Les Etats-Unis, superpuissance de la connaissance
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis dominent le paysage scientifique et universitaire de la planète avec un marché colossal qui draine cerveaux et entrepreneurs du monde entier. Un système original, combinant intervention du gouvernement fédéral et initiatives privées, a permis de nourrir et d’entretenir ces succès. Mais, face à une économie de la connaissance de plus en plus globalisée, certaines faiblesses apparaissent aujourd’hui.
REPÈRES
Avec 368 milliards de dollars en 2007 (2,6 % de leur PIB), les États-Unis totalisent encore aujourd’hui 36 % des dépenses mondiales R&D, emploient 70 % des prix Nobel venus du monde entier, et abritent les trois quarts des quarante meilleures universités du monde. Ces résultats impressionnants sont entérinés par la place récurrente des États-Unis aux premiers rangs de l’index de compétitivité du Forum économique mondial (la France se positionnant 16e en 2009).
La réussite du système américain semble reposer sur trois piliers. Tout d’abord, le gouvernement fédéral, en consacrant 55 milliards de dollars à la recherche fondamentale, est le moteur de la découverte scientifique. Outre les laboratoires fédéraux, le gouvernement s’appuie sur une centaine d’universités massives qui s’imposent comme des pôles magnétiques internationaux. Enfin, à travers des partenariats de qualité avec le monde académique, le secteur privé prend le relais en investissant considérablement dans la recherche appliquée et le développement.
La puissance publique fédérale, moteur de la recherche fondamentale
Le budget fédéral est responsable de 52 % du soutien de la recherche fondamentale qui est pratiquée quasi-exclusivement dans les laboratoires fédéraux et universitaires.
Les établissements d’enseignement supérieur ne subissent aucune tutelle administrative de la part du gouvernement fédéral
Chaque Ministère – Department- dispose de sa propre enveloppe budgétaire avec une ou plusieurs agences thématiques affiliées. Sur les quatorze Departments, huit agences/ministères thématiques dont la National Science Foundation captent 97% des financements fédéraux. Deux grands domaines de R&D sont nettement privilégiés par le Gouvernement fédéral : la Défense (Department of Defense) qui concentre 60% du soutien de R&D et les Sciences de la Vie avec 21% du total.
Des Universités américaines entre autonomie et dépendance
Aux Etats-Unis, les établissements d’enseignement supérieur ne subissent aucune tutelle administrative de la part du gouvernement fédéral. Leurs dépenses de fonctionnement sont assurées en premier lieu par les Etats en ce qui concerne les établissements publics (36%) et par les droits d’inscriptions ‑fees- en ce qui concerne les établissements privés (43%). Par contre la conduite de projets de recherche ne dépend aucunement de leur statut ‑public, privé lucratif ou non lucratif- mais des processus sélectifs des agences fédérales qui sont en contact avec les coordinateurs de projets de recherche (principal investigator). Par ailleurs, les liens entre universités de recherche et entreprises se manifestent via le transfert de technologie par contrats industriels ou encore la création de start-up au sein d’incubateurs, pépinières d’entreprises ou de parcs technologiques présents sur les campus.
Le secteur privé, premier investisseur dans la R&D
Le secteur privé lucratif, premier financeur de R&D avec 245 milliards de dollars ‑soit 66% des dépenses totales- réalise 90 % des dépenses de développement. Les entreprises industrielles représentent 70% de l’effort contre 30% pour les entreprises de services. Son système de transfert de technologie est l’un des plus efficaces au monde, basé sur l’idée de proximité géographique des acteurs clés de l’entrepreneuriat depuis l’invention du premier parc technologique par Stanford en 1951.
Schéma récapitulatif des circuits de financement de la R&D aux Etats-Unis
Une domination émoussée
Un leadership menacé
Les États-Unis, qui dominaient l’ensemble des champs disciplinaires par leur nombre de publications, ont perdu leur première place dans le domaine de la physique et sont désormais au coude à coude avec l’Union européenne ‑à quinze- en biologie et en chimie.
Un rapport des Académies nationales publié en 2005 mettait en garde le gouvernement américain : « Nous craignons la rapidité avec laquelle l’avance américaine peut être perdue, et la difficulté voire l’impossibilité de la retrouver ensuite « . La nouvelle administration semble prendre la situation à bras le corps en investissant dans la recherche fondamentale tout en considérant « l’énergie comme le grand projet de notre génération » (B Obama, paraphrasant JF Kennedy vis-à-vis du programme Apollo).
En outre, on constate une perte de compétitivité commerciale dans le domaine des hautes technologies. Au niveau global, les excédents commerciaux en termes de produits et de technologies avancés, qui avaient marqué l’ensemble des années 1990, ont fait place à partir de 2001 à une dégradation des excédents, suivie rapidement d’un déficit durable et croissant dans un nombre de secteurs en augmentation.
Une économie de la connaissance sous perfusion
Une forte attractivité
Une entreprise sur quatre créée entre 1995 et 2005 dans le secteur des sciences mathématiques et de l’ingénierie avait un fondateur étranger (dont 26 % d’Indiens) hautement qualifié dans ces domaines. De même, les étrangers résidant aux États-Unis étaient cités comme inventeurs ou co-inventeurs de plus du quart des demandes de brevets internationaux enregistrées aux États-Unis en 2006.
Les Etats-Unis continuent de fonctionner comme un gigantesque aspirateur de la matière grise mondiale, puisque en 2007/2008, plus de 106 000 enseignants chercheurs étrangers étaient accueillis dans les universités américaines dont près des ¾ en sciences dures. En outre les États-Unis parviennent à retenir dans leur économie de nombreux talents étrangers. Mais cette dépendance vis-à-vis du reste du monde combinée au vieillissement des ingénieurs et des scientifiques américains traduit une faiblesse structurelle des Etats-Unis, qui sont confrontés à une diminution chronique de leur attractivité depuis le 11 Septembre 2001. Leur besoin chronique d’ingénieurs n’est désormais plus comblé par les inscriptions d’étudiants étrangers et on estime qu’il sera de 1 million dans dix ans.
Un millésime 2009 exceptionnel avec le plan de relance (stimulus package)
Il aura fallu attendre l’arrivée du président Obama pour assister à la fin du fléchissement chronique de l’investissement fédéral. Après des années de rigueur budgétaire, l’administration Obama a injecté 20,5 milliards de dollars dans la recherche et le développement dans le cadre de son plan de relance, le stimulus package.
» Le besoin en ingénieurs sera de 1 million dans dix ans »
Ce montant vient s’ajouter à un budget 2009 qui porte à lui seul l’investissement fédéral dans la recherche (fondamentale et appliquée) à 60,5 milliards de dollars, soit, en tenant compte de l’inflation, la première augmentation (4,3%) en 4 ans. Si l’ensemble des agences fédérales vont bénéficier de cette aubaine, la recherche biomédicale, l’énergie et le changement climatique sortent grands gagnants.
Une opportunité pour un rapprochement franco-américain dans le domaine scientifique et technologique
Face aux difficultés internes et externes, l’administration Obama semble se démarquer du traditionnel recours à l’isolationnisme et se tourne vers l’étranger. Il s’agit d’une opportunité à saisir pour la France dont les Etats-Unis sont le premier partenaire scientifique avec plus de 7000 co-publications par an.
» L’administration Obama se tourne vers l’étranger »
C’est pourquoi un accord de coopération bilatéral en science et technologie a été signé le 22 Octobre 2008 par Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Arden Bement, directeur de la National Science Foundation afin de mettre en cohérence l’ensemble des mécanismes franco-américains sur le continuum constitué par les quatre éléments suivants : l’enseignement supérieur, la recherche, le transfert technologique et l’innovation.
Administré par un comité mixte, il vise à établir une zone de libre-échange pour faciliter la conduite de projet de recherche conjoints, la circulation de personnels, de matériels et d’informations tout en fixant un cadre juridique détaillant notamment la recherche de gains mutuels en matière de propriété intellectuelle.
Une part du PIB en baisse
Le budget fédéral en R&D a vu, en quarante ans, sa part dans le PIB passer de près de 2 % en 1965 à moins de 0,8%, soit une réduction annuelle moyenne de l’ordre de 2,5 %. Cette diminution n’a pas été compensée par la croissance des dépenses privées malgré leur nette augmentation entre 1951 et 2001 (multiplié par trois). En effet, ces dernières ne sont que marginalement consacrées à la recherche fondamentale (3,8 % des dépenses de R&D industrielle en 2006).