Les enjeux de la compétitivité française des services

Dossier : Les Challenges de la crise : conjuguer performance et croissanceMagazine N°668 Octobre 2011
Par Georges VIALLE (71)
Par Bruno DESPUJOL

REPÈRES

REPÈRES
Le sec­teur des ser­vices repré­sente plus de 77% de l’emploi en France. Il est carac­té­ri­sé par une décen­tra­li­sa­tion très forte des opé­ra­tions, lais­sant un poids essen­tiel à l’hu­main et à l’i­ni­tia­tive locale, ain­si qu’aux entre­prises indé­pen­dantes. Il consti­tue un mar­ché gigan­tesque, trois fois plus impor­tant que l’in­dus­trie, mais encore très frag­men­té et peu mature dans de nom­breux cas. La part du mar­ché struc­tu­rée par les grandes et moyennes entre­prises devrait dou­bler dans les quinze pro­chaines années.

Alors que les fer­me­tures d’u­sines et le spectre de la dés­in­dus­tria­li­sa­tion concentrent l’es­sen­tiel du débat public, les ser­vices demeurent encore dans » l’angle mort » des poli­tiques publiques.

Déva­lo­ri­sé par un cer­tain nombre d’i­dées reçues, le sec­teur des ser­vices occupe pour­tant le coeur de la crois­sance fran­çaise. Avec seule­ment 10 % de son acti­vi­té direc­te­ment consom­mée par les entre­prises agri­coles et indus­trielles, il est sou­mis à des logiques de déve­lop­pe­ment propres qui ne doivent plus être igno­rées des décideurs.

Une forte logique de croissance

Depuis 1945, l’his­toire du sec­teur des ser­vices est celle d’une crois­sance conti­nue. Glo­ba­le­ment, le sec­teur a connu en France une crois­sance moyenne annuelle de 4% sur la période 1960- 2009 et a contri­bué à 85 % de la crois­sance du PIB, selon l’Insee.

Le sec­teur des ser­vices est au coeur de la crois­sance française

Le sec­teur met en oeuvre des modèles inédits de crois­sance accé­lé­rée, comme la fédé­ra­tion d’ac­teurs locaux dans le cadre de réseaux volon­taires ou de fran­chises (hôtel­le­rie, res­tau­ra­tion en par­ti­cu­lier) ou de par­te­na­riats stra­té­giques, qui per­mettent d’ac­cé­lé­rer le posi­tion­ne­ment sur de nou­veaux pro­duits ou de nou­veaux marchés.

De sur­croît, depuis la fin des années 1990, la révo­lu­tion numé­rique et la mon­dia­li­sa­tion sti­mulent la crois­sance et offrent des pers­pec­tives consi­dé­rables. De fait, la part moyenne des reve­nus réa­li­sés à l’é­tran­ger par les treize pre­mières entre­prises fran­çaises de ser­vices (hors ser­vices finan­ciers) du CAC 40 était de 54 % en 2010, contre 51 % en 2000.

Un manque de productivité

Mal­gré ses bons résul­tats actuels, la France des ser­vices laisse appa­raître des fai­blesses qui pour­raient à terme fra­gi­li­ser l’é­qui­libre du sec­teur et le dyna­misme de ses acteurs. Pre­mière fai­blesse fran­çaise : la pro­duc­ti­vi­té. Le taux de marge des entre­prises de ser­vices a per­du près de dix points en cin­quante ans. Dans un contexte de forte crois­sance, les entre­prises ont peu acti­vé les leviers de per­for­mance opé­ra­tion­nelle. Ain­si, en quinze ans, la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail a aug­men­té de 50% dans l’in­dus­trie, contre 10% dans les ser­vices mar­chands. La France est éga­le­ment han­di­ca­pée par le coût du tra­vail – qui a aug­men­té dans les ser­vices de 24%, contre 12% en Alle­magne sur la période 2000–2008.

Une atomisation des entreprises

L’a­to­mi­sa­tion du mar­ché fran­çais consti­tue une deuxième fra­gi­li­té. Le mar­ché fran­çais des ser­vices est le plus frag­men­té des grands pays de ser­vices. L’es­sen­tiel (94 %) des entre­prises fran­çaises de ser­vices compte moins de dix sala­riés (contre 86% en Alle­magne et 79% aux États-Unis). Cette frag­men­ta­tion du mar­ché rend vul­né­rable le sec­teur en atti­rant des « pré­da­teurs » venus de l’é­tran­ger, comme le montre l’exemple des tour-opérateurs.

La France, cham­pionne des services
Avec des acteurs très pré­sents à l’in­ter­na­tio­nal et lea­ders sur leurs mar­chés, la France est un des trois lea­ders mon­diaux des ser­vices et le « cham­pion mon­dial » dans les ser­vices aux entre­prises et aux col­lec­ti­vi­tés. Elle a réus­si à faire émer­ger une série de cham­pions natio­naux, loco­mo­tives euro­péennes et par­fois mon­diales dans leurs métiers respectifs.
Viven­di, Accor, Car­re­four, Veo­lia, GDF Suez, EDF, la Fran­çaise des Jeux ou encore la SNCF sont ain­si aux pre­miers rangs mon­diaux. La France s’im­pose comme lea­der sur 30% des seg­ments des ser­vices, dans le top 3 mon­dial sur 60% des seg­ments et dans le top 10 sur plus de 90%.

Trop peu d’investissements

Enfin, l’in­ves­tis­se­ment et l’in­no­va­tion marquent aujourd’­hui le pas. Les dépenses de R&D des entre­prises fran­çaises de ser­vices sont par­mi les plus faibles de l’OCDE. Elles tendent à dimi­nuer le mon­tant de leurs inves­tis­se­ments (-6,7% en 2009 et ‑2,7% en 2010). La posi­tion de la France est faible dans l’in­for­ma­tique ou les ser­vices à valeur ajou­tée qui affichent des taux de crois­sance res­pec­tifs de 20 % et 16 % par an en moyenne dans l’OCDE entre 2003 et 2008.

L’es­sen­tiel des entre­prises de ser­vices fran­çaises compte moins de dix salariés

Consé­quence de la taille insuf­fi­sante de ses entre­prises et des limites de son posi­tion­ne­ment : la France des ser­vices perd des parts de mar­ché. Elle est pas­sée en 2007 du 3e au 4e rang mon­dial en termes d’ex­por­ta­tions (der­rière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Al­le­magne). La crois­sance de ses expor­ta­tions (8,8 % par an en moyenne entre 2003 et 2008) est bien en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE (13,9 %) et a for­tio­ri de la Chine et des autres grands pays émergents.

Innover, consolider et investir

Aujourd’­hui, trois impé­ra­tifs s’im­posent aux diri­geants des entre­prises pour inver­ser la ten­dance de façon durable : inno­ver en capi­ta­li­sant sur les poten­tia­li­tés de la révo­lu­tion numé­rique ; conso­li­der le mar­ché fran­çais et amé­lio­rer la per­for­mance opé­ra­tion­nelle pour finan­cer les inves­tis­se­ments et la crois­sance ; et enfin inves­tir et se déployer à l’international.


Évo­lu­tion de la part des ser­vices dans la valeur ajoutée
Évo­lu­tion 1960–2009, mil­liards d’euros (prix constants)

Les révo­lu­tions des services Trentre glo­rieuses

Aug­men­ta­tion du reve­nu des ménages condui­sant à l’a­chat de ser­vices et autres « biens supérieurs »

Chocs pétro­liers
(1973−1979)

Exter­na­li­sa­tion des acti­vi­tés non cœur de métier dans l’in­dus­trie et déve­lop­pe­ment du ser­vice clients

Déré­gle­men­ta­tion
(années 1980)

Ouver­ture des mar­chés (sup­pres­sion des mono­poles et des bar­rières douanières)

Appa­ri­tion d’Internet

Révo­lu­tion numé­rique : déve­lop­pe­ment de nou­veaux canaux de dis­tri­bu­tion de ser­vices (Inter­net, mobile, TV)

Début XXIe

Mon­dia­li­sa­tion des ser­vices : explo­sion des échanges inter­na­tio­naux de ser­vices et mise en réseau des ser­vices de proximité.

Sti­mu­lé par quatre phé­no­mènes cumu­la­tifs, le mar­ché des ser­vices en France a connu depuis 1945 une croissance
continue.

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