Les dysfonctionnements du cerveau, première cause de maladie
Les progrès de la recherche permettent enfin de s’attaquer à un des fléaux majeurs de la société : les maladies du cerveau. La complexité de cet organe nécessite la mobilisation de compétences venant de toutes les disciplines et le développement d’approches transversales. Cette recherche, aussi indispensable au plan social qu’au plan économique, ouvre une fenêtre sur les fonctions cognitives.
Repères
En France, une personne sur dix est confrontée à une maladie du cerveau : plus d’un million a été victime d’un accident vasculaire cérébral, 850 000 souffrent de la maladie d’Alzheimer, 500 000 d’épilepsie, 150 000 de la maladie de Parkinson, 125 000 de paralysie cérébrale et 60 000 de sclérose en plaques. Sans oublier des milliers de victimes de la sclérose latérale amyotrophique, de la Chorée de Huntington, des tumeurs cérébrales et des nombreuses maladies orphelines. À ces chiffres, il faut ajouter les maladies psychiatriques : 4 millions de dépressions – pour lesquelles les dérèglements cérébraux sont de plus en plus mis en évidence -, au moins 700 000 cas de troubles bipolaires, 600 000 cas de schizophrénie, ainsi que les addictions, l’autisme (60 000 cas). Au total, plus de 6 millions de cas graves, qui affectent directement ou indirectement plus d’un quart de la population.
Les maladies du cerveau, maladies neurologiques et maladies psychiatriques, sont dès à présent le premier enjeu en matière de santé. Des données de l’OMS indiquent qu’elles constituent 35 % de toutes les maladies en Europe. Près d’un quart de la population européenne est atteint d’une ou plusieurs pathologies du cerveau pour un coût annuel de 400 milliards d’euros.
Un quart de la population européenne est atteint d’une pathologie du cerveau
Et, bien sûr, le vieillissement des sociétés développées fait craindre un alourdissement de cette charge. Les moyens financiers investis dans la recherche sur le cerveau en Europe ne s’élevaient qu’à 4,1 milliards d’euros en 2005, soit 1 % des coûts engendrés. Les États et associations de soutien à la recherche assurent le cinquième de ces investissements, le reste étant assuré par l’industrie pharmaceutique. La recherche sur le cerveau devient donc un enjeu majeur de société.
Une recherche en réseau
Les forces mobilisées en France face à ce fléau comptent environ 2 500 neurologues et autant de chercheurs employés par l’Inserm, le CNRS, l’Institut Pasteur, les CHU, les universités et l’ENS. Une structure thématique coordonne l’ensemble de la recherche : il s’agit de l’ITMO Neurosciences qui est un des 10 instituts thématiques multi-organismes actifs en matière de recherche.
Prévoir les crises d’épilepsie
Les bénéfices d’une approche pluridisciplinaire sont illustrés par le cas suivant. Un mathématicien a reçu de la Fondation française pour la recherche sur l’épilepsie une bourse pour se joindre à une équipe travaillant sur l’épilepsie. Dans le domaine des épilepsies temporales, qui représentent environ le tiers des épilepsies, il a analysé des électro-encéphalogrammes avec les outils de la théorie du chaos et mis en évidence l’existence d’un » attracteur » qui se manifeste de deux à huit minutes avant la survenue d’une crise. Cette découverte permet d’envisager le développement de microstimulateurs intelligents capables de prévoir l’arrivée d’une crise et déclencher l’injection d’une substance pour prévenir les effets de la crise.
Cet effectif de 2 500 chercheurs est à comparer aux 9 000 chercheurs travaillant sur ce sujet dans l’Europe des Vingt-Sept. La France n’est donc pas un des pays européens les moins actifs en la matière, mais cet effort est encore loin d’être à la hauteur de ce que font les États-Unis ou le Japon.
Pour maximiser l’efficacité des équipes, il est essentiel de développer des approches à la fois pluridisciplinaires et transversales. On a effet besoin de compétences extrêmement variées dans une même équipe : spécialistes des cellules souches, neurologues, biologistes, pharmacologues, mathématiciens, informaticiens, chimistes, physiciens. En immergeant tous ces spécialistes dans les équipes de recherche, les résultats obtenus sont bien meilleurs que lorsqu’on fait appel à eux ponctuellement sans les impliquer dans la totalité du projet.
Les approches transversales permettent de mettre des efforts en commun sur des sujets intéressant diverses pathologies et créent un maillage de la recherche d’autant plus bénéfique que les découvertes se font souvent là où on ne les attend pas. C’est ce double constat qui amène la Fédération pour la recherche sur le cerveau (FRC) à aider prioritairement les actions fondées sur ces approches.
Améliorer la vie des patients
Les découvertes réalisées depuis les dix dernières années dépassent largement celles des quarante ans qui ont précédé. Quelques exemples pour illustrer ces progrès.
Gymnastique cérébrale
Au fil des ans, l’adulte a de plus en plus de mal à créer de nouveaux réseaux neuronaux, voire à maintenir les réseaux existants. C’est pourquoi il est indispensable de maintenir une stimulation du cerveau par l’environnement. Dans les cas de maladies, il a été observé que cette stimulation peut aussi compenser, au moins partiellement, certains symptômes. Des données récentes montrent même qu’un environnement enrichi pourrait protéger les neurones de la mort observée dans certains modèles expérimentaux de maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson : le cerveau ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !
La stimulation cérébrale permet d’améliorer la vie de nombreux patients. Ce terme recouvre à la fois la stimulation par l’environnement qui permet de ralentir le déclin des capacités cérébrales et la stimulation électrique appliquée en cas de pathologies neurologiques. Elle consiste en l’implantation d’électrodes par des techniques chirurgicales dans des zones bien définies du cerveau. Ces électrodes délivrent un courant de fréquence très élevée, qui inhibe l’activité neuronale, et provoquent une plasticité des circuits neuronaux, permettant de corriger les symptômes de maladies aussi bien neurologiques que psychiatriques.
Autre domaine de progrès : la génétique. Les avancées concernent en particulier les maladies neurodégénératives : elles se caractérisent par une perte neuronale progressive et sont souvent héréditaires ou multifactorielles. Elles permettent d’établir la cause principale de la maladie dans le cas où un gène est responsable : c’est l’exemple de la maladie de Huntington.
Mais dans d’autres maladies (Alzheimer, Parkinson, etc.) les facteurs sont nombreux : d’où le terme d’hérédité polygénique pour qualifier la composante génétique.
Un troisième exemple d’avancée en matière de maladies du cerveau est celui des cellules souches. La caractéristique des maladies neuro-dégénératives est la destruction des neurones et réseaux neuronaux. En parallèle aux recherches visant à arrêter ou ralentir le processus, les travaux menés sur l’emploi de cellules souches permettent d’espérer à terme un remplacement de zones atteintes par des neurones issus de cellules souches.
Les découvertes se font souvent là où on ne les attend pas
Ces premiers résultats ne doivent pas faire oublier que d’autres travaux comme ceux menés sur les canaux ioniques : ils doivent permettre de mieux comprendre la façon dont les centaines de milliards de neurones communiquent entre eux, et la raison de certains dysfonctionnements observables.
De nombreuses autres avancées mériteraient d’être citées. Il faut avant tout souligner une évolution importante de la recherche sur les maladies du cerveau : la frontière entre maladies neurologiques et maladies psychiatriques disparaît de plus en plus. Cette frontière était particulièrement sensible en France, en raison de l’influence de l’école lacanienne qui privilégie le psychique par rapport au neurologique.
Comprendre le fonctionnement du cerveau
Chorée de Huntington
Cette maladie héréditaire est relativement rare (fréquence de 1⁄10 000) et encore incurable. On a pu identifier un gène responsable chez de plus de 95 % des personnes atteintes de la maladie. Il est donc possible d’établir un diagnostic présymptomatique : une personne à risque peut ainsi connaître son statut génétique avant l’apparition des signes. Il ne s’agit pas d’un dépistage car aucun traitement préventif n’existe à ce jour. Mais le diagnostic peut faciliter la prise en charge médicale et psychologique.
Les progrès sont rapides aussi bien dans la recherche que dans les outils qui la servent. Ils permettent d’envisager des résultats concrets dans le traitement des maladies cérébrales.
Mais pour l’instant, on ne sait que ralentir le développement de la maladie et en atténuer ou neutraliser les effets. Au-delà de ces aspects purement médicaux, les recherches permettent d’ouvrir une fenêtre sur la compréhension du fonctionnement du cerveau. C’est ainsi que des travaux sur l’épilepsie ont permis de découvrir dans le cerveau plusieurs centres du rire, ce qui permet de déclencher le rire par une stimulation avec des électrodes.
L’importance des enjeux en matière de santé et de société appelle évidemment à un effort accru en matière de recherche. Une récente étude de l’Institut national de la santé aux États-Unis (NIH) a montré que le retour sur investissement en termes d’employabilité et de qualité de vie pour les patients atteints de maladie du cerveau était de 50 % par an pour la recherche thérapeutique dans ce domaine. Ce bénéfice, bien plus important que n’importe quel placement boursier, même en période florissante de la Bourse, devrait donc être considérablement augmenté pour le bénéfice de tous.
La dernière décennie du xxe siècle a été celle du cerveau aux États-Unis, tout comme celle qui vient de s’écouler au Japon. Souhaitons que, pour la France et l’Europe, la nouvelle décennie soit celle du cerveau !
Propos recueillis par Hubert Jacquet (64)
Un engagement de vingt ans
En 1989, dans la foulée du lancement de la Fondation de l’X, Bernard Esambert entreprend, pour des raisons familiales, la création de la Fondation française pour la recherche sur l’épilepsie, qui verra le jour deux ans plus tard. Mais cette Fondation est confrontée aux mêmes difficultés que des organismes similaires oeuvrant dans le domaine de la sclérose en plaques, la maladie d’Alzheimer ou d’autres affections : manque de visibilité, d’où manque de moyens et de résultats. Les cinq principales organisations soutenant la recherche sur les maladies neurologiques se fédèrent alors au sein de la Fédération pour la recherche sur le cerveau et en confient la présidence à Bernard Esambert. Elle reçoit mission de collecter et répartir des fonds pour la recherche. La plupart des autres associations sur les maladies neurologiques ont depuis rejoint cette Fédération qui collecte annuellement deux millions d’euros de dons dont la moitié issue du Rotary-Club de France.
Ces sommes sont allouées à des programmes de recherche qui associent des approches pludisciplinaires et transversales. Bernard Esambert préside également un réseau thématique de recherche avancée : l’École des neurosciences de Paris Île-de-France (ENP) qui regroupe la majorité des équipes d’excellence dans le domaine des neurosciences en Île-de-France.
L’ENP est portée par cinq établissements fondateurs : le CEA, le CNRS, l’Inserm, les universités Paris-Sud-XI et Pierre-et-Marie-Curie.
Voir le site de la FRC : www.frc.asso.fr
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tumeur
ma fille vient de subir une récidive de sa tumeur au cerveau.Opérée pour la dieme fois ;elle a trés vite récupérée.Elle a oubliée de prendre durant 2 jours ces anti-épileptiques.Elle fit une crise.Perte de la mémoire ‚dela parole,paralysie de la bouche ; est-ce réellement du à la non-prise des médicaments ? y‑a-t’il d’autres facteurs qui aurait pu entrainer cette crise ? bons résultats cliniques du a l’opération.