Les Fausses Confidences
Il y a plusieurs manières de parler du théâtre et de ses auteurs. Celle des comédiens, gens rompus à prêter leurs corps et leurs voix aux personnages créés par les dramaturges, et parlant donc de ce qu’ils connaissent.
Celle des cuistres de Sorbonne, ou d’ailleurs car il s’en rencontre partout, qui s’adonnent à “l’explication de texte”, comme si un texte écrit pour être dit et écouté, c’est-à-dire senti, se prêtait en outre à des bavardages propres à faire passer le goût de la littérature aux esprits les mieux disposés en sa faveur.
Celle des spectateurs comme vous et moi, de qui les gens de métier attendent surtout qu’ils payent leur place avant le spectacle, s’abstiennent de tousser pendant et applaudissent après.
Les spectateurs, il est vrai, expriment parfois leur jugement de façon décevante. Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir l’oreille à la sortie d’un théâtre. Témoin ce verdict jailli de la bouche d’une dame bien vêtue, et le sachant d’évidence, à l’issue d’une des premières représentations au Théâtre-Français du Cardinal d’Espagne, de Montherlant : Oh, Montherlant, c’est toujours… euh… c’est comme ça, quoi. Je jure que je l’ai entendu, et d’ailleurs noté le soir même dans mon sottisier, où je viens de le retrouver.
Bien que classé dans la catégorie des simples spectateurs, j’aurais tout de même peur de vous décevoir si je me contentais d’un Marivaux, c’est comme ça, quoi. Car il s’agira de Marivaux aujourd’hui.
M. Jean-Laurent Cochet et son équipe jouent cet automne Les Fausses Confidences : un régal pour l’ouïe et pour l’esprit. Sans doute personne n’a manié le parler de la langue française avec autant d’élégance dans la simplicité que Marivaux. Et le terme de marivaudage, évoquant un je ne sais quoi de mièvrerie badine, ne vaut rien pour exprimer cet enchantement. Les personnages de Marivaux pratiquent volontiers la litote, non pas la litote d’ironie, mais celle de réserve, si l’on peut dire. Or ne pas faire étalage de ses sentiments est une forme de délicatesse, et non de badinage.
Voltaire écrivant que Marivaux pèse des oeufs de mouche dans des balances de toile d’araignée montrait moins de sûreté de jugement qu’une forte inclination à dire n’importe quoi, du moment que c’est amusant et méchant. Par un juste retour des choses, le théâtre de Voltaire n’intéresse plus personne depuis belle lurette, fors quelques érudits, au lieu que celui de Marivaux demeure, et emplit les salles à tout coup.
Tout simplement parce que c’est un théâtre d’émerveillement devant les surgissements imprévus de l’amour. Plusieurs de ses titres en portent la marque, associant l’idée d’aimer à celle de surprise, de hasard. Et si cela ne figure pas dans le titre, cela du moins imprègne le texte. Théâtre non pas toujours de gens heureux, tant s’en faut, mais assurément de gens illuminés d’avoir au moins entrevu la possibilité de le devenir.
Et si Marivaux s’arrête plus volontiers sur ces instants d’extase que sur les déceptions qui les suivent parfois – cas de Mlle Marton, dans Les Fausses Confidences, qui s’est crue choisie – c’est sans doute en écho à ce bonheur de vivre et d’aimer, si goûté au temps que la pièce fut écrite (1737) que les Français, sans doute inconscients des secousses attendant les plus jeunes d’entre eux, avaient dénommé leur roi “ Le Bien-Aimé ”.
On ne saurait alors être trop reconnaissant à M. Cochet d’avoir fait renaître sous nos yeux un tel instant de bonheur, en mettant en scène et jouant avec ses comédiens cette pièce, peut-être la plus éblouissante de Marivaux.
Simplicité des décors, raffinement du mobilier, élégance des vêtements, qualité de la diction, finesse et dépouillement du jeu, tout concourait à notre félicité, dans une exquise fidélité au texte et à son époque. On voudrait être gâté ainsi chaque fois que l’on va au théâtre, ce qui n’est pas le cas.