Les évolutions dans les métiers du conseil
Le conseil n’est pas mort. Après le crises qui l’ont touché en 1992–1993 et en 2002–2003, il a changé ou il doit changer car les entreprises cointinuent de consulter pour être les meilleures face à la reprise économique actuelle, aux tendance de fond à l’outsourcing, et à la rapidité des mutations technologiques.
Été 2000, sur une route de montagne dans les Pyrénées…
Un berger faisait paître son troupeau quand, d’un nuage de poussière, surgit une rutilante Range Rover venant dans sa direction. Le chauffeur, un jeune homme dans un complet Armani, chaussures Gucci, verres fumés Ray Ban et cravate Hermès, se penche par la fenêtre et demande au berger :
» Bonjour, je m’appelle Fabrice. Si je peux vous dire exactement combien de moutons il y a dans votre troupeau, et quel serait le nombre optimal qui vous permettrait d’optimiser votre Supply Chain en diminuant votre stock et baisser ainsi votre BFR, me donneriez-vous un de vos moutons ? »
Le berger regarde le jeune homme, puis son troupeau broutant paisiblement et répond simplement :
» Certainement « .
L’homme gare sa voiture, ouvre son ordinateur portable, le branche à son téléphone cellulaire, navigue sur Internet vers la page de la NASA, communique avec un système de navigation par satellite, balaie la région, consulte les bases de données de l’INRA, de l’INSEE, se connecte aux places de marché du mouton virtuel et génère quelque trente fichiers Excel aux macros complexes ; finalement, il sort un rapport détaillé sur PowerPoint d’une dizaine de pages de son imprimante miniaturisée et s’adresse au berger en disant :
» Vous avez exactement 1 586 moutons dans votre troupeau. Si vous aviez tenu compte de la durée de gestation d’un mouton, de la moyenne mobile de la consommation de la viande de mouton et des prix des futures sur le marché virtuel du mouton, vous auriez pu optimiser votre troupeau à 1 584 têtes. »
» C’est exact et merci pour votre suggestion » dit le berger. » Et comme nous l’avions convenu, prenez-en un. »
Il regarde le jeune homme faire son choix et expédier sa prise à l’arrière de son véhicule, puis il ajoute :
» Si je devine avec précision ce que vous faites comme métier, me rendrez-vous ma bête ? »
» Pourquoi pas ? » répondit l’autre.
» Vous êtes Consultant » dit le berger.
» Vous avez parfaitement raison, comment avez-vous deviné ? »
» C’est facile. Vous débarquez ici alors que personne ne vous a rien demandé, vous voulez être payé pour avoir répondu à une question dont je connais la réponse et, manifestement, vous ne connaissez absolument rien à mon métier. Maintenant, rendez-moi mon chien. »
Flashback… Printemps 1981, sur le plateau à Palaiseau…
Je finis mes trois années d’étude à l’X et je dois choisir une école d’application pour un futur métier. Les cabinets de conseil et d’ingénierie se bousculent dans les amphis pour attirer les nouveaux diplômés, ils annoncent des missions passionnantes liées aux nouvelles technologies, ils proposent des salaires supérieurs à ceux de l’industrie, ils sont prêts à financer sous forme de précontrat les deux années d’école d’application. Je me laisse séduire : le conseil est une des voies royales pour apprendre et devenir rapidement ensuite manager dans l’industrie.
Plus de vingt ans plus tard, hiver 2003, chez PEA Consulting…
Je suis assis face à un jeune candidat, fraîchement diplômé d’une grande école d’ingénieur. Je présente PEA, je lui vends notre très forte progression de 17 % du chiffre d’affaires en 2003, je lui parle de l’excellente ambiance qui y règne, de notre leadership reconnu dans le domaine de la Supply Chain, des projets passionnants tels que le développement durable… Lui me parle de qualité de vie, de RTT, de son souhait de NE PAS voyager, de salaires qui sont plus importants dans l’industrie… Le feu sacré a disparu.
Les crises qui ont touché le monde du conseil en 1992–1993 et en 2002–2003, les scandales financiers qui ont éclaboussé l’économie mondiale (Enron, WorldCom…) et qui ont mis en cause des cabinets de conseil ont changé profondément la perception de notre métier.
Pourquoi devient-on consultant ? Quelles sont les motivations des consultants ? Que ce soit dans les grands cabinets internationaux ou des cabinets à taille humaine, le profil des consultants est assez homogène et n’a pas changé depuis vingt ans. Le challenge intellectuel, la reconnaissance (la starification…) et l’argent sont les principaux moteurs. Le management, la hiérarchie, les procédures administratives sont leurs cauchemars.
Les contreparties sont fortes : rythme de travail élevé (fréquemment plus de 50 heures par semaine), disponibilité totale, déplacements en province ou à l’étranger.
Le mythe du partner qui pouvait dépasser le million d’euros de rémunération annuelle, du manager de 30 ans qui atteint les 150 000 euros s’est beaucoup affaibli. L’exagération des tarifs pratiqués par le conseil dans les années 1980–1990 (des stagiaires facturés 1 000 €/jour) avait permis de donner des salaires très élevés.
Mais, les rachats récents d’un certain nombre de cabinets (PWC, E&Y, KPMG…) par des sociétés de services informatiques ou des constructeurs ont fait disparaître les structures de partnership, les crises qui ont touché profondément le secteur du conseil (-10 % en 2003) ont rendu le gâteau plus petit pour les partners, ce qui a considérablement freiné l’accès au partnership pour les managers ! En parallèle, l’industrie se trouve actuellement confrontée au très proche papy-boom qui va laminer son top management : elle est en train d’essayer d’anticiper ce mouvement en recrutant à prix d’or les futurs top managers qui jouent de plus en plus le rôle de consultants internes. Les salaires du conseil sont même devenus parfois inférieurs à ceux de l’industrie.
On le constate avec le redémarrage de l’économie début 2004 qui s’est traduit par une forte augmentation du taux de turn-over : les consultants, moins frileux, mettent de plus en plus le nez à la fenêtre, les entreprises réinvestissent, les opportunités reviennent. Parmi ceux qui ont décidé de changer d’horizon, beaucoup sont partis dans l’industrie : ils cherchent notamment à avoir une meilleure qualité de vie, des horaires plus stables et être plus présents auprès de leur famille.
Les cabinets de conseil ont ainsi de plus en plus de mal à garder leurs consultants et à recruter. L’intérêt des projets n’est plus si différenciateur : les entreprises mènent de plus en plus de projets passionnants avec des équipes internes, les managers de ces projets de transformation étant promis à des postes de management en cas de réussite.
Les entreprises, en plus de devenir une alternative pour les consultants, ont changé de comportement par rapport au conseil. Les dernières crises économiques les ont amenées à adopter une position plus pragmatique vis-à-vis des consultants qui ont été utilisés dans les années 1980–1990 pour tout et n’importe quoi. Elles évoquent principalement cinq raisons pour faire appel à du conseil :
- utiliser l’expérience des cabinets pour mener des projets plus rapidement sans reproduire les erreurs de projets semblables ;
- s’appuyer sur la connaissance du marché des cabinets pour se comparer à d’autres entreprises et avoir accès aux Best Practices ;
- avoir une garantie d’impartialité avec des personnes qui ne sont pas dans les lignes hiérarchiques ;
- pouvoir utiliser des experts sans les problèmes de salaires et d’évolution de carrière ;
- disposer de ressources supplémentaires de façon conjoncturelle.
Les entreprises deviennent (à juste titre) très exigeantes vis-à-vis des cabinets, elles demandent davantage de bon sens et de créativité, moins de slideware. La mise en place de plans d’action opérationnels, de quickwins devient un passage obligé. Les entreprises privilégient de plus en plus des consultants seniors avec une double expérience opérationnel/conseil à des juniors, même diplômés des meilleures écoles. Cette maturité provient en partie du fait que les donneurs d’ordre dans les entreprises sont souvent d’anciens consultants ou ont eu de mauvaises expériences avec des consultants !
Aujourd’hui, cette désacralisation du consultant, la concurrence des équipes internes aux entreprises mais aussi l’arrivée importante de quinquagénaires, licenciés ou en préretraite, qui deviennent consultants indépendants à des prix très compétitifs obligent les cabinets à justifier la valeur ajoutée de leurs interventions. En dehors de quelques cabinets qui peuvent utiliser leur renom comme principal argument, la majorité se trouve de plus en plus confrontée à des clients qui leur demandent de prendre des engagements de résultats et qui conditionnent entre 10 % et plus de 30 % du prix à l’atteinte de ces résultats, qui peuvent aussi concerner la qualité de la mission que des Return On Investment (ROI) liés au business de l’entreprise.
Pour répondre à cette pression de ses clients, le métier du conseil doit s’industrialiser de plus en plus, utiliser de plus en plus des méthodes de management et d’organisation qui ont fait leur preuve dans l’industrie. Le conseil commence à s’appliquer les recommandations qu’il fait à ses propres clients : on parle de segmentation stratégique, de mix produit/marché, de marketing d’offre… Le knowledge management et les Best Practices sont en train d’être perçus comme l’actif des cabinets de conseil. Pour les clients, c’est ce qui justifie le prix des consultants et qui les différencie des sociétés d’intérim !
Le conseil n’est pas mort… Il a changé ou il doit changer. Les entreprises consultent de plus en plus pour être les meilleures face à la reprise économique actuelle, aux tendances de fond à l’outsourcing, à la rapidité des mutations technologiques.
Été 2004, sur une route de montagne dans les Pyrénées…
Un berger fait paître son troupeau quand, d’un nuage de poussière, surgit un VTT rutilant venant dans sa direction. Le cycliste, un jeune homme en tee-shirt et short, suivi par sa femme et ses deux garçons s’arrête et demande au berger :
» Bonjour, je m’appelle Fabrice. Nous sommes en vacances pour un mois dans votre région et nous aurions été ravis de pouvoir partager quelques jours avec vous et vos moutons. »
Le berger regarde le jeune homme, puis son troupeau broutant paisiblement et répond simplement :
» Certainement. En plus du plaisir de vous accueillir, j’aurai ainsi l’occasion de discuter avec quelqu’un d’autre que mon chien de la mise en place de puces RFID sur mes moutons afin d’optimiser mon suivi de stock… »