Les énergies marines renouvelables : l’innovation hydrolienne
“Une hydrolienne est de taille plus modeste qu’une éolienne de même puissance”
Outre l’éolien offshore posé, qui a déjà atteint les phases de déploiement industriel et commercial à grande échelle, l’exploitation de la ressource des courants de marées par des turbines hydroliennes pour produire de l’électricité est l’énergie la plus mature, parvenant au stade précommercial.
REPÈRES
Les EMR, utilisant l’énergie des océans, comprennent notamment l’hydrolien (énergie cinétique des marées), le houlomoteur (énergie des vagues) ou l’énergie thermique des mers (ETM). L’Agence internationale de l’énergie a évalué le potentiel mondial à 748 gigawatts en 2050, dont 100 GW pourraient être exploités en Europe.
Plus de 600 millions d’euros de financements privés ont été investis ces sept dernières années dans cette filière en pleine émergence. La France dispose de tous les atouts sur ce marché : ressource substantielle, tissu industriel expérimenté issu de l’industrie pétrolière et des chantiers navals et capacités de recherche importantes.
Les EMR forment l’une des 18 filières industrielles stratégiques de la croissance verte. Le « Grenelle de la mer » prévoit le déploiement de 6 GW d’ici 2020, dont 3 GW sont déjà lancés. Les EMR (hors éolien offshore posé) permettraient de créer 20 000 emplois d’ici 2035 en Europe.
Concepts et technologies
Une hydrolienne suit le rythme des marées qui s’inversent toutes les six heures. Les productions associées sont donc intermittentes mais très prévisibles, ce qui présente un intérêt pour leur intégration dans le réseau.
Les différents concepts d’hydroliennes. © COMMISSION ÉNERGIES MARINES DU SYNDICAT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES
Les hydroliennes sont le plus souvent complètement immergées, certaines fixées au fond, d’autres ancrées ou flottantes. Les profondeurs d’eau sont variables mais parfois importantes pour ne pas perturber le trafic maritime ou la pêche.
La première turbine hydrolienne expérimentale raccordée au réseau se situe à Hammerfest, en Norvège. D’une puissance de 0,3 MW, elle produit de l’électricité depuis 2003. Le plus grand site expérimental est en Écosse, à l’EMEC (European Marine Energy Centre), qui accueille actuellement de nombreux prototypes, de 1 MW environ.
Il existe une grande diversité de concepts : axe horizontal ou vertical mais aussi hydrofoil ou turbine à effet Venturi (voir ci-dessus).
Les prototypes existants
On assiste à une convergence vers des systèmes à axe horizontal, notamment des turbines à trois pales sans carénage, semblables aux éoliennes. Les principaux acteurs disposant de prototypes à l’échelle réelle sont Alstom, Andritz, MCT, DCNS (ci-dessous).
L’hydrolienne Oceade™ de 1,4 MW développée par Alstom et dotée d’un rotor de 18 mètres de diamètre présente l’avantage d’être flottante et détachable de sa fondation posée sur le fond marin. Elle peut ainsi être aisément récupérée en mer par des navires de type remorqueur, ce qui représente un avantage compétitif important pour les opérations de maintenance qui doivent être réalisées à terre.
Perspectives économiques et industrielles
La ressource hydrolienne est estimée entre 50 et 100 GW dans le monde (6 GW au Royaume-Uni, 3 GW en France, concentrée autour des sites raz Blanchard, raz de Barfleur et Fromveur, 3 GW au Canada et 2 GW aux États- Unis).
Bien que la mise au point récente de prototypes et de démonstrateurs permette d’envisager le développement d’une filière à fort potentiel d’exportation dans les quinze prochaines années, de nombreux efforts restent nécessaires pour concrétiser le potentiel de la France, portant sur des aspects technologiques (validation des concepts, réduction des coûts, augmentation des performances) et non technologiques (concertation étendue, réglementation, infrastructures).
Une politique incitative sera fondamentale pour permettre l’émergence d’une filière nationale compétitive, notamment par l’annonce d’objectifs ambitieux en termes de capacité installée et le lancement d’appels d’offres dédiés.
Un développement pas à pas
Le développement de l’hydrolien suit un schéma par étapes, permettant de lever progressivement les divers verrous technologiques.
Les premières études conceptuelles au début des années 2000 ont conduit à la fabrication de prototypes à échelle réduite, testés en bassin et en mer, puis à des prototypes à échelle réelle, testés notamment sur le site d’essai de l’EMEC en Écosse.
Ces étapes nécessitent un accompagnement public en matière de R & D, soutenu en France notamment par les programmes d’investissements d’avenir, par les collectivités locales (fonds régionaux ou FEDER), et par l’investissement des industriels, parfois regroupés au sein de structures collaboratives.
Les industriels de la filière ont à ce jour validé leurs prototypes à échelle réelle qui ont produit plusieurs centaines de mégawattheures sur le réseau.
Des fermes pilotes
La prochaine étape est la réalisation de fermes précommerciales de quelques hydroliennes pour valider les dernières briques technologiques (interactions entre machines, effets de sillage, robustesse, taux de disponibilité, coûts, etc.) et les éléments économiques permettant d’en maîtriser le coût complet sur plusieurs années (productible en situation réelle, coûts d’exploitation-maintenance).
Dans ce contexte l’ADEME, gestionnaire des investissements d’avenir pour les énergies renouvelables, a désigné ENGIE/Alstom et EDF EN/DCNS lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt pour la construction de deux fermes pilotes dans le raz Blanchard.
Ces fermes pilotes vont permettre aux différents acteurs d’obtenir un retour d’expérience précieux. La filière nécessitera alors des appels d’offres commerciaux pour des capacités importantes (de l’ordre de 1 GW comme pour l’éolien offshore), afin de démontrer la compétitivité de l’hydrolien en donnant suffisamment de visibilité et de volume pour diminuer le coût de l’énergie et réaliser des investissements industriels de série.
© ALSTOM
© ANDRITZ
© MARINE CURRENT TURBINES
© DCNS
Acceptation sociétale
La réussite du déploiement de la filière hydrolienne en France repose également sur des problématiques d’ordre sociétal, réglementaire et structurel. Indépendamment de la filière et de la technologie choisie, les conditions d’utilisation et d’exploitation des parcs doivent être acceptées par les populations et les usagers de la mer, à travers une large concertation préalable.
Marché européen et principaux sites français. © ENGIE
Sur le plan sociétal, l’énergie hydrolienne démontrera dans le cadre des fermes pilotes qu’elle s’intègre de façon optimale dans le milieu du point de vue environnemental et qu’elle ne perturbe pas les activités anthropiques, voire qu’elle présente un bénéfice pour l’activité économique au niveau local, régional et national.
Sur le plan réglementaire, les procédures actuelles sont lourdes et très longues. Ce cadre doit être simplifié et amélioré : la création d’un guichet unique et une adaptation des codes applicables simplifierait le processus, permettrait de minimiser les coûts de développement, stabiliserait les délais de recours et accélérerait le rythme de développement de la filière.
Enfin, pour ce qui concerne les infrastructures et réseaux, les fermes commerciales nécessiteront des adaptations des espaces portuaires, des navires permettant les opérations maritimes et des réseaux électriques assurant l’exportation de l’énergie produite. Une politique publique nationale et régionale anticipée et coordonnée est indispensable.
Une belle opportunité
L’énergie hydrolienne, propre et prédictible, suscite un intérêt croissant sur les impacts économiques et industriels qu’elle peut générer.
“ Une politique publique anticipée et coordonnée est indispensable ”
Une des questions importantes est de savoir à quel coût global l’électricité sera produite une fois la maturité atteinte et quand elle deviendra compétitive par rapport aux autres énergies décarbonées. L’étape des fermes pilotes prévue à partir de 2017 est donc fondamentale.