Les évolutions dans les métiers du conseil

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°598 Octobre 2004
Par Dung PHAM TRAN (78)

Le conseil n’est pas mort. Après le crises qui l’ont tou­ché en 1992–1993 et en 2002–2003, il a chan­gé ou il doit chan­ger car les entre­prises coin­ti­nuent de consul­ter pour être les meilleures face à la reprise éco­no­mique actuelle, aux ten­dance de fond à l’out­sour­cing, et à la rapi­di­té des muta­tions technologiques.

Été 2000, sur une route de montagne dans les Pyrénées…

Un ber­ger fai­sait paître son trou­peau quand, d’un nuage de pous­sière, sur­git une ruti­lante Range Rover venant dans sa direc­tion. Le chauf­feur, un jeune homme dans un com­plet Arma­ni, chaus­sures Guc­ci, verres fumés Ray Ban et cra­vate Her­mès, se penche par la fenêtre et demande au berger :

» Bon­jour, je m’ap­pelle Fabrice. Si je peux vous dire exac­te­ment com­bien de mou­tons il y a dans votre trou­peau, et quel serait le nombre opti­mal qui vous per­met­trait d’op­ti­mi­ser votre Sup­ply Chain en dimi­nuant votre stock et bais­ser ain­si votre BFR, me don­ne­riez-vous un de vos mou­tons ? »

Le ber­ger regarde le jeune homme, puis son trou­peau brou­tant pai­si­ble­ment et répond simplement :

» Cer­tai­ne­ment « .

L’homme gare sa voi­ture, ouvre son ordi­na­teur por­table, le branche à son télé­phone cel­lu­laire, navigue sur Inter­net vers la page de la NASA, com­mu­nique avec un sys­tème de navi­ga­tion par satel­lite, balaie la région, consulte les bases de don­nées de l’IN­RA, de l’IN­SEE, se connecte aux places de mar­ché du mou­ton vir­tuel et génère quelque trente fichiers Excel aux macros com­plexes ; fina­le­ment, il sort un rap­port détaillé sur Power­Point d’une dizaine de pages de son impri­mante minia­tu­ri­sée et s’a­dresse au ber­ger en disant :

» Vous avez exac­te­ment 1 586 mou­tons dans votre trou­peau. Si vous aviez tenu compte de la durée de ges­ta­tion d’un mou­ton, de la moyenne mobile de la consom­ma­tion de la viande de mou­ton et des prix des futures sur le mar­ché vir­tuel du mou­ton, vous auriez pu opti­mi­ser votre trou­peau à 1 584 têtes. »

» C’est exact et mer­ci pour votre sug­ges­tion » dit le ber­ger. » Et comme nous l’a­vions conve­nu, pre­nez-en un. »

Il regarde le jeune homme faire son choix et expé­dier sa prise à l’ar­rière de son véhi­cule, puis il ajoute :

» Si je devine avec pré­ci­sion ce que vous faites comme métier, me ren­drez-vous ma bête ? »
 » Pour­quoi pas ? » répon­dit l’autre.
 » Vous êtes Consul­tant » dit le berger.
 » Vous avez par­fai­te­ment rai­son, com­ment avez-vous devi­né ? »
 » C’est facile. Vous débar­quez ici alors que per­sonne ne vous a rien deman­dé, vous vou­lez être payé pour avoir répon­du à une ques­tion dont je connais la réponse et, mani­fes­te­ment, vous ne connais­sez abso­lu­ment rien à mon métier. Main­te­nant, ren­dez-moi mon chien. »

Flashback… Printemps 1981, sur le plateau à Palaiseau…

Je finis mes trois années d’é­tude à l’X et je dois choi­sir une école d’ap­pli­ca­tion pour un futur métier. Les cabi­nets de conseil et d’in­gé­nie­rie se bous­culent dans les amphis pour atti­rer les nou­veaux diplô­més, ils annoncent des mis­sions pas­sion­nantes liées aux nou­velles tech­no­lo­gies, ils pro­posent des salaires supé­rieurs à ceux de l’in­dus­trie, ils sont prêts à finan­cer sous forme de pré­con­trat les deux années d’é­cole d’ap­pli­ca­tion. Je me laisse séduire : le conseil est une des voies royales pour apprendre et deve­nir rapi­de­ment ensuite mana­ger dans l’industrie.

Plus de vingt ans plus tard, hiver 2003, chez PEA Consulting…

Je suis assis face à un jeune can­di­dat, fraî­che­ment diplô­mé d’une grande école d’in­gé­nieur. Je pré­sente PEA, je lui vends notre très forte pro­gres­sion de 17 % du chiffre d’af­faires en 2003, je lui parle de l’ex­cel­lente ambiance qui y règne, de notre lea­der­ship recon­nu dans le domaine de la Sup­ply Chain, des pro­jets pas­sion­nants tels que le déve­lop­pe­ment durable… Lui me parle de qua­li­té de vie, de RTT, de son sou­hait de NE PAS voya­ger, de salaires qui sont plus impor­tants dans l’in­dus­trie… Le feu sacré a disparu.

Les crises qui ont tou­ché le monde du conseil en 1992–1993 et en 2002–2003, les scan­dales finan­ciers qui ont écla­bous­sé l’é­co­no­mie mon­diale (Enron, World­Com…) et qui ont mis en cause des cabi­nets de conseil ont chan­gé pro­fon­dé­ment la per­cep­tion de notre métier.

Pour­quoi devient-on consul­tant ? Quelles sont les moti­va­tions des consul­tants ? Que ce soit dans les grands cabi­nets inter­na­tio­naux ou des cabi­nets à taille humaine, le pro­fil des consul­tants est assez homo­gène et n’a pas chan­gé depuis vingt ans. Le chal­lenge intel­lec­tuel, la recon­nais­sance (la sta­ri­fi­ca­tion…) et l’argent sont les prin­ci­paux moteurs. Le mana­ge­ment, la hié­rar­chie, les pro­cé­dures admi­nis­tra­tives sont leurs cauchemars.

Les contre­par­ties sont fortes : rythme de tra­vail éle­vé (fré­quem­ment plus de 50 heures par semaine), dis­po­ni­bi­li­té totale, dépla­ce­ments en pro­vince ou à l’étranger.

Le mythe du part­ner qui pou­vait dépas­ser le mil­lion d’eu­ros de rému­né­ra­tion annuelle, du mana­ger de 30 ans qui atteint les 150 000 euros s’est beau­coup affai­bli. L’exa­gé­ra­tion des tarifs pra­ti­qués par le conseil dans les années 1980–1990 (des sta­giaires fac­tu­rés 1 000 €/jour) avait per­mis de don­ner des salaires très élevés.

Mais, les rachats récents d’un cer­tain nombre de cabi­nets (PWC, E&Y, KPMG…) par des socié­tés de ser­vices infor­ma­tiques ou des construc­teurs ont fait dis­pa­raître les struc­tures de part­ner­ship, les crises qui ont tou­ché pro­fon­dé­ment le sec­teur du conseil (-10 % en 2003) ont ren­du le gâteau plus petit pour les part­ners, ce qui a consi­dé­ra­ble­ment frei­né l’ac­cès au part­ner­ship pour les mana­gers ! En paral­lèle, l’in­dus­trie se trouve actuel­le­ment confron­tée au très proche papy-boom qui va lami­ner son top mana­ge­ment : elle est en train d’es­sayer d’an­ti­ci­per ce mou­ve­ment en recru­tant à prix d’or les futurs top mana­gers qui jouent de plus en plus le rôle de consul­tants internes. Les salaires du conseil sont même deve­nus par­fois infé­rieurs à ceux de l’industrie.

On le constate avec le redé­mar­rage de l’é­co­no­mie début 2004 qui s’est tra­duit par une forte aug­men­ta­tion du taux de turn-over : les consul­tants, moins fri­leux, mettent de plus en plus le nez à la fenêtre, les entre­prises réin­ves­tissent, les oppor­tu­ni­tés reviennent. Par­mi ceux qui ont déci­dé de chan­ger d’ho­ri­zon, beau­coup sont par­tis dans l’in­dus­trie : ils cherchent notam­ment à avoir une meilleure qua­li­té de vie, des horaires plus stables et être plus pré­sents auprès de leur famille.

Les cabi­nets de conseil ont ain­si de plus en plus de mal à gar­der leurs consul­tants et à recru­ter. L’in­té­rêt des pro­jets n’est plus si dif­fé­ren­cia­teur : les entre­prises mènent de plus en plus de pro­jets pas­sion­nants avec des équipes internes, les mana­gers de ces pro­jets de trans­for­ma­tion étant pro­mis à des postes de mana­ge­ment en cas de réussite.

Les entre­prises, en plus de deve­nir une alter­na­tive pour les consul­tants, ont chan­gé de com­por­te­ment par rap­port au conseil. Les der­nières crises éco­no­miques les ont ame­nées à adop­ter une posi­tion plus prag­ma­tique vis-à-vis des consul­tants qui ont été uti­li­sés dans les années 1980–1990 pour tout et n’im­porte quoi. Elles évoquent prin­ci­pa­le­ment cinq rai­sons pour faire appel à du conseil :

  • uti­li­ser l’ex­pé­rience des cabi­nets pour mener des pro­jets plus rapi­de­ment sans repro­duire les erreurs de pro­jets semblables ;
  • s’ap­puyer sur la connais­sance du mar­ché des cabi­nets pour se com­pa­rer à d’autres entre­prises et avoir accès aux Best Prac­tices ;
  • avoir une garan­tie d’im­par­tia­li­té avec des per­sonnes qui ne sont pas dans les lignes hiérarchiques ;
  • pou­voir uti­li­ser des experts sans les pro­blèmes de salaires et d’é­vo­lu­tion de carrière ;
  • dis­po­ser de res­sources sup­plé­men­taires de façon conjoncturelle.

Les entre­prises deviennent (à juste titre) très exi­geantes vis-à-vis des cabi­nets, elles demandent davan­tage de bon sens et de créa­ti­vi­té, moins de sli­de­ware. La mise en place de plans d’ac­tion opé­ra­tion­nels, de qui­ck­wins devient un pas­sage obli­gé. Les entre­prises pri­vi­lé­gient de plus en plus des consul­tants seniors avec une double expé­rience opérationnel/conseil à des juniors, même diplô­més des meilleures écoles. Cette matu­ri­té pro­vient en par­tie du fait que les don­neurs d’ordre dans les entre­prises sont sou­vent d’an­ciens consul­tants ou ont eu de mau­vaises expé­riences avec des consultants !

Aujourd’­hui, cette désa­cra­li­sa­tion du consul­tant, la concur­rence des équipes internes aux entre­prises mais aus­si l’ar­ri­vée impor­tante de quin­qua­gé­naires, licen­ciés ou en pré­re­traite, qui deviennent consul­tants indé­pen­dants à des prix très com­pé­ti­tifs obligent les cabi­nets à jus­ti­fier la valeur ajou­tée de leurs inter­ven­tions. En dehors de quelques cabi­nets qui peuvent uti­li­ser leur renom comme prin­ci­pal argu­ment, la majo­ri­té se trouve de plus en plus confron­tée à des clients qui leur demandent de prendre des enga­ge­ments de résul­tats et qui condi­tionnent entre 10 % et plus de 30 % du prix à l’at­teinte de ces résul­tats, qui peuvent aus­si concer­ner la qua­li­té de la mis­sion que des Return On Invest­ment (ROI) liés au busi­ness de l’entreprise.

Pour répondre à cette pres­sion de ses clients, le métier du conseil doit s’in­dus­tria­li­ser de plus en plus, uti­li­ser de plus en plus des méthodes de mana­ge­ment et d’or­ga­ni­sa­tion qui ont fait leur preuve dans l’in­dus­trie. Le conseil com­mence à s’ap­pli­quer les recom­man­da­tions qu’il fait à ses propres clients : on parle de seg­men­ta­tion stra­té­gique, de mix produit/marché, de mar­ke­ting d’offre… Le know­ledge mana­ge­ment et les Best Prac­tices sont en train d’être per­çus comme l’ac­tif des cabi­nets de conseil. Pour les clients, c’est ce qui jus­ti­fie le prix des consul­tants et qui les dif­fé­ren­cie des socié­tés d’intérim !

Le conseil n’est pas mort… Il a chan­gé ou il doit chan­ger. Les entre­prises consultent de plus en plus pour être les meilleures face à la reprise éco­no­mique actuelle, aux ten­dances de fond à l’out­sour­cing, à la rapi­di­té des muta­tions technologiques.

Été 2004, sur une route de montagne dans les Pyrénées…

Un ber­ger fait paître son trou­peau quand, d’un nuage de pous­sière, sur­git un VTT ruti­lant venant dans sa direc­tion. Le cycliste, un jeune homme en tee-shirt et short, sui­vi par sa femme et ses deux gar­çons s’ar­rête et demande au berger :

» Bon­jour, je m’ap­pelle Fabrice. Nous sommes en vacances pour un mois dans votre région et nous aurions été ravis de pou­voir par­ta­ger quelques jours avec vous et vos mou­tons. »

Le ber­ger regarde le jeune homme, puis son trou­peau brou­tant pai­si­ble­ment et répond simplement :

» Cer­tai­ne­ment. En plus du plai­sir de vous accueillir, j’au­rai ain­si l’oc­ca­sion de dis­cu­ter avec quel­qu’un d’autre que mon chien de la mise en place de puces RFID sur mes mou­tons afin d’op­ti­mi­ser mon sui­vi de stock… »

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