment des déchets ména­gers par voie ther­mique, ce qui ne remet nul­le­ment en cause la com­pé­ti­ti­vi­té de cette filière.

Compte tenu de l’échelonnement dans la modernisation des usines, comment évoluera le volume total d’émission ?

M. de Chefdebien :

Pour le trai­te­ment ther­mique des déchets deux cam­pagnes de mesures faites en 1997 et 1998 sur l’en­semble des usines fran­çaises de plus de 6 t/h ont per­mis de mettre en évi­dence une réduc­tion de 40 % du flux total de dioxines émis entre 1997 (500 g/an) et 1998 (300 g/an). La fer­me­ture ou la mise en confor­mi­té avec l’ar­rê­té de 1991 de quelques usines anciennes que leurs maîtres d’ou­vrage ont tar­dé à équi­per et l’en­trée en ser­vice d’ins­tal­la­tions de « dé-diox » res­pec­tant la limite de 0,1 ng/Nm3 sur les usines neuves – et sur quelques anciennes sou­cieuses de devan­cer la régle­men­ta­tion – devraient ame­ner en 1999–2000 à un total d’é­mis­sion de quelque 150 g/an.

Ensuite le flux devrait se main­te­nir à peu près constant jusque vers 2004, date d’ap­pli­ca­tion de la future direc­tive CEE aux usines exis­tantes. Lorsque tout le parc fran­çais des centres de trai­te­ment ther­mique des déchets, d’une capa­ci­té actuelle d’en­vi­ron 11 mil­lions de t/h, sera limi­té à 0,1 ng/Nm3, ses émis­sions tom­be­ront à moins de 5 g/an.

L’in­ci­né­ra­tion des déchets ména­gers est sou­vent mise en cause, alors que c’est un domaine d’ac­ti­vi­té qui aura été pion­nier en matière de « dé-diox », que les quan­ti­tés émises aujourd’­hui sont déjà bien infé­rieures à celles émises il y a quelques années et qu’elles vont encore diminuer.

Les pro­fes­sion­nels fran­çais du trai­te­ment des déchets, sou­cieux de régler au plus vite cette ques­tion, demandent une régle­men­ta­tion sans plus attendre pour limi­ter aus­si à 0,1 ng/Nm3 les émis­sions des usines exis­tantes. Pour l’ins­tant, le minis­tère de l’En­vi­ron­ne­ment n’a pas don­né suite.

Quoi qu’il en soit, le pro­blème appa­raît bien­tôt réso­lu. La géné­ra­tion la plus expo­sée aux dioxines aura été celle du baby-boom ; les petits Euro­péens du 3e mil­lé­naire en seront, eux, c’est cer­tain, qua­si­ment préservés.

Niveaux de « contamination »

Comment peut-on évaluer la « contamination » humaine ?

Mme Renou-Gon­nord :

Nous avions mon­tré il y a dix ans, en menant une étude paral­lèle sur les teneurs en dioxines des laits mater­nels et des tis­sus adi­peux des Pari­siens que le lait mater­nel était un bon indi­ca­teur de la » conta­mi­na­tion » de l’homme. La struc­ture propre à la France d’une orga­ni­sa­tion de banques de lait mater­nel faci­lite le sui­vi de cette valeur.

Comment évolue cette valeur ?

Mme Renou-Gonnord :

En 1990, les teneurs en dioxines mesu­rées dans les laits mater­nels pari­siens étaient de 20 pg/g de matière grasse (MG), com­pa­rables aux niveaux trou­vés dans la qua­si-tota­li­té des pays déve­lop­pés. Les résul­tats du plan de sur­veillance en France mené huit ans plus tard montrent une dimi­nu­tion de 25 % de ces niveaux.

Il y a donc un pro­grès très sen­sible et les mesures de réduc­tion des émis­sions devraient l’accélérer.

Mesure-t-on également les teneurs des principaux aliments ?

Mme Renou-Gon­nord :

Divers plans de sur­veillance ont por­té notam­ment sur le lait de vache. Le minis­tère de la San­té a défi­ni un niveau à atteindre infé­rieur à 1 pg/gMG et le lait conte­nant plus de 5 pg/gMG doit être détruit ; entre 3 et 5, il convient d’i­den­ti­fier les sources et de réagir. Pour d’autres ali­ments les mesures sont plus épisodiques.

Le potentiel émotionnel des dioxines ne conduit-il pas les médias à exagérer les risques lorsque les résultats sont publiés ?

M. de Chefdebien :

Un exemple inté­res­sant est celui de la viande. En mai 1998, une cam­pagne de presse repre­nant les décla­ra­tions d’une asso­cia­tion dénon­çait une pré­ten­due conta­mi­na­tion forte de la viande fran­çaise en dioxines. Dans une note cir­cons­tan­ciée, le SNIDE, syn­di­cat des construc­teurs, qui s’é­tait pro­cu­ré le rap­port d’a­na­lyse du labo­ra­toire, a mon­tré qu’au contraire les teneurs en dioxines des échan­tillons étaient remar­qua­ble­ment basses et que ces résul­tats auraient dû ras­su­rer au lieu d’in­quié­ter, mais très peu de jour­naux ont repris cette information.

Dose jour­na­lière tolé­rable pour les HAPC selon divers organismes
Dose journalière tolérable pour les HAPC selon divers organismes

La gestion du risque

Pouvez-vous replacer les mesures déjà évoquées dans le cadre d’une politique globale de gestion du risque ?

Mme Renou-Gon­nord :

On doit d’a­bord sou­li­gner l’im­por­tance des efforts de recherche dans le monde. Le congrès inter­na­tio­nal orga­ni­sé chaque année pour faire le point réunit de nom­breux spé­cia­listes ; nous étions plus de 700 au récent congrès « DIOXIN’98 ».

Les tra­vaux ne portent pas que sur les effets sur la san­té des fortes et faibles doses, d’ailleurs dif­fi­ciles car l’on ne peut conclure rapi­de­ment quand il s’a­git de réac­tions différées.

Et on se pose bien d’autres ques­tions. Il fal­lait notam­ment mieux connaître les pro­prié­tés des dioxines une fois lâchées dans la nature, déter­mi­ner les réac­tions de for­ma­tion et les moyens de les maî­tri­ser. Sur le plan de l’a­na­lyse chi­mique, la mesure des dioxines rele­vant de la pro­blé­ma­tique de l’a­na­lyse de trace a fait faire des pro­grès spec­ta­cu­laires à l’ins­tru­men­ta­tion scien­ti­fique et en par­ti­cu­lier aux méthodes de détec­tion par spec­tro­mé­trie de masse haute résolution.

Le coût d’une ana­lyse de dioxine est pas­sé de 50 KF à 4–6 KF en quinze ans, ce qui a aug­men­té consi­dé­ra­ble­ment les pos­si­bi­li­tés de sur­veillance. Il a aus­si fal­lu for­mer des pres­ta­taires de ser­vice experts et com­pé­tents. Les indis­pen­sables tra­vaux d’in­ven­taire, qui doivent concer­ner toutes les sources, sont longs, dif­fi­ciles et coû­teux, mais les pou­voirs publics s’y sont atte­lés. En France, cer­tains labo­ra­toires de recherche tra­vaillent sur les dioxines depuis près de vingt ans.

La réduction des émissions que vous nous avez indiquée est évidemment essentielle.

Mme Renou-Gon­nord :

Après l’ac­ci­dent de Seve­so, on s’est d’a­bord pré­oc­cu­pé de réduire les risques d’ex­po­si­tion acci­den­telle. La poli­tique de réduc­tion des sources conti­nues est plus récente. L’OMS, au titre de l’ap­pli­ca­tion du prin­cipe de pré­cau­tion, a recom­man­dé de réduire les sources, même si le « risque dioxine » reste encore mal évalué.

C’est aus­si la prin­ci­pale conclu­sion de l’a­vis sur les dioxines du Comi­té de la pré­ven­tion et de la pré­cau­tion du minis­tère fran­çais de l’Environnement.

Cette action est bien enga­gée et je vous ai indi­qué qu’elle com­men­çait à don­ner des résul­tats sensibles.

En 1998, on a esti­mé que la consom­ma­tion moyenne de dioxine des Fran­çais, compte tenu de nos habi­tudes ali­men­taires, était de 2 pg/kg corporel/jour.

Quelles sont les doses journalières tolérables admises pour l’exposition du public ?

Doc­teur Bard :

Dans les pays indus­tria­li­sés par­ti­cu­liè­re­ment, l’en­semble de la popu­la­tion est quo­ti­dien­ne­ment expo­sé à de faibles quan­ti­tés de HAPC.

Aux niveaux cou­rants d’ex­po­si­tion des popu­la­tions, les risques d’at­teintes du sys­tème de repro­duc­tion et du déve­lop­pe­ment psy­cho­mo­teur des enfants, sont les plus pré­oc­cu­pants, bien que leur réa­li­té ne soit pas démontrée.

Le sché­ma ci-des­sous montre la varié­té des doses jour­na­lières tolé­rables selon divers organismes.

Pour la ges­tion du risque, cer­taines agences amé­ri­caines consi­dèrent que les HAPC sont des can­cé­ro­gènes « com­plets » agis­sant sans seuil, bien que non muta­gènes. Elles appliquent un modèle d’ex­tra­po­la­tion de haute à basse dose et en déduisent une « dose vir­tuel­le­ment sûre » cor­res­pon­dant à un excès de risque de can­cer sur la vie entière de 10–6, condui­sant à une dose jour­na­lière tolé­rable infé­rieure aux niveaux moyens d’ex­po­si­tion du public.

L’ob­jec­tif rete­nu par le Conseil supé­rieur d’hy­giène publique de France est de 1 pgI-TEQ/kg/j.

En revanche, l’OMS retient une approche « toxi­co­lo­gique » par appli­ca­tion de fac­teurs de « sécu­ri­té » à la dose expé­ri­men­tale pour laquelle il n’est pas obser­vé d’ef­fet can­cé­ro­gène ou repro­duc­tif. Après avoir fixé la dose jour­na­lière accep­table à 10 pg/kg/j, cette ins­ti­tu­tion consi­dère main­te­nant que les doses jour­na­lières accep­tables se situent aux alen­tours de 1–4 pg/kg de poids corporel/jour, le fac­teur de sécu­ri­té sup­plé­men­taire tenant compte, pour une large part, de la pos­si­bi­li­té d’at­teintes du déve­lop­pe­ment psy­cho­mo­teur des nou­veau-nés à très faibles doses.

Faut-il s’affoler ?

Mme Renou-Gon­nord :

Compte tenu des fac­teurs de sécu­ri­té qui ont conduit l’OMS à un objec­tif de 1 pg/kg/jour, ne nous affo­lons pas pour une consom­ma­tion moyenne de 2 pg/kg/jour5. Quant à l’al­lai­te­ment mater­nel, l’OMS affirme que le béné­fice qu’en tire le nour­ris­son com­pense bien lar­ge­ment le risque dioxine qui serait dû à quelques mois d’allaitement.

Un der­nier point, peu scien­ti­fique certes, mais très impor­tant, ne doit pas être négli­gé. Nos concur­rents étran­gers se servent d’un label « dioxin-free » pour conqué­rir des mar­chés, qu’ils vendent des couches-culottes, des filtres à café, du lait, des pro­duits lai­tiers ou un pro­duit chi­mique. Rap­pe­lons-nous l’embargo mis par l’Al­gé­rie sur les impor­ta­tions de lait non garan­ti sans dioxine en 1991 ; les mar­chés des pro­duc­teurs euro­péens n’ont été conser­vés qu’au prix de l’a­na­lyse et de la cer­ti­fi­ca­tion des stocks de lait à exporter.

Pou­vons-nous faire l’im­passe sur le pro­blème dioxine ? Dans un contexte où labels de qua­li­té et qua­li­té de l’en­vi­ron­ne­ment sont omni­pré­sents, à tra­vers les sys­tèmes de nor­ma­li­sa­tion ISO 9000 et ISO 1400, cela serait-il bien raisonnable ?

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1. IARC : Inter­na­tio­nal Agen­cy for Research on Can­cer, basé à Lyon (CIRC : Centre inter­na­tio­nal de recherches sur le cancer).
2. C’est l’une des obli­ga­tions de l’ar­rê­té du 25 jan­vier 1991 trans­cri­vant en droit fran­çais les direc­tives CEE des 8 et 20 juin 1989 sur l’in­ci­né­ra­tion des déchets ména­gers. Ce texte était appli­cable dès 1991 aux usines neuves, fin 1996 aux exis­tantes de plus de 6 t/h et fin 2000 aux exis­tantes de moindre capa­ci­té. Il abais­sait par ailleurs les teneurs limites en pous­sières, acides, métaux lourds et autres pol­luants dans les fumées.
3. Les déchets contiennent des dioxines en quan­ti­té non négli­geable, de l’ordre de 50 000 ng/tonne, pro­ve­nant de la dis­per­sion de dioxines pro­duites dans le pas­sé, notam­ment par divers pro­cé­dés indus­triels aban­don­nés depuis.
4. Les condi­tions nor­ma­li­sées de volume (Nm3) sont 273 K, 101,3 kPa, gaz secs, 11 % d’O2.
5. Pour des infor­ma­tions com­plé­men­taires consul­ter le site dioxine : http://www.dcmr.polytechnique.fr/~mfgonn/
ou le site : http://www.dcmr.polytechnique.fr/recherche/smax/smax.htm

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