Les équipementiers face à la mondialisation

Dossier : Automobile, les nouveaux horizonsMagazine N°663 Mars 2011
Par Guy MAUGIS (73)

REPÈRES

REPÈRES
Le groupe Bosch, créé en 1886 à Stutt­gart, est pré­sent dans le domaine des tech­niques indus­trielles, des biens de consom­ma­tion et des tech­niques du bâti­ment. Son appar­te­nance à une Fon­da­tion lui per­met d’a­voir une stra­té­gie à long terme. Chaque année il inves­tit ain­si plus de 3,5 mil­liards d’eu­ros en recherche et déve­lop­pe­ment et dépose plus de 3 000 bre­vets. Bosch emploie 280 000 col­la­bo­ra­teurs dans plus de 60 pays, et est repré­sen­té dans 150 pays. Ins­tal­lé depuis 1909 en Chine et 1953 en Inde, il béné­fi­cie aujourd’­hui de l’ex­plo­sion de ces marchés.

Marchés de l’automobile

La Chine avec un mil­liard quatre cents mil­lions d’ha­bi­tants, déjà à la pre­mière place mon­diale en 2010, recèle un poten­tiel de crois­sance impor­tant : 40 véhi­cules pour mille habi­tants à com­pa­rer à une moyenne mon­diale de 120 et à 700 véhi­cules pour mille habi­tants aux États-Unis.

L’Inde sera sans conteste le pro­chain réser­voir de crois­sance mondiale

L’Inde, avec un mil­liard deux cents mil­lions d’ha­bi­tants, une nata­li­té plus impor­tante que la Chine, et envi­ron 10 véhi­cules pour mille habi­tants sera sans conteste le pro­chain réser­voir de crois­sance mon­diale. Un équi­pe­men­tier se doit d’être pré­sent sur ces mar­chés, au niveau com­mer­cial mais aus­si en pro­duc­tion et en déve­lop­pe­ment. Cette pré­sence per­met de par­ti­ci­per à leur crois­sance et sur­tout de mieux com­prendre leurs besoins, leur évo­lu­tion, et de pro­po­ser des pro­duits adap­tés à leurs spécificités.

Tata Nano

La Tata Nano a vou­lu s’af­fir­mer à son lan­ce­ment comme le véhi­cule le moins cher du monde. Le concept de véhi­cule low price avait émer­gé depuis plu­sieurs années, notam­ment avec le suc­cès de la Dacia Logan, mais Rajan Tata a sou­hai­té atteindre, avec le pro­jet Nano, un objec­tif extrême.

Cette demande a créé une cer­taine sur­prise, beau­coup de ques­tions, voire d’in­quié­tude pour des ingé­nieurs basés à Stutt­gart et plus habi­tués à déve­lop­per les moteurs six ou huit cylindres. Cepen­dant, c’est grâce à la coopé­ra­tion de nos bureaux d’é­tudes à Stutt­gart, en Inde et en Chine, que nous avons pu éla­bo­rer le sys­tème d’in­jec­tion de la Tata Nano. Les méthodes d’in­no­va­tion déve­lop­pées à cette occa­sion portent aujourd’­hui leurs fruits et nous ont per­mis de relan­cer notre manière de conce­voir l’innovation.

Diver­si­fier les approches
Pour le sys­tème d’in­jec­tion de la Tata Nano, trois démarches concou­rantes ont été menées depuis trois régions dif­fé­rentes avec des cultures et des per­cep­tions des exi­gences clients dif­fé­rentes : sim­pli­fi­ca­tion des sys­tèmes exis­tant sur les véhi­cules clas­siques ; amé­lio­ra­tion des sys­tèmes exis­tant sur les vélo­mo­teurs ; créa­tion ex nihi­lo depuis une feuille blanche.
Cette diver­si­té d’approche a per­mis ensuite une syn­thèse fructueuse.

Le deuxième béné­fice, au-delà de l’a­mé­lio­ra­tion des méthodes, est ensuite de réuti­li­ser ce qui a été mis au point dans ce cadre pour par­ve­nir à sim­pli­fier et à réduire les coûts des sys­tèmes plus tra­di­tion­nels exis­tant en Europe en remet­tant en cause des idées établies.

Désor­mais ces allers retours Europe-Inde ou Europe-Chine se révèlent extrê­me­ment fruc­tueux et géné­ra­teurs d’i­dées nou­velles par le ques­tion­ne­ment per­ma­nent qu’ils génèrent. L’exis­tence d’un réseau de R&D déployé mon­dia­le­ment, au-delà de la capa­ci­té qu’il offre de mieux sai­sir les attentes locales des clients et de déve­lop­per des pro­duits qui leur sont adap­tés, per­met en plus de géné­rer une accé­lé­ra­tion de la créa­tion par le bras­sage qu’il crée.

La culture des experts se modi­fie : faire simple devient l’ex­pres­sion d’une cer­taine forme d’es­thé­tique indus­trielle, néces­si­tant une par­faite maî­trise de son art. Le » tou­jours plus com­plexe » perd quelque peu ses lettres de noblesse.

Tra­vailler pour les sys­tèmes de la Tata Nano devient aus­si « noble » que d’être dans l’é­quipe de mise au point des moteurs de for­mule 1. Cette forme de » révo­lu­tion cultu­relle » n’é­tait pas pré­vue, mais découle très clai­re­ment du béné­fice conju­gué d’une demande client modi­fiée et d’un bras­sage mul­ti­cul­tu­rel intense.

Ressources humaines

PRODUCTION D’AUTOMOBILES
Région 2010 2015 2018
Amé­rique du Nord 11,8 15,1 15,7
Europe des 27 16,4 20,4 20,7
Europe hors UE 2,3 4,0 4,6
Monde 74,0 97,7 104,4
Amé­rique latine 4,1 5,0 5,7
Asie hors Japon-Corée 24,8 35,9 40,1
Japon-Corée 14,0 16,3 16,6
Mil­lions de véhi­cules pro­duits annuel­le­ment. Source Glo­bal Insight.

Au démar­rage d’une nou­velle acti­vi­té dans un pays, les pre­mières équipes sont natu­rel­le­ment consti­tuées d’ex­pa­triés qui apportent le savoir et trans­mettent la culture. Cela per­met d’ailleurs de confier à des cadres plu­tôt jeunes d’as­sez larges res­pon­sa­bi­li­tés qu’ils n’au­raient sans doute pas eues dans leur pays d’o­ri­gine, et un degré de liber­té assez grand. Expé­rience enri­chis­sante et for­ma­trice pour tous.

Mais avec le temps, il se déve­loppe loca­le­ment une élite de cadres diri­geants com­pé­tents qui n’ac­ceptent pas for­cé­ment très bien l’ar­ri­vée de jeunes cadres étran­gers, dont les coûts sont très lar­ge­ment supé­rieurs aux leurs, et dont la valeur ajou­tée risque d’être dis­cu­tée s’ils n’ap­portent pas une com­pé­tence tech­nique indé­niable. Pré­sent en Chine depuis 1909 et en Inde depuis 1922, l’in­ter­na­tio­nal fait par­tie de la culture du groupe Bosch depuis sa créa­tion en 1886. Cepen­dant, il reste vital dans un groupe inter­na­tio­nal de pou­voir don­ner aux cadres de la natio­na­li­té de la mai­son mère une expé­rience réelle de direc­tion à l’étranger.

Il reste vital de don­ner aux cadres une expé­rience réelle de direc­tion à l’étranger

Bosch en fait d’ailleurs un cri­tère indis­pen­sable pour les pro­mo­tions. Les posi­tions d’une expa­tria­tion, tra­di­tion­nel­le­ment réser­vée à des cadres de haut niveau, s’o­rientent donc de plus en plus vers des postes de début de car­rière, et concernent de jeunes ingé­nieurs qui vont à l’é­tran­ger autant pour se for­mer que pour trans­mettre un savoir tech­no­lo­gique ou orga­ni­sa­tion­nel. Cela leur per­met­tra plus tard, lors­qu’ils se ver­ront confier des postes à res­pon­sa­bi­li­té mon­diale, d’être beau­coup plus effi­caces, par l’ex­pé­rience mul­ti­cul­tu­relle que ces postes leur auront apportée.

Par ailleurs, avec l’aug­men­ta­tion des effec­tifs dans ces zones, le nombre d’im­mi­grés en Alle­magne ou en France, en pro­ve­nance de Chine, d’Inde ou du Bré­sil ne cesse d’aug­men­ter. L’ac­cès aux postes de direc­tion dans ces pays sup­po­sant éga­le­ment une culture inter­na­tio­nale et un bon réseau dans le groupe.

Enfin, une des dif­fi­cul­tés ren­con­trées au cours des der­nières années a été, mal­gré une implan­ta­tion de longue durée dans les pays étran­gers, celle de la trans­mis­sion des valeurs et de la culture de l’en­tre­prise. En effet, la crois­sance extrê­me­ment rapide des effec­tifs en Inde ou en Chine ne per­met plus vrai­ment de comp­ter sur l’as­si­mi­la­tion pro­gres­sive de la culture par les nou­veaux arri­vants. Dans cer­tains cas, un site de plu­sieurs cen­taines de per­sonnes étant mon­té en quelques mois, avec guère plus d’une dizaine » d’anciens « .

Culture d’en­tre­prise
Pour trans­mettre les valeurs et la culture de l’en­tre­prise, très fortes chez Bosch, il a fal­lu en 2007 docu­men­ter par écrit et orga­ni­ser des for­ma­tions pour faire face à la crois­sance rapide dans les pays émer­gents. En effet, si en Europe la majo­ri­té de l’en­ca­dre­ment du groupe a une grande ancien­ne­té, ce n’est pas le cas en Chine ou en Inde, ni dans cer­tains éta­blis­se­ments qui ont connu une crois­sance très rapide. Cet exer­cice s’est d’ailleurs révé­lé un outil de cohé­sion effi­cace lors de la crise de 2009, le groupe s’é­tant « recen­tré » sur ses valeurs.

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