Les Fonds Infrastructure, une nouvelle classe d’actifs ?
Pour faire face aux énormes besoins de financement des infrastructures, plusieurs pays ont mis en place de nouveaux cadres et de nouveaux modes de financement permettant le financement privé, désormais indispensable. L’analyse rigoureuse des risques reste essentielle pour éviter le » syndrome Eurotunnel « , et créer des partenariats public-privé réussis comme c’est le cas du viaduc de Millau.
Depuis quelques années, une nouvelle forme de véhicule d’investissement s’est développée en Europe, les Fonds d’Infrastructure. Conçus en Australie, ces Fonds sont arrivés en Europe récemment avec des caractéristiques particulières qui en font une nouvelle classe d’actifs potentiellement aussi dynamique que le Real Estate ou le Private Equity. De nombreux pays ont adapté leur cadre réglementaire via les contrats de Partenariat public privés (PPP) ou de Private Finance Initiative (PFI). De nombreux investisseurs s’intéressent à ces investissements qui fournissent des cash-flows récurrents sur un horizon de long terme, une protection contre l’inflation et un bon niveau de diversification. La plupart des banques ont mis en place des financements de projet spécifiques pour ces opérations. Cet investissement » hybride » entre l’immobilier, le private equity et l’obligataire indexé est en train de s’imposer comme une des classes d’actifs les plus attractives du moment.
La rencontre des deux besoins
L’apparition de ce nouveau format d’investissement provient de la rencontre de deux besoins : d’un côté, le besoin de financer des infrastructures nouvelles ou existantes par du financement privé adapté et de l’autre côté la demande des investisseurs institutionnels en produits d’investissement long terme attractifs. Les besoins d’investissement en infrastructure est colossal, qu’il s’agisse de besoins de renouvellement comme cela est essentiellement le cas dans les pays de l’OCDE ou de besoins en nouvelles infrastructures (dites Greenfield), comme cela est le cas dans les pays émergents. On estime les investissements à 2 500 Md$ par an pour les vingt prochaines années dont 500 Md$ dans les pays émergents, essentiellement sur les secteurs du transport, de l’énergie, des utilities et des télécoms. Les ressources publiques qui assuraient plus de 90 % du financement sont désormais insuffisantes et le relais d’investisseurs privés indispensable. Les industriels peuvent assumer une partie de ce financement, d’autant que cela leur donne accès à des marchés » captifs » en tant que constructeur ou opérateur. Mais, les acteurs financiers étaient jusqu’à présent moins bien équipés si ce n’est pour assurer le financement bancaire. Les Fonds d’Infrastructure permettent de fournir non seulement une solution compétitive de financement à ces projets mais également des caractéristiques que de nombreux investisseurs institutionnels recherchent et ne trouvent plus dans les classes d’actifs traditionnelles, ni vraiment dans les classes d’actifs alternatives. En effet, les Fonds Infrastructure procurent :
- une durée et un horizon d’investissement long terme,
- un rendement réel et une protection inflation,
- une diversification et une faible corrélation aux marchés financiers,
- une prime de non-liquidité avec un risque en capital assez faible.
En un mot, toutes les caractéristiques requises par les investisseurs long terme (assurance vie et caisse de retraite notamment) à la recherche de nouveaux types de placement (notons que les actifs d’Infrastructure, quoique très endettés, ne souffrent que très modérément de la crise financière actuelle qui est pourtant une crise du crédit avant tout).
Le projet de modification de l’ordonnance sur les contrats de partenariat
L’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat (CP) a créé un contrat d’un type nouveau permettant aux personnes publiques de rémunérer sur l’ensemble de la durée du contrat un partenaire privé chargé de financer, réaliser et gérer un équipement nécessaire à la personne publique. La pratique a montré la nécessité de plusieurs clarifications.
Un projet de loi permet de recourir à ces contrats lorsqu’il y a un intérêt économique et financier pour la personne publique ; et pour un temps limité. Il améliore également le régime juridique et fiscal applicable.
Un autre volet de ce projet permet le recours à ces contrats dans des cas d’urgence dans des domaines relevant de l’enseignement supérieur et la recherche, la sécurité intérieure, la justice, le déploiement de nouvelles technologies, la santé, ou les transports.
La question du périmètre
Une des questions récurrentes consiste à essayer de définir le périmètre précis que recouvre le vocable » Infrastructure « . La définition traditionnelle du mot (« les actifs et services essentiels dont la productivité économique d’une société dépend ») ne donnant pas de précisions utiles, il est courant de se référer à des périmètres sectoriels :
- Tout d’abord, le secteur du transport : les autoroutes, les aéroports, les ports, le ferroviaire…
- Ensuite le secteur de l’énergie : le transport et la distribution d’électricité, de gaz, de pétrole. La production d’énergie est couverte par certains acteurs Infrastructure, mais cela n’est pas systématique.
- Puis, les utilities et les services environnement : distribution et traitement des eaux, des déchets…
- Certains acteurs incluent dans leur périmètre les infrastructures de télécommunications comme les tours de télédiffusions ou les satellites de communications quand d’autres les considèrent comme trop risquées d’un point de vue technologique.
- Enfin, les bâtiments publics, souvent nommés Infrastructures sociales comme les hôpitaux, les écoles… se caractérisent par le fait qu’ils génèrent des revenus payés directement par la puissance publique et non par l’utilisateur.
La meilleure manière de définir le périmètre des investissements Infrastructure consiste à revenir aux caractéristiques industrielles, économiques et financières des actifs, soit typiquement un actif physique avec un usage bien défini, générant des cash-flows stables basés sur des projections de prix et de volumes prévisibles du fait d’un monopole naturel ou réglementaire avec des fortes barrières à l’entrée et peu de concurrence directe possible, ou d’un cadre contractuel stable à travers un contrat de partenariat, de concession, de délégation de service public, et de contrepartie publique ou bien notée.
Une » nouvelle » manière d’investir
Pour aborder ce type d’investissement, il faut intégrer plusieurs éléments fondamentaux. Tout d’abord, il s’agit de secteurs fondamentalement stables mais assis sur une tendance de forte croissance structurelle, aussi bien dans le transport, l’énergie, les services environnement et les télécoms. Ensuite, un projet réussi nécessite les trois composantes industrielle, publique et financière et la logique de coopération entre les trois acteurs est indispensable. Enfin l’approche long terme permet d’optimiser la structure financière et de rationaliser la gestion des risques industriels et contractuels. Dès lors, c’est autant par intérêt que par nécessité que les Fonds Infrastructure retournent à une philosophie d’investissement originelle qui consiste à accompagner ses partenaires industriels et publics en apportant une capacité de financement structurée et adaptée. Chaque acteur peut se concentrer sur sa valeur ajoutée et en tirer son bénéfice : la puissance publique définit les besoins, fournit le cadre réglementaire et obtient le développement d’infrastructure nécessaire à son développement économique ; les acteurs industriels fournissent les services de conception, de développement, de construction, d’équipement ou d’opérateur et sont rémunérés pour cela ; les financiers fournissent du capital structuré de manière adaptée et sont rémunérés en fonction de leur niveau de risque. Tout cela étant assez logique finalement.
Le viaduc de Millau, partenariat public-privé réussi.
Un risque limité en théorie
La gestion des risques reste critique et de nombreux exemples sont là pour nous rappeler la rigueur nécessaire pour investir dans ce domaine. Un processus d’investissement doit reposer sur une analyse rigoureuse et systématique d’une matrice de risque ex-ante couvrant les risques industriels (construction, technologie…) ; contractuels et réglementaires ; contreparties (public, industriels et financiers) ; financiers (financement, taux, monnaie, inflation…) et marché (trafic, prix…). Lorsqu’elle est bien exécutée, cette analyse des risques permet de mettre en place une structure financière, industrielle et réglementaire robuste. Il est tout à fait intéressant de noter que la crise financière actuelle n’ait pas eu (pour l’instant) d’Impacts significatifs sur les actifs Infrastructure, pourtant structurés dans des véhicules particulièrement endettés. À ce titre, le viaduc de Millau constitue une réussite industrielle, commerciale et financière exemplaire. À défaut d’une analyse rigoureuse couvrant tous les risques ci-dessus, on s’expose à des catastrophes financières comme celle d’Eurotunnel.
Romains et Vikings
Alors que les Vikings passaient d’un village à l’autre, après avoir massacré les habitants et pillé les réserves, les Romains ont préféré coopérer avec les populations occupées, conserver un dirigeant local, mettre en place un consul et des armées romaines pour surveiller leurs intérêts et surtout construire des infrastructures. C’est ainsi qu’ils ont bâti un empire qui a duré quasiment mille ans. Les Fonds d’Infrastructure ont cet état d’esprit : leur potentiel de conquête est immense, pour autant qu’ils sachent développer une coopération positive avec les acteurs industriels et publics et qu’ils sachent garder la rigueur d’investissement indispensable à ces structures financières complexes.
Les acteurs du secteur Infrastructure
•Les concédants publics : l’État, les collectivités locales… : ils définissent les besoins, choisissent le cadre réglementaire (PPP, AOT, DSP…), mettent en place les contrats permettant de garder le contrôle qualitatif (cahier des charges industriel) et quantitatif (structure tarifaire) ;
•Les acteurs industriels : les constructeurs, opérateurs, fournisseurs d’équipement interviennent dans la conception, le développement et la gestion des infrastructures ;
•Les prêteurs : les banques via du financement par prêt ou les marchés des capitaux via du financement par titre (obligation…). Aujourd’hui de nombreuses banques ont développé une expertise spécifique pour adresser ce marché.
•Les investisseurs : certains investisseurs institutionnels ont développé une telle ambition dans ce secteur qu’ils ont constitué des équipes internes pour investir directement dans ces actifs.
•Les Fonds d’Infrastructure : proposent aux autres investisseurs des solutions d’investissement mutualisées. Ils sont souvent sponsorisés par des banques (en particulier américaines) qui peuvent profiter de synergies avec leur activité de financement ; parfois par des industriels (notamment espagnols) qui peuvent développer des synergies avec leur activité ; et certains sont indépendants, ce qui permet de mieux gérer les conflits d’intérêts inhérents à cette activité.