Les engagements volontaires : L’exemple de l’Engagement de Progrès de l’industrie chimique en France
Misère de ce siècle :
Il n’y a pas si longtemps, c’étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées ! Aujourd’hui, ce sont les bonnes.
Albert Camus
Il n’est pas surprenant que les entreprises industrielles privilégient, pour faire face aux exigences du développement durable, les démarches d’engagement volontaire aux autres instruments souvent mis en avant par les autorités, les États ou les responsables politiques : la fiscalité et les réglementations.
En effet, ces engagements volontaires sont eux-mêmes souvent le résultat de pressions extérieures (médiatiques, accidents liés à l’environnement…) et font toujours l’objet de consensus réels au sein des entreprises, ou de groupes d’entreprises. Ils permettent un réel progrès, généralement quantifiable, dans le domaine de l’amélioration de l’environnement. Ils s’inscrivent en outre dans la logique d’une économie de marché en répondant aux lois de l’offre et de la demande et en permettant d’internaliser, au coût marginal, des nuisances externes ; ce sont donc des instruments naturels pour les agents économiques qui y voient un des éléments de leur stratégie.
C’est ainsi que de nombreuses entreprises, dans tous les secteurs d’activité, ont engagé depuis plus de dix ans des démarches volontaires pour progresser dans tous les domaines ayant un impact sur l’environnement. Les résultats, tangibles et quantitatifs, démontrent que cette volonté de progrès permet de modifier en profondeur les comportements managériaux et entrepreneriaux.
L’exemple du groupe ST Microelectronics, qui a décidé en 1994 que l’ensemble de ses opérations serait revu sous le prisme du management environnemental est, à cet égard, significatif. Ainsi, toutes les activités de recherche, de développement et de production sont-elles en mesure de présenter des résultats concrets (économie d’énergie significative, consommation d’eau réduite de 75 %, réduction de 90 % des émissions de composés fluorés…) et l’entreprise est désormais engagée dans un objectif de « neutralité environnementale » sur le périmètre de ses activités propres évidemment.
D’une manière plus générale, depuis les années quatre-vingt-dix, l’industrie française s’est ainsi engagée volontairement dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est notamment le cas du groupe Péchiney, qui a réduit, en 2000 par rapport à 1990, de 73 % ses émissions, en valeur absolue, de tétrafluore de carbone (CF4), gaz comptabilisé dans le cadre du protocole de Kyoto.
En 1996, la Fédération française de l’acier et la Chambre syndicale nationale des fabricants de chaux grasses et magnésiennes se sont engagées à réduire leurs émissions respectives de CO2.
Compte tenu du caractère international du sujet, il est important de rappeler les termes anglo-saxons et leurs équivalents en français :
Responsible Care : Engagement de Progrès.
Product stewardship : Gestion responsable des produits.
Stakeholders : Parties prenantes.
ICCA : International Council of Chemical Associations.
Dans le domaine du ciment, c’est le Syndicat français de l’industrie cimentière qui prévoyait de réduire de 25 % entre 1990 et 2000 la totalité de ses émissions de CO2 en provenance de la consommation de combustibles fossiles.
Dans le secteur de l’automobile, l’ACEA vise également à réduire à 140g/km d’ici 2008 les émissions moyennes de CO2 pour les voitures particulières neuves (commercialisées dans l’Union européenne par l’ACEA).
Pour ne pas être en reste, dans le secteur des services, la société Trois Suisses France se propose de réduire de 25 % ses émissions de gaz carbonique, par des mesures portant sur la consommation d’énergie sur les sites de l’entreprise, et sur les conditions de transport des marchandises vendues. L’engagement contient aussi bien l’amélioration des coefficients de remplissage que le choix de transports (véhicules fonctionnant au gaz de pétrole liquéfié, au gaz naturel ou à l’électricité).
Tout aussi significatif est « l’Engagement de Progrès »® de l’industrie chimique française, déclinaison hexagonale du programme « Responsible Care »®.
Un petit historique
Le programme Responsible Care est une initiative développée au Canada par la CCPA – Canadian Chemical Producers Association – en 1985 et adoptée depuis par 47 pays membres de l’ICCA, dont les entreprises représentent plus de 80 % de la production chimique mondiale en volume.
L’industrie chimique, dont la contribution au progrès économique et social, au développement de la qualité de la vie et au bien-être est indiscutable, s’engage, à travers le Responsible Care, non seulement à améliorer de façon régulière et continue ses performances en termes de sécurité et de protection de la santé et de l’environnement, mais également à montrer que ces améliorations sont effectives, répondant ainsi aux attentes du public.
En France, si la chimie s’est engagée dans ce programme en 1990, c’est que forte de l’expérience acquise dans le domaine de la maîtrise des questions de sécurité et de protection de l’environnement, elle se sentait alors prête à prendre un tel engagement.
On peut en particulier citer quelques actions dont la profession avait eu l’initiative au cours des années précédentes :
- mise au point de fiches de données de sécurité pour ses clients, fiches ensuite adoptées quasiment telles quelles par l’Afnor,
- mise en place de systèmes d’assistance divers lors d’accidents de transport de matières dangereuses qui ont conduit à la signature de la convention nationale Transaid par l’UIC et les pouvoirs publics,
- engagements de certains secteurs de la chimie en ce qui concerne l’impact de leurs produits sur l’environnement : les fabricants de peinture et la réduction de la teneur en solvants de certaines de leurs gammes, les producteurs d’engrais et la promotion des bonnes pratiques agricoles, les producteurs de matières plastiques et le recyclage des bouteilles de PVC.
Il était, à l’époque, apparu aux responsables de l’industrie chimique qu’un engagement solennel de progrès, signé par les chefs d’entreprises, pouvait également convaincre les pouvoirs publics et l’opinion que l’industrie chimique maîtrisait ses problèmes de sécurité, de protection de la santé et de l’environnement. Cela permettrait aussi de donner corps à la dimension environnementale du développement durable, et de renforcer l’indispensable cohésion de la profession déjà décriée pour le caractère » polluant » de ses procédés de production.
L’Union des industries chimiques, depuis 1990, date officielle du lancement, invite les présidents de sociétés qui lui sont affiliées à signer personnellement les neuf principes directeurs de l’Engagement de Progrès pour l’amélioration de la sécurité, de la protection de la santé et de l’environnement résumés ci-dessous :
- conformité de la politique de l’entreprise avec l’engagement,
- implication du personnel à tous les niveaux,
- appréciation et sélection des sous-traitants et contractants,
- amélioration des performances,
- information du personnel,
- information des clients, du public et des autorités,
- optimisation des ressources, minimisation des déchets,
- contribution à la recherche,
- promotion et partage d’expériences.
L’Engagement de Progrès a, à ce jour, été signé par plus d’un tiers des sociétés membres qui représentent la moitié des sites chimiques et plus de 90 % du chiffre d’affaires de l’industrie chimique française.
Le cœur de cet engagement, qui repose sur le volontariat, est bien la volonté de l’entreprise non seulement de respecter les dispositions réglementaires et les recommandations professionnelles, de mettre en œuvre les meilleures pratiques industrielles, mais également « de chercher constamment à améliorer ses performances dans les domaines de la sécurité, de la protection de la santé et de l’environnement ».
Deux objectifs pour la profession
Un objectif interne : mobiliser toutes les entreprises :
- en diffusant les principes et les pratiques de l’Engagement de Progrès (y compris le Product Stewardship) ;
- en aidant les entreprises à les mettre en œuvre ;
- en s’assurant de l’amélioration continue des performances HSE (Hygiène, Sécurité, Environnement) de l’ensemble des adhérents de l’UIC.
Un objectif externe : gagner la confiance de tous les » stakeholders » en communiquant de façon plus systématique sur les réalisations et les performances de la profession avec toutes les parties intéressées :
- au niveau local : personnel des entreprises, communautés voisines, administrations, élus, médias ;
- au niveau national : administrations, grand public, médias ;
- au niveau international : associations de chimistes mondiaux, administrations européenne et « onusienne ».
Quatre thèmes stratégiques qui font l’objet d’actions prioritaires
Au-delà des objectifs globaux, qui sont très largement partagés, par toutes les entreprises, grands groupes internationaux ou PME, installés en France, le programme » Engagement de Progrès » a fait récemment l’objet d’un plan d’action concret actuellement en cours de réalisation.
La mobilisation et le rassemblement de toutes les entreprises chimiques françaises
Alors qu’il y a plus de 1 200 entreprises de plus de vingt salariés, en France, opérant dans le domaine de la chimie (code NAF 24. de l’INSEE), seulement à peine 400 sont signataires de l’Engagement de Progrès.
Par un prosélytisme quotidien, tous les acteurs du programme s’emploient donc à augmenter le nombre de signataires ; un partage régulier des expériences dans le domaine HSE, un processus de mise à disposition d’experts auprès des PME permettent notamment d’argumenter en faveur de l’adhésion à l’Engagement de Progrès ; l’objectif est ici de doubler le nombre d’entreprises signataires dans un délai de trois ans.
La collecte et la publication d’indicateurs de performance
La récente mise en œuvre d’un questionnaire annuel permet non seulement une consolidation des données pour les entreprises chimiques en France, dans les domaines de la sécurité et de la santé au travail, de l’environnement (air, eau, déchets, sites et sols…), de l’énergie et des transports, mais aussi et surtout permet de visualiser les progrès accomplis par ce secteur industriel depuis 1990.
Il s’inscrit aussi dans un contexte de « reporting » international et l’industrie chimique est ainsi en mesure de communiquer l’évolution de son programme aux instances internationales, telles que la Commission européenne, le PNUE1, le WBCSD2, etc.
Le renforcement de la communication interne et externe
Secteur particulièrement touché en France par la récente catastrophe de Toulouse, l’industrie chimique doit impérativement se « réconcilier » avec la population pour assurer son développement ; sans nier le caractère dangereux de ses produits, l’industrie chimique s’emploie à communiquer sur sa réelle maîtrise des risques, sur l’utilisation qui est faite de ces produits, et bien évidemment sur les enjeux qu’elle représente pour l’économie et pour l’emploi.
La démarche « Engagement de Progrès » est indiscutablement un atout spécifique du secteur qui mérite une meilleure reconnaissance de la part du public, des médias et des ONG.
Il incombe ainsi à toutes les entreprises signataires de présenter un plan de communication au même titre qu’elles répondent à l’enquête annuelle sur les principaux indicateurs HSE.
Le développement du « Product Stewardship »
Le « Product Stewardship » (Gestion responsable des produits) est le volet le plus complexe à mettre en œuvre dans l’Engagement de Progrès. En effet, il consiste à impliquer tous les acteurs de la chaîne logistique (fournisseurs, clients, distributeurs, utilisateurs finaux) dans un processus harmonisé où tous s’engagent, malgré des intérêts quelquefois divergents, à œuvrer dans la même direction.
C’est en prenant en compte cette complexité que les industriels ont adopté une démarche très pragmatique, consistant à cibler des actions précises sur les produits chimiques : à titre indicatif, on peut citer :
- un accord entre les producteurs d’éther de glycol (classés toxiques pour la reproduction) qui a permis de mettre en place un système d’engagement formel de leurs distributeurs d’en contrôler les ventes pour qu’aucun produit ne soit utilisé pour des applications grand public ;
- des relations plus régulières avec la chaîne aval (grande distribution) et une volonté d’harmonisation dans le domaine de l’étiquetage et de l’information des consommateurs ;
- un accord liant formellement le secteur de la distribution de produits chimiques et par lequel ce dernier s’engage à mettre en œuvre l’Engagement de Progrès, à l’instar des industriels.
Ces thèmes prioritaires font l’objet de revues systématiques par les commissions ad hoc qui s’emploient à maintenir la dynamique de ce programme ; car le risque d’essoufflement, au bout de douze ans, est bien réel et perceptible et c’est précisément ce risque qu’il est indispensable de prévenir, en faisant preuve de créativité et de dynamisme collectif.
Les résultats, indiscutables, auxquels ont permis d’aboutir les engagements volontaires, témoignent ainsi de la réelle pertinence de ce type d’instruments pour les acteurs économiques.
Pour des renseignements plus complets sur les programmes « Engagement de Progrès » et « Responsible Care », consulter les sites Web de l’UIC (www.uic.fr) et et de l’ICCA (www.icca-chem.org).
1. Programme des Nations unies pour l’environnement.
2. World Business Council for Sustainable Development.