Les équipes franco-américaines
Qu’appelle-t-on une équipe ?
Que ce soit dans le monde du travail français ou américain, une équipe est toujours un groupe de gens qui travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun. Malheureusement, les similarités entre équipes françaises et équipes américaines ne vont pas plus loin et un des plus gros écueils auquel sont confrontées les équipes franco-américaines est la notion même d’équipe.
La facilité que l’on a à traduire le mot français » équipe » par » team » cache une réalité toute différente, à savoir que le comportement attendu d’un » bon joueur d’équipe » français n’est pas du tout celui qui est attendu d’un » good team player » américain. Comparons d’abord le fonctionnement des équipes américaines et françaises avant d’étudier les équipes comprenant des Français et des Américains.
Comparaison des équipes américaines et françaises
Les Américains sont très individualistes et on peut même dire que les États-Unis sont le pays le plus individualiste du monde. La notion d’équipe, qui correspond à un phénomène collectif, ne colle pas à ce penchant individualiste. Pour cette raison, une équipe américaine est un groupe de gens (de » joueurs » ou » players « , comme disent les Américains) qui ont chacun un rôle et des responsabilités individuels bien définis au sein de l’équipe.
Chacun remplit son rôle en parallèle des autres membres de l’équipe et leurs actions s’additionnent pour aboutir au résultat recherché. Cette addition ou coordination des tâches individuelles est du ressort du chef d’équipe ; les membres de l’équipe ne jouent aucun rôle à ce niveau.
Par contraste, les équipes françaises sont généralement plus soudées. L’objectif de l’équipe devient un objectif commun auquel les intérêts particuliers deviennent subordonnés. La devise des équipes françaises est » Un pour tous, tous pour un. »
La devise des équipes américaines peut se résumer en » si nous avons un bon plan d’action et que chacun d’entre nous fait ce que le plan dit qu’il doit faire, nous réussirons. » Lorsqu’un groupe d’Américains se réunit pour la première fois en tant qu’équipe (lors de la » réunion du coup d’envoi » ou » kick-off meeting »), chaque Américain cherche à répondre aux questions suivantes :
- quel est mon rôle ?
- quelles sont mes responsabilités ?
- où est la ligne de démarcation entre mes responsabilités et celles des autres membres de l’équipe ?
Dans une équipe française, la première question qui se pose est généralement : » qui fait partie de l’équipe ? qui en est exclu ? » La réponse à cette question a un impact très important sur les interactions entre les gens, puisque la quantité d’information partagée avec les autres membres de l’équipe est bien plus importante que la quantité d’information partagée avec les gens qui ne font pas partie de l’équipe.
Cette distinction n’est pas aussi importante dans une équipe américaine. La quantité d’information partagée avec les autres membres de l’équipe est certes plus importante que la quantité d’information partagée avec ceux qui n’en font pas partie, mais la différence est beaucoup moins marquée qu’en France.
On peut représenter schématiquement les deux types d’équipe de la manière suivante. Si le travail de l’équipe est un cercle, chaque membre de l’équipe est responsable d’une partie de ce cercle. Aux États-Unis, les responsabilités des uns et des autres sont très clairement délimitées. Elles sont beaucoup moins nettement délimitées en France (figure 1).
Dans une équipe américaine, chacun se préoccupe de ses tâches et ne doit pas interférer avec les tâches ou responsabilités des autres membres de l’équipe. Par exemple, si Joe et Mike travaillent sur le même projet, Joe ne peut pas faire de commentaires en public sur les résultats obtenus par Mike ; seul Mike (ou le chef de toute l’équipe) peut commenter ces résultats.
La différence de comportement entre équipiers américains et français est particulièrement frappante dans le cas où les membres de l’équipe évaluent différemment les progrès effectués par l’un deux. Par exemple, supposons que, dans l’équipe américaine, le chiffre 1 représente Joe et le chiffre 4 représente Mike. Supposons aussi que Joe pense que Mike n’avance pas assez vite dans son travail et n’aura pas obtenu à la date convenue les données dont Joe a besoin pour son rapport. Que doit faire Joe dans cette situation ?
La première réaction de Joe sera la même que celle qu’aurait la majorité des Français dans cette situation : Joe va aller voir Mike pour lui parler de ces données. Dans cette conversation, Joe va souligner l’importance de ces données pour son rapport et le fait qu’il a besoin de les recevoir à la date convenue pour pouvoir terminer son rapport en temps et en heure. Joe peut aller jusqu’à demander à Mike quelle est la probabilité que Mike lui fournisse ces données comme convenu ; il n’ira probablement pas plus loin (figure 2).
Si cette conversation ne donne pas de résultat (c’est-à-dire que Joe a toujours l’impression que Mike ne va pas lui fournir les données à la date convenue), l’étape suivante dans une équipe américaine consiste à aller voir Sally, le chef d’équipe. Joe dira en substance à Sally qu’il est inquiet pour le rapport, qu’il veut vraiment le livrer à temps, qu’il a besoin de recevoir les données de Mike à telle date pour cela et qu’il espère bien que ces données seront là au rendez-vous. Joe n’en dira généralement pas plus, parce qu’il ne peut que parler de son travail ; tout commentaire sur le travail des autres doit être fait dans le contexte de l’impact de ce travail sur le sien.
Dans une équipe française, la première étape est la même : si Michel pense que Gérard ne va pas lui donner les données dont il a besoin à temps, Michel ira voir Gérard pour savoir ce qu’il en retourne. Si cela n’aboutit pas, Michel va proposer à Gérard de l’aider à obtenir les données en question. Si Michel juge que Gérard a vraiment besoin d’aide, Michel se mettra au travail sans même attendre la réponse de celui-ci et commencera lui-même à assembler les données dont il aura besoin pour son rapport (figure 3).
Les équipes franco-américaines
Lorsqu’une équipe compte Français et Américains dans ses rangs, ces différences de conception de ce qu’est une équipe peuvent rapidement tourner au vinaigre, comme le démontre la situation suivante.
Un chercheur américain travaillant dans un laboratoire de l’X est en train d’installer un nouvel équipement qui vient de lui être livré. Un collègue français lui propose de l’aider. L’Américain répond qu’il n’a pas besoin d’aide. Le Français ignore la réponse de l’Américain et se met à déballer une partie de l’équipement. Ce faisant, il casse une des pièces les plus importantes. L’Américain est hors de lui.
Pour les Américains, le comportement normal des Français va directement à l’encontre de ce qu’ils ont appris depuis leur plus tendre enfance, à savoir que l’on ne s’occupe pas des affaires des autres. Lorsque Michel suggère à Mike que celui-ci pourrait avoir besoin d’aide, Mike le prend comme un affront personnel très grave ; Mike interprète ce geste comme : » Mon pauvre ! Tu ne vas jamais t’en sortir ! Tu es totalement incapable ! Laisse-moi t’aider. »
Dans l’exemple précédent, le chercheur américain est totalement outré parce que s’il a explicitement demandé qu’on ne l’aide pas, il ne peut absolument pas comprendre pourquoi quelqu’un l’aiderait quand même. La succession d’événements qui suit sa réponse négative n’a alors plus aucun sens pour lui et il se sent totalement désarmé, sans recours.
De la même manière, le comportement normal des Américains va à l’encontre de ce que les Français apprennent depuis leur plus jeune âge, à savoir qu’il faut s’entraider dans la vie et qu’on doit laver son linge sale en famille. Lorsque les Américains vont voir leur chef d’équipe pour exprimer leurs inquiétudes concernant la bonne marche du projet, les Français l’interprètent comme un coup de poignard dans le dos. Les Américains sont alors considérés comme des délateurs, avec toute la connotation négative de ce terme.
Dans les deux cas, le résultat est le même : la confiance est perdue. Le Français ne fait plus confiance à l’Américain qui l’a poignardé et l’Américain ne fait plus confiance au Français qui l’a traité d’incapable. Pour éviter de se retrouver dans le même pétrin, ils vont tous deux limiter la quantité et la qualité des informations qu’ils fournissent à l’autre.
La situation se dégrade en général assez vite : les Français de l’équipe vont aller déjeuner ensemble et parler de cet incident ; si aucun d’eux ne comprend le mode de fonctionnement des équipes américaines, ils se mettront rapidement d’accord sur le fait qu’on ne peut pas faire confiance aux Américains.
De leur côté, les Américains vont se retrouver pour un » happy hour » et discuter des progrès de l’équipe. Si aucun d’entre eux ne comprend le mode de fonctionnement des équipes françaises, ils tomberont vite d’accord sur le fait qu’on ne peut pas faire confiance aux Français.
Résultat des courses : l’équipe franco-américaine devient alors la somme de deux équipes, une française et une américaine, qui travaillent en parallèle et communiquent entre elles le moins possible. Toute information fournie par une équipe à l’autre est disséquée, analysée et vérifiée indépendamment, ce qui fait perdre beaucoup de temps. Si cette situation dure, il n’est pas rare que les deux équipes entrent en conflit ouvert ou larvé et se fassent concurrence. Il est alors fréquent que la hiérarchie de l’équipe dissolve l’équipe et annule le projet.
Conclusion
L’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est certainement le cas des équipes franco-américaines, car le comportement normal des uns va directement à l’encontre des attentes des autres. Comme ces problèmes sont créés à l’interface entre les deux nationalités, ils sont souvent mal diagnostiqués et donc mal traités.
Comme les Américains ressemblent souvent physiquement aux Français, il est facile d’oublier les différences importantes de méthodes de travail et de façon de penser qui existent entre les États-Unis et la France (cet oubli est très rare dans le cas de Français travaillant avec des Japonais, par exemple). Ces différences sont très réelles et doivent être prises en compte lorsqu’Américains et Français travaillent ensemble afin qu’ils puissent bénéficier des synergies potentielles entre ces deux cultures.
ITAP Canada est une compagnie offrant des services de consultation et de formation interculturelle.