Les dioxines : intoxication ou vrai problème ?
Depuis l’accident de Seveso en 1974, la dioxine est considérée dans l’opinion publique comme l’un des produits les plus diaboliques engendrés par la société moderne. De quoi s’agit-il ?
Depuis l’accident de Seveso en 1974, la dioxine est considérée dans l’opinion publique comme l’un des produits les plus diaboliques engendrés par la société moderne. De quoi s’agit-il ?
Le terme de « dioxine » recouvre deux familles chimiques, celle des polychloro- dibenzo-para-dioxines (PCDD)
et celle des polychlorodibenzofuranes (PCDF),
soit 210 congénères, selon le nombre et la position d’atomes de chlore substitués aux atomes d’hydrogène. Seuls 17 congénères substitués en 2,3,7,8 sont considérés comme toxiques.
Le plus dangereux est la 2,3,7,8‑TétraCDD, celle de Seveso, qui est classée cancérigène de classe 1 par l’IARC1.
On a coutume d’exprimer la teneur en « dioxine » par la somme pondérée des teneurs des congénères toxiques, les facteurs de pondération (TEF), variant de 0,5 à 1⁄10 000, traduisant la toxicité de chacun par référence à celle de la dioxine de Seveso. La quantité exprimée, souvent en nanogrammes (ng = 10-9g) ou en picogrammes (pg = 10-12g), est donc un équivalent toxique (TEQ) calculé selon une convention internationale ; en toute rigueur on devrait porter la mention (1‑TEQ).
Certains experts suggèrent d’évaluer le « risque dioxine » en considérant en outre certains polychlorobiphényles (PCB), dont le mode d’action vis-à-vis des récepteurs biologiques est analogue.
À la parenté de structure chimique de ces molécules, que l’on regroupe sous le terme « d’hydrocarbures aromatiques polycycliques chlorés » (HAPC), correspond une communauté d’effets observés en toxicologie.
Comment se forment les dioxines ?
Les dioxines ne sont pas des composés fabriqués volontairement.
Pour résumer les voies de synthèse de ces composés, on peut considérer que des dioxines se forment lorsque sont en présence, entre 300 et 600 °C, du carbone, de l’oxygène, de l’hydrogène et du chlore.
D’abord identifiées comme sous-produits de fabrication de composés chlorés, elles se sont révélées un sous-produit de toutes les combustions en présence de chlore.
Les mécanismes de formation des dioxines à partir de précurseurs sont élucidés, mais il demeure encore des incertitudes dans la compréhension des mécanismes réactionnels de formation impliquant des mélanges complexes.
Que deviennent ces molécules ?
Elles sont peu volatiles et leur dispersion dans l’atmosphère sous forme gazeuse est négligeable. Elles sont transportées sous forme adsorbée sur une phase particulaire constituée de poussières, sur de longues distances avant de se déposer à la surface des sols et des milieux aquatiques. L’érosion des sols par l’eau et le vent contribue à leur dispersion.
On trouve ainsi des dioxines dans tous les milieux et sur tout le globe terrestre.
Ce sont des molécules stables, difficilement dégradables par des micro-organismes ou des phénomènes abiotiques, qui ne sont détruites qu’à très haute température, ou par photodégradation à la surface du sol. Dès leur enfouissement, elles ont une durée de demi-vie longue, supérieure à dix ans pour la 2,3,7,8‑TétraCDD.
Ce sont des molécules liposolubles, très peu solubles dans l’eau. Elles vont s’accumuler dans les chaînes trophiques par le biais d’invertébrés détritivores, comme le ver de terre, d’animaux vivant dans les terriers et des herbivores. Ceci explique pourquoi la voie alimentaire à travers la consommation de graisses est la voie majeure (95 %) d’ingestion humaine de dioxines. L’exposition se mesure en picogramme par kg de masse corporelle et par jour : pgI‑TEQ/kg/j.
Potentiel dangereux
Quelles sont en fait les conditions de l’exposition humaine aux dangers des dioxines et, plus généralement, des HAPC ?
Il faut distinguer deux groupes de cas.
Les circonstances d’exposition des populations humaines aux HAPC peuvent avoir été professionnelles, lors de la production volontaire ou involontaire de ces produits, résulter d’accidents de production ou de contaminations involontaires avec pour effet, dans les deux cas, une exposition de populations non professionnelles, comme à Seveso (Italie), Times Beach (Missouri, États-Unis), Yusho (Japon), Yucheng (Taiwan) ; ou encore résulter de l’exposition habituelle liée à l’emploi de produits tels que phénoxy-herbicides, chlorophénols… contaminés par les PCDD/F, ou à l’utilisation des PCB.
Une circonstance d’exposition particulière est l’épandage massif de défoliants contaminés par les PCDD/F lors de la seconde guerre du Viêtnam. Il s’agit en général de doses élevées.
Les niveaux d’exposition du public aux HAPC en « équivalent-dioxine » sont de l’ordre de 2–4 pg/kg/j.
Comme vous l’a indiqué Mme Renou-Gonnord, l’exposition humaine en population générale, non professionnelle, se fait à 95 % au moins par l’alimentation, à distance des sources particulières de ces composés. Dans les environs d’une installation productrice de HAPC, on s’attend à ce que la contribution de celle-ci à l’exposition des populations soit en règle générale insignifiante, sauf si les rejets sont très importants et si la consommation d’aliments (particulièrement ceux d’origine animale) produits sur place est très importante.
On est dans le domaine des « faibles doses », mais l’ensemble de la population est concerné.
Quel est le potentiel dangereux des dioxines ?
Chez l’homme, de très nombreux types de cancers ont été associés au moins une fois à l’exposition au moins supposée aux HAPC. Cependant, les associations entre exposition aux HAPC et ces cancers sont inconstantes. Dans les études les plus récentes et les mieux conduites, il apparaît fréquemment mais non systématiquement une relation exposition-effet significative, en particulier à forte exposition et lorsque le temps de latence depuis la première exposition s’allonge.
C’est en particulier le cas de la population exposée à Seveso, dont le suivi – portant sur plusieurs dizaines de milliers de personnes et exemplaire sur le plan épidémiologique – a fait apparaître des excès de cancers à partir d’une dizaine d’années après l’accident, alors qu’il n’y avait pas eu de décès à court terme.
Expérimentalement, les HAPC sont sans aucun doute des cancérogènes puissants chez l’animal, mais ne sont pas mutagènes. Par conséquent, leur cancérogénicité serait liée à leur action promotrice.
Ce temps de latence est un phénomène général et bien documenté dans la genèse des cancers. Il a pour conséquence que des cancers dus à cette exposition sont susceptibles d’apparaître pendant de nombreuses années à venir.
L’IARC a conclu récemment que la 2,3,7,8‑TCDD était un cancérogène certain pour l’homme, agissant vraisemblablement en promoteur non spécifique de la cancérogenèse. Il s’agit par ailleurs d’un cancérogène de faible puissance chez l’homme, comme l’indique l’ensemble des bonnes études citées plus haut, Seveso y compris.
Peut-on craindre des effets sur la reproduction ?
Épidémiologiquement, la tératogénicité des HAPC n’a pas été démontrée. Les PCDF sont des fœtotoxiques prouvés, tandis qu’il reste possible qu’un tel effet puisse aussi être attribué aux PCB.
Des altérations du développement psychomoteur des nouveau-nés après exposition prénatale ou périnatale aux HAPC ont été observées, à doses fortes ou relativement fortes. Certaines publications indiquent que ces effets pourraient également survenir chez la fraction du public ordinaire la plus exposée, mais la littérature est relativement contradictoire sur ce point.
Chez l’animal, les HAPC sont sans aucun doute tératogènes (fentes palatines, hydronéphroses, reins polykystiques) et fœtotoxiques (abortifs notamment). Ils peuvent être responsables d’une baisse de la fertilité, accroître le risque d’endométriose chez des primates et altérer la qualité du sperme chez le rongeur.
Y a‑t-il d’autres effets redoutés ?
Chez l’homme, l’effet aigu le mieux démontré, imputable aux HAPC, est l’acné chlorique (chloracné), qui survient à forte ou très forte exposition. Plusieurs centaines de personnes en ont été atteintes lors de l’accident de Seveso, ce qui a constitué la manifestation la plus évidente et la plus précoce de l’exposition.
Les altérations du système enzymatique sont démontrées. Les effets des HAPC sur le système immunitaire semblent probables, ainsi qu’une atteinte neurologique, un risque de porphyrie et une atteinte du métabolisme lipidique. Les conséquences attendues, par exemple une sensibilité accrue aux infections, ne sont pas démontrées. Les mêmes effets sont observés chez l’animal, ainsi que d’autres manifestations toxiques très variées.
Comment peut-on estimer l’effet des faibles doses à partir des effets plus ou moins constatés des fortes doses ?
L’absence de potentiel mutagène des HAPC conduit à admettre que ce sont des cancérogènes « à seuil ». C’est la conclusion de l’OMS, mais pas celle de certaines agences américaines.
On s’attend aussi, en principe, à l’existence de seuils pour les autres effets toxiques, qui ont pour caractéristique commune de survenir à relativement forte dose.
Les doses minimales effectives de 2,3,7,8‑TCDD observées chez l’animal pour divers effets sont au moins 1 000 fois plus fortes que celles auxquelles est exposé le public.
Cependant, certains résultats expérimentaux et épidémiologiques alertent sur la possibilité d’effets à très faibles doses (troubles du développement psychomoteur, atteintes du système reproductif).
Sources de dioxines
Quelles sont en France les principales sources « anthropiques » de dioxines ?
Pour les industries :
– les procédés de combustion : incinération des déchets ménagers et industriels, métallurgie et sidérurgie, industrie du ciment…,
– le blanchiment des pâtes à papier,
– l’industrie chimique, les dioxines étant un sous-produit de certaines fabrications.
Mais il faut y ajouter la combustion, industrielle et résidentielle du bois et des combustibles fossiles, la circulation automobile, même les modestes barbecues… La quantité annuelle totale produite en France a été estimée très approximativement en 1996 à un millier de g1-TEQ.
Il se produit également un phénomène lent de « relargage » de dioxines accumulées dans les sols, les sédiments, les végétaux, les sites d’entreposage de déchets…
Et la formation « naturelle » ?
Il existe des sources naturelles de dioxines, relativement importantes mais non mesurables directement : activité volcanique, feux de forêts, ou encore action des micro-organismes présents dans les composts…
Évolution des émissions
Les émissions de dioxines datent-elles de l’essor industriel ?
Il faut bien admettre l’existence d’un « bruit de fond » dans l’environnement. Ainsi le « niveau zéro dioxine » est-il « naturellement » impossible.
Évidemment non. Les dioxines existaient déjà dans l’environnement, provenant des sources naturelles, des foyers domestiques et artisanaux. À titre d’exemple, on a montré que la teneur en dioxines dans les sols anglais était de 29 pg/g en 1846, du même ordre que celle que l’on constate aujourd’hui en France.
Le niveau de pollution a dû beaucoup augmenter avec le développement industriel. Quelles sont les principales actions engagées pour réduire les émissions industrielles ?
Traitement des fumées de Villejust 2 en vallée de Chevreuse ; c’est sur cette unité qu’a été installée la première « dé-diox » de France Archives CNIM/Chefdebien |
Elles ont commencé il y a une vingtaine d’années, avec une accélération dans les années 90. Un objectif de réduction de 90 % des émissions entre 1985 et 2005 est inscrit dans le cinquième programme d’action de l’Union européenne pour l’environnement.
Les conditions classiques de blanchiment de la pâte à papier étaient très favorables à la production de dioxine : présence de phénols issus de la dégradation de la lignine, concentration élevée en chlore, température. Les papetiers ont fait de nombreux efforts et développé des procédés de blanchiment aux peroxydes, qui ont conduit à une baisse spectaculaire des émissions de dioxines.
Pour l’industrie chimique, les dioxines sont des sous-produits indésirables de la fabrication du chlore, des PCB, des chlorophénols, des herbicides phénoxyacétiques, des chlorobenzènes, etc. La production de la plupart de ces composés a été interdite, ou abandonnée.
Dans les pays développés la production de pentachlorophénol, excellent produit de conservation du bois, est en forte régression. En France, le décret du 2 février 1987 réglemente la mise en marché, l’utilisation et l’élimination des PCB. Aujourd’hui, l’industrie chimique ne représente plus qu’une infime partie des sources de dioxines. On l’évalue à moins de 0,1 % des émissions totales aux Pays-Bas. D’autre part les risques d’émissions accidentelles ont beaucoup diminué.
Les émissions des industries de la métallurgie et de la sidérurgie, de l’ordre de 500 g1‑TEQ/an, sont en cours de réduction, en application d’une circulaire de novembre 1997. L’émission globale du secteur est passée en deux ans de 300 à 120 g1‑TEQ/an.
Une valeur limite d’émission de 0,1ng/Nm3 4 a été imposée aux installations d’incinération des déchets industriels spéciaux par arrêté du 10 octobre 1996, avec un délai pour les installations existantes. Quant aux installations d’incinération de déchets ménagers, M. de Chefdebien vous en parlera mieux que moi.
Exemple des usines d’incinération
L’incinération des déchets ménagers est perçue par l’opinion comme l’une des grandes pourvoyeuses de dioxines. Qu’en est-il ?
En France, les émissions de dioxines par les usines d’incinération de déchets représentaient en 1995, selon une estimation de l’ADEME, environ 40 % des émissions industrielles. Mais les techniques de réduction primaire et de captation se sont généralisées, permettant de les diminuer sensiblement.
Les dioxines se dissociant à partir d’environ 600 °C, les premières dispositions adoptées, dites primaires, consistèrent notamment à maintenir les gaz en sortie de foyer à 850 °C (au lieu de 750 °C auparavant) pendant au moins deux secondes2. Cela permettait de détruire les dioxines contenues dans les ordures3 et celles formées après la combustion.
Cependant, la mise en évidence d’un phénomène de synthèse de novo des dioxines, durant la phase de refroidissement des gaz de combustion, fit prendre conscience de la nécessité de capter les dioxines en aval. Les dioxines s’adsorbent naturellement sur les poussières. L’amélioration des performances des dépoussiéreurs pour satisfaire à l’arrêté de janvier 1991 a permis d’abaisser au cours des années 90 les teneurs en dioxines à la cheminée à des valeurs de l’ordre du ng/Nm3 4.
Est-ce le cas de toutes les usines ?
Malheureusement plusieurs collectivités ont laissé passer les échéances réglementaires et en 1998 quelques grosses usines dépassaient encore ces valeurs. Mais les usines retardataires seront, cette année, fermées ou mises en conformité avec l’arrêté de 1991.
Les valeurs d’émission que vous évoquez sont-elles suffisantes ? Sait-on véritablement capter les dioxines ?
Dispositif de dosage et d’injection de charbon actif |
Compte tenu de divers facteurs de sécurité, l’ensemble des experts européens considèrent aujourd’hui que des émissions inférieures à 0,1 ng/Nm3 de fumée garantissent l’absence de risque pour la santé et l’environnement. Cette valeur est la limite retenue par la CEE pour la combustion des déchets industriels spéciaux et dans son projet de nouvelle directive, attendue pour la fin 1999, pour la combustion des déchets ménagers. En France cette limite est imposée, depuis février 1997, aux seules usines neuves.
Sans attendre l’obligation réglementaire, les industriels du traitement thermique des déchets (incinération et valorisation énergétique) ont développé, dès le début des années 90, des dispositifs de captation des dioxines ou « dé-diox » qui permettent de respecter cette limite.
Pouvant être délicate dans le cas d’un lavage des fumées, la « dé-diox » est relativement aisée avec des traitements des gaz par voie sèche ou semi-humide puisqu’il suffit alors d’injecter du charbon actif avant un bon dépoussiéreur pour recueillir les dioxines adsorbées sur le charbon. La fiabilité des procédés est démontrée par de nombreuses références industrielles, dont une quinzaine en France.
La captation des dioxines est donc possible, mais à quel prix ?
Contrairement à une idée répandue, la « dé-diox » n’est pas très onéreuse. Tout compris, amortissement de l’investissement plus coûts d’exploitation et d’évacuation des résidus, pour atteindre 0,1 ng/Nm3, elle revient à 3 à 6 % du coût global de traitement des déchets ménagers par voie thermique, ce qui ne remet nullement en cause la compétitivité de cette filière.
Compte tenu de l’échelonnement dans la modernisation des usines, comment évoluera le volume total d’émission ?
Pour le traitement thermique des déchets deux campagnes de mesures faites en 1997 et 1998 sur l’ensemble des usines françaises de plus de 6 t/h ont permis de mettre en évidence une réduction de 40 % du flux total de dioxines émis entre 1997 (500 g/an) et 1998 (300 g/an). La fermeture ou la mise en conformité avec l’arrêté de 1991 de quelques usines anciennes que leurs maîtres d’ouvrage ont tardé à équiper et l’entrée en service d’installations de « dé-diox » respectant la limite de 0,1 ng/Nm3 sur les usines neuves – et sur quelques anciennes soucieuses de devancer la réglementation – devraient amener en 1999–2000 à un total d’émission de quelque 150 g/an.
Ensuite le flux devrait se maintenir à peu près constant jusque vers 2004, date d’application de la future directive CEE aux usines existantes. Lorsque tout le parc français des centres de traitement thermique des déchets, d’une capacité actuelle d’environ 11 millions de t/h, sera limité à 0,1 ng/Nm3, ses émissions tomberont à moins de 5 g/an.
L’incinération des déchets ménagers est souvent mise en cause, alors que c’est un domaine d’activité qui aura été pionnier en matière de « dé-diox », que les quantités émises aujourd’hui sont déjà bien inférieures à celles émises il y a quelques années et qu’elles vont encore diminuer.
Les professionnels français du traitement des déchets, soucieux de régler au plus vite cette question, demandent une réglementation sans plus attendre pour limiter aussi à 0,1 ng/Nm3 les émissions des usines existantes. Pour l’instant, le ministère de l’Environnement n’a pas donné suite.
Quoi qu’il en soit, le problème apparaît bientôt résolu. La génération la plus exposée aux dioxines aura été celle du baby-boom ; les petits Européens du 3e millénaire en seront, eux, c’est certain, quasiment préservés.
Niveaux de « contamination »
Comment peut-on évaluer la « contamination » humaine ?
Nous avions montré il y a dix ans, en menant une étude parallèle sur les teneurs en dioxines des laits maternels et des tissus adipeux des Parisiens que le lait maternel était un bon indicateur de la » contamination » de l’homme. La structure propre à la France d’une organisation de banques de lait maternel facilite le suivi de cette valeur.
Comment évolue cette valeur ?
Mme Renou-Gonnord :
En 1990, les teneurs en dioxines mesurées dans les laits maternels parisiens étaient de 20 pg/g de matière grasse (MG), comparables aux niveaux trouvés dans la quasi-totalité des pays développés. Les résultats du plan de surveillance en France mené huit ans plus tard montrent une diminution de 25 % de ces niveaux.
Il y a donc un progrès très sensible et les mesures de réduction des émissions devraient l’accélérer.
Mesure-t-on également les teneurs des principaux aliments ?
Divers plans de surveillance ont porté notamment sur le lait de vache. Le ministère de la Santé a défini un niveau à atteindre inférieur à 1 pg/gMG et le lait contenant plus de 5 pg/gMG doit être détruit ; entre 3 et 5, il convient d’identifier les sources et de réagir. Pour d’autres aliments les mesures sont plus épisodiques.
Le potentiel émotionnel des dioxines ne conduit-il pas les médias à exagérer les risques lorsque les résultats sont publiés ?
Un exemple intéressant est celui de la viande. En mai 1998, une campagne de presse reprenant les déclarations d’une association dénonçait une prétendue contamination forte de la viande française en dioxines. Dans une note circonstanciée, le SNIDE, syndicat des constructeurs, qui s’était procuré le rapport d’analyse du laboratoire, a montré qu’au contraire les teneurs en dioxines des échantillons étaient remarquablement basses et que ces résultats auraient dû rassurer au lieu d’inquiéter, mais très peu de journaux ont repris cette information.
Dose journalière tolérable pour les HAPC selon divers organismes |
La gestion du risque
Pouvez-vous replacer les mesures déjà évoquées dans le cadre d’une politique globale de gestion du risque ?
On doit d’abord souligner l’importance des efforts de recherche dans le monde. Le congrès international organisé chaque année pour faire le point réunit de nombreux spécialistes ; nous étions plus de 700 au récent congrès « DIOXIN’98 ».
Les travaux ne portent pas que sur les effets sur la santé des fortes et faibles doses, d’ailleurs difficiles car l’on ne peut conclure rapidement quand il s’agit de réactions différées.
Et on se pose bien d’autres questions. Il fallait notamment mieux connaître les propriétés des dioxines une fois lâchées dans la nature, déterminer les réactions de formation et les moyens de les maîtriser. Sur le plan de l’analyse chimique, la mesure des dioxines relevant de la problématique de l’analyse de trace a fait faire des progrès spectaculaires à l’instrumentation scientifique et en particulier aux méthodes de détection par spectrométrie de masse haute résolution.
Le coût d’une analyse de dioxine est passé de 50 KF à 4–6 KF en quinze ans, ce qui a augmenté considérablement les possibilités de surveillance. Il a aussi fallu former des prestataires de service experts et compétents. Les indispensables travaux d’inventaire, qui doivent concerner toutes les sources, sont longs, difficiles et coûteux, mais les pouvoirs publics s’y sont attelés. En France, certains laboratoires de recherche travaillent sur les dioxines depuis près de vingt ans.
La réduction des émissions que vous nous avez indiquée est évidemment essentielle.
Après l’accident de Seveso, on s’est d’abord préoccupé de réduire les risques d’exposition accidentelle. La politique de réduction des sources continues est plus récente. L’OMS, au titre de l’application du principe de précaution, a recommandé de réduire les sources, même si le « risque dioxine » reste encore mal évalué.
C’est aussi la principale conclusion de l’avis sur les dioxines du Comité de la prévention et de la précaution du ministère français de l’Environnement.
Cette action est bien engagée et je vous ai indiqué qu’elle commençait à donner des résultats sensibles.
En 1998, on a estimé que la consommation moyenne de dioxine des Français, compte tenu de nos habitudes alimentaires, était de 2 pg/kg corporel/jour.
Quelles sont les doses journalières tolérables admises pour l’exposition du public ?
Dans les pays industrialisés particulièrement, l’ensemble de la population est quotidiennement exposé à de faibles quantités de HAPC.
Aux niveaux courants d’exposition des populations, les risques d’atteintes du système de reproduction et du développement psychomoteur des enfants, sont les plus préoccupants, bien que leur réalité ne soit pas démontrée.
Le schéma ci-dessous montre la variété des doses journalières tolérables selon divers organismes.
Pour la gestion du risque, certaines agences américaines considèrent que les HAPC sont des cancérogènes « complets » agissant sans seuil, bien que non mutagènes. Elles appliquent un modèle d’extrapolation de haute à basse dose et en déduisent une « dose virtuellement sûre » correspondant à un excès de risque de cancer sur la vie entière de 10–6, conduisant à une dose journalière tolérable inférieure aux niveaux moyens d’exposition du public.
L’objectif retenu par le Conseil supérieur d’hygiène publique de France est de 1 pgI-TEQ/kg/j.
En revanche, l’OMS retient une approche « toxicologique » par application de facteurs de « sécurité » à la dose expérimentale pour laquelle il n’est pas observé d’effet cancérogène ou reproductif. Après avoir fixé la dose journalière acceptable à 10 pg/kg/j, cette institution considère maintenant que les doses journalières acceptables se situent aux alentours de 1–4 pg/kg de poids corporel/jour, le facteur de sécurité supplémentaire tenant compte, pour une large part, de la possibilité d’atteintes du développement psychomoteur des nouveau-nés à très faibles doses.
Faut-il s’affoler ?
Compte tenu des facteurs de sécurité qui ont conduit l’OMS à un objectif de 1 pg/kg/jour, ne nous affolons pas pour une consommation moyenne de 2 pg/kg/jour5. Quant à l’allaitement maternel, l’OMS affirme que le bénéfice qu’en tire le nourrisson compense bien largement le risque dioxine qui serait dû à quelques mois d’allaitement.
Un dernier point, peu scientifique certes, mais très important, ne doit pas être négligé. Nos concurrents étrangers se servent d’un label « dioxin-free » pour conquérir des marchés, qu’ils vendent des couches-culottes, des filtres à café, du lait, des produits laitiers ou un produit chimique. Rappelons-nous l’embargo mis par l’Algérie sur les importations de lait non garanti sans dioxine en 1991 ; les marchés des producteurs européens n’ont été conservés qu’au prix de l’analyse et de la certification des stocks de lait à exporter.
Pouvons-nous faire l’impasse sur le problème dioxine ? Dans un contexte où labels de qualité et qualité de l’environnement sont omniprésents, à travers les systèmes de normalisation ISO 9000 et ISO 1400, cela serait-il bien raisonnable ?
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1. IARC : International Agency for Research on Cancer, basé à Lyon (CIRC : Centre international de recherches sur le cancer).
2. C’est l’une des obligations de l’arrêté du 25 janvier 1991 transcrivant en droit français les directives CEE des 8 et 20 juin 1989 sur l’incinération des déchets ménagers. Ce texte était applicable dès 1991 aux usines neuves, fin 1996 aux existantes de plus de 6 t/h et fin 2000 aux existantes de moindre capacité. Il abaissait par ailleurs les teneurs limites en poussières, acides, métaux lourds et autres polluants dans les fumées.
3. Les déchets contiennent des dioxines en quantité non négligeable, de l’ordre de 50 000 ng/tonne, provenant de la dispersion de dioxines produites dans le passé, notamment par divers procédés industriels abandonnés depuis.
4. Les conditions normalisées de volume (Nm3) sont 273 K, 101,3 kPa, gaz secs, 11 % d’O2.
5. Pour des informations complémentaires consulter le site dioxine : http://www.dcmr.polytechnique.fr/~mfgonn/
ou le site : http://www.dcmr.polytechnique.fr/recherche/smax/smax.htm