Les Écoles de Production
Beaucoup d’entreprises industrielles n’arrivent pas à recruter le personnel qualifié qui leur permettrait de se développer. Malgré le niveau élevé du chômage, on évalue à plusieurs dizaines de milliers le nombre d’emplois offerts qui restent non pourvus dans les seules industries mécaniques. Parmi les chômeurs, il y a les jeunes de 16 à 24 ans, qui, pour la plupart, n’ont aucune qualification. On les appelle « décrocheurs » parce qu’ils ont terminé leur scolarité en situation d’échec. Les Écoles de production proposent à ces décrocheurs une formation qui leur ouvre l’accès à ces emplois industriels non pourvus. Nous avons visité une de ces écoles à Lyon et nous avons rencontré Dominique Hiesse, le président de la Fédération nationale des écoles de production qui les rassemble (la FNEP).
Un enseignement technique valorisé
L’École de production de Gorge-de-Loup est un atelier de mécanique fabriquant à la demande des pièces métalliques. Nous avons été accueillis par le directeur dont le bureau est séparé par un vitrage de l’atelier où travaillent 45 jeunes qui préparent soit le CAP en deux ans, soit le bac professionnel en deux ans de plus. Âgés entre 15 et 20 ans, avec cinq filles parmi eux, ils passent en atelier les deux tiers du temps de leur formation et le reste en salle de cours où des enseignants qualifiés leur dispensent les matières du programme, français, maths, anglais…
Dans l’atelier qui est équipé de machines à commandes numériques de dernière génération, les élèves sont encadrés par cinq maîtres professionnels, la plupart anciens élèves de l’école. Chaque client fournit avec sa commande les plans de la pièce à fabriquer. Les maîtres professionnels tiennent compte de leur complexité pour répartir le travail en fonction de la progression en qualification des élèves.
Les élèves passent en atelier les deux tiers du temps de leur formation.
Des élèves courtisés dès l’école
L’école vend ses travaux au prix du marché ; et le produit de la vente permet de couvrir un tiers des dépenses, le reste du budget étant assuré par la collecte de la taxe d’apprentissage auprès des entreprises et des subventions de la région. Le directeur évalue le coût de la formation d’un élève équivalent à celui d’un élève en lycée professionnel.
L’atelier est une école : nous y sommes allés pour rencontrer des élèves. Ceux que nous avons interrogés nous ont confirmé qu’ils étaient sous statut scolaire et ne touchaient aucun salaire. Mais ils avaient la certitude d’un emploi en fin de formation ou d’un maître d’apprentissage pour ceux qui voulaient poursuivre en BTS. Cette certitude, ils la retiraient des rencontres avec les clients qui, venant s’enquérir de leur commande, les voyaient travailler et parfois leur proposaient directement un emploi chez eux.
« Si vous saviez le nombre d’offres d’emploi que je reçois, nous a confirmé le directeur. En ce moment sur mon bureau, il y en a 84 pour 15 élèves en fin de scolarité. »
L’école va s’agrandir pour doubler l’effectif des élèves et mieux satisfaire les besoins des entreprises en personnel qualifié. Elle a fait l’acquisition d’un terrain adjacent au sien qui lui permettra d’augmenter la surperficie de l’atelier de 50 %.
Deux élèves dans l’atelier de l’École de production de Gorge-de-Loup à Lyon.
Genèse lyonnaise des Écoles de production
En 1882, le père Boisard, ingénieur devenu prêtre, a fondé à Lyon les Ateliers d’apprentissage de l’industrie dont la mission était de former des jeunes en déshérence afin de leur donner une qualification qui permette à un chef d’entreprise, comme lui-même l’avait été, de les recruter. Il était persuadé que la mise au travail était la méthode la plus adaptée pour ceux qui voulaient apprendre un métier. « Faites d’abord, expliquez après », disait-il.
À partir de la fin du xixe siècle, plusieurs ateliers d’apprentissage ont fonctionné en région lyonnaise où des jeunes apprenaient leur métier en le pratiquant dans des ateliers travaillant pour des clients.
Les différentes filières des Écoles de Production
- Construction
- Industrie
- Automobile
- Restauration
- Métiers paysagers
- Métiers du bois
- Digital
Un réseau structuré et ambitieux
Plus récemment, le groupe Icam (Institut catholique des arts et métiers) a ouvert une École de Production sur 5 de ses 6 implantations en France. La proximité des Écoles de production avec les formations d’ingénieurs permet des échanges qui bénéficient autant aux élèves ingénieurs qu’à ceux des Écoles de production.
En France, il y a actuellement 25 écoles qui forment chaque année 800 jeunes à des emplois qualifiés. Chaque école est spécialisée dans une activité professionnelle. Elle a le statut d’une association, qui est à la fois un centre de formation délivrant des diplômes d’État et une entreprise vendant sa production. Le directeur est nommé par le conseil d’administration qui est composé d’anciens élèves et de représentants du patronat local.
Les écoles ont un excellent taux de réussite au CAP
et au bac pro.
D’excellents taux de réussite
Les jeunes sont recrutés à partir de 15 ans à la sortie du collège. Les Écoles de production se font connaître en se proposant comme entreprises d’accueil pour les stages que doivent effectuer les élèves de troisième. Elles accueillent aussi des élèves plus âgés, notamment ceux qui abandonnent le lycée professionnel en cours de scolarité ou des apprentis en rupture de contrat.
Partout comme à Lyon, les écoles ont un excellent taux de réussite au CAP (93 %) et au bac pro (100 %). La formation leur garantit un débouché emploi ou un patron d’apprentissage pour ceux qui veulent poursuivre leur formation jusqu’au BTS.
Un élève dans l’atelier d’une École de production des métiers du bois.
Un complément efficace du système éducatif traditionnel
Constituées en réseau dans le cadre de la Fédération nationale des écoles de production, les 25 Écoles de production avaient jusqu’à présent le statut d’écoles techniques privées hors contrat. Elles étaient déclarées au rectorat, mais sans aucune subvention de l’État, ni pour le fonctionnement, ni pour les investissements. La loi « Liberté pour choisir son avenir professionnel » du 1er août 2018 a accordé la reconnaissance de l’État aux Écoles de production, son article 25 précisant que « gérées par des organismes à but non lucratif, elles permettent notamment de faciliter l’insertion professionnelle de jeunes dépourvus de qualification, mettant en œuvre une pédagogie adaptée qui s’appuie sur une mise en condition réelle de production… Elles peuvent nouer des conventions, notamment à caractère financier, avec l’État, les collectivités territoriales et les entreprises. »
Elles couvrent déjà un large éventail de métiers, la mécanique, la réparation automobile, l’industrie textile, le travail du bois, la restauration, le numérique… Avec cette nouvelle loi et compte tenu du soutien de nombreuses fondations et de plus en plus de régions, la FNEP s’est donné pour objectif d’atteindre 100 écoles dans dix ans qui formeraient 4 000 jeunes par an, pour « que tout jeune en France puisse trouver une École de production près de chez lui ». La Fondation Total a signé en mars 2018 avec la FNEP une convention dans laquelle elle s’engage à verser 60 millions d’euros en dix ans pour créer soixante Écoles de production.
Un élève dans la cuisine d’une École de production de la restauration.
Une solution à l’introuvable relation formation-emploi ?
En 1986, des chercheurs ont publié un ouvrage intitulé L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France, où ils rendaient compte de leurs observations sur la difficulté d’ajuster la formation aux besoins du marché du travail. Nous avons ici l’exemple de l’industrie dont le développement est pénalisé par un déficit de plusieurs dizaines de milliers d’emplois alors que chaque année 100 000 jeunes qui terminent leur scolarité sans qualification se trouvent condamnés au chômage. La persistence de ce déséquilibre appelle des solutions qui sortent des voies classiques de formation, lycées professionnels ou centres de formation d’apprentis. Les Écoles de production obtiennent des résultats en bousculant les règles, celles de la pédagogie et aussi celles du droit du travail. Leur performance est reconnue dans les milieux de l’industrie qui prennent des engagements pour financer leur développement. Elles viennent d’être reconnues par l’État. La FNEP attend maintenant des industriels de toutes tailles qu’ils se regroupent par métier et qu’ils prennent l’initiative de créer des Écoles de production.
Pour en savoir plus : https://www.ecoles-de-production.com/