Les grands ports français seront-ils au cœur du renouveau ?
Les grands ports maritimes français connaissent une phase de profonde mutation. Alors que leur développement a été freiné pendant plusieurs décennies par un déficit de compétitivité et surtout de fiabilité sociale, la réforme portuaire de 2008 a donné aux grands ports maritimes français les moyens de leur développement, en permettant la mise en place de schémas d’exploitation fiables et performants.
“ Pénétrer un hinterland le plus large possible ”
Inversement, les mutations industrielles de notre pays affectent ses ports. La fragilisation de certaines industries lourdes nécessitant des approvisionnements maritimes massifs de matières premières, comme la sidérurgie, et surtout la restructuration de l’activité de raffinage pétrolier sont à l’origine de réductions sensibles de certains trafics jusqu’à présent pour l’essentiel captifs et sur lesquels reposait largement l’activité des ports français (le trafic de produits pétroliers représente environ 40 % de l’activité des ports français).
Conquérir de nouveaux marchés
SEPT PORTS PRINCIPAUX
Dunkerque, Le Havre, Rouen, Nantes- Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille réunissent environ 80 % du trafic total transitant par les ports français. Ils sont gérés par des établissements publics de l’État, autrefois appelés « ports autonomes » et maintenant dénommés « grands ports maritimes ».
Les ports d’importance secondaire (Cherbourg, Brest, Bayonne, Sète, Toulon, etc.) sont désormais gérés par les collectivités territoriales, principalement les régions.
Le développement des ports français repose aujourd’hui sur la conquête de nouveaux marchés, pour l’essentiel sur le segment du transport de produits manufacturés et notamment du trafic de conteneurs, qui a l’avantage de générer une importante valeur ajoutée sur le territoire traversé.
L’un des enjeux majeurs de développement, face à une concurrence européenne très vive, consiste pour les ports à pénétrer un hinterland le plus large possible, et pour cela à développer des chaînes logistiques optimisées reposant sur les modes de transport les plus adaptés, et en particulier sur le mode ferroviaire particulièrement pertinent pour les transports à longue distance.
Un retard sensible sur les segments en développement
Le transport maritime de produits manufacturés, et notamment le transport de conteneurs, a connu une croissance spectaculaire ces dernières décennies, notamment en provenance d’Asie. Hormis pendant la crise économique mondiale de 2008–2009, les flux mondiaux de conteneurs ont connu une croissance continue comprise entre 5 % et 10 % par an.
Les principaux bénéficiaires de cette croissance ont bien entendu été les ports asiatiques (les dix plus grands ports à conteneurs mondiaux sont maintenant en Asie, dont sept en Chine), mais aussi les ports européens qui ont su se positionner sur ce marché en développement.
Force est de constater à cet égard que les ports français ont accumulé depuis plusieurs années un retard sensible : au classement 2013 des principaux ports à conteneurs européens, le port du Havre, premier port français pour les conteneurs, ne se classe que huitième, et Marseille treizième.
REPÈRES
La loi portant réforme portuaire du 4 juillet 2008 a mis fin à un mode d’exploitation historique généralisé dans les ports français, dans lequel le déchargement des marchandises faisait appel conjointement à des entreprises privées, responsables de l’exploitation des terminaux, et à l’établissement portuaire, propriétaire et exploitant des outillages (grues, portiques à conteneurs, etc.). Cette dichotomie était la source de dysfonctionnements récurrents et de tensions sociales fortes.
La loi a conduit les grands ports maritimes à céder aux opérateurs privés la propriété des outillages et à leur transférer les personnels d’exploitation et de maintenance. L’unicité de pilotage et de commandement sur les terminaux portuaires garantit aujourd’hui cohérence et efficacité dans les opérations de manutention.
Reconquérir l’hinterland
Les ports qui ont su tirer le meilleur parti de la croissance du transport conteneurisé et qui se trouvent aujourd’hui les mieux placés dans la concurrence européenne sont, d’une part, des ports d’Europe du Nord (Rotterdam, Anvers, Brême, Hambourg, etc.), situés au débouché direct du cœur économique de l’Europe et qui ont su construire des chaînes logistiques irriguant l’ensemble de la « banane bleue », d’autre part des ports méditerranéens (Algésiras en Espagne, Gioia Tauro en Italie, dans une moindre mesure Valence en Espagne, etc.), situés sur la route maritime entre Suez et Gibraltar et qui ont développé des plates-formes de transbordement.
Parts modales des trafics conteneurisés des principaux ports européens (hors transbordement)
Les ports français, relativement excentrés par rapport à ces grands flux continentaux, sont positionnés principalement sur leur hinterland naturel (la métropole parisienne pour le port du Havre, les métropoles marseillaise et lyonnaise pour le port de Marseille).
Assez naturellement, les ports français, desservant des marchés de relative proximité, s’appuient sur des chaînes logistiques courtes principalement routières ; a contrario, les ports du nord de l’Europe, dans une logique de conquête de marché à l’échelle du continent, ont construit des chaînes logistiques recourant massivement au fer ou au fleuve.
Les parts modales des ports français restent ainsi davantage tournées vers la route (au-dessus de 80 %) que celles de leurs principaux concurrents européens.
Dynamiser les dessertes massifiées
Le gouvernement et les dirigeants des grands ports maritimes ont défini des plans stratégiques de développement, s’appuyant sur différents leviers : le retour à la rationalité et la fiabilité des processus d’exploitation via la loi de réforme portuaire de 2008, le développement des infrastructures maritimes (via des investissements structurants tels que les nouveaux terminaux de Port 2000 au Havre ou de Fos 2XL à Marseille), mais aussi celui des dessertes terrestres en particulier sur les modes massifiés, ferroviaire et fluvial.
“ Des ports français davantage tournés vers la route ”
L’objectif de report modal vise tout autant l’amélioration de la performance et l’élargissement des marchés des grands ports maritimes que la réduction des consommations énergétiques et la préservation de l’environnement.
C’est à ce titre que la loi du 3 août 2009 dite « loi Grenelle I » prévoit en son article 11.III que « l’amélioration de la compétitivité des ports maritimes français dans la concurrence internationale et de leur desserte multimodale permettra l’accroissement du transport de fret et des activités de logistique, créateurs d’emplois et respectueux de l’environnement.
L’objectif est de doubler la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015. »
Selon un adage bien connu dans le monde maritime, « la bataille des ports se gagne à terre ».
Des pistes de modernisation multiples mais complexes
Le développement de flux massifiés de marchandises, notamment conteneurisées, implique un degré de compétitivité et de fiabilité des chaînes logistiques comparable à ceux de véritables systèmes industriels. C’est dans cette exigence de performance que s’inscrit la desserte ferroviaire des ports maritimes, à l’interface entre les deux systèmes ferroviaire et portuaire, eux-mêmes complexes par de multiples aspects.
Les leviers d’action se structurent autour de plusieurs axes comprenant notamment l’évolution du mode de gestion des réseaux ferrés portuaires ; le développement, la modernisation ou l’optimisation des infrastructures ferroviaires dans l’enceinte portuaire ou dans l’hinterland ; l’organisation des dessertes ferroviaires terminales ; la mise en place de points de massification multimodaux.
Gérer les infrastructures autrement
Les ports français disposent de connexions ferroviaires aménagées bien souvent depuis plusieurs décennies, mais qui n’ont pas toujours connu des développements, ni même des actions de maintenance, en rapport avec les flux qu’elles étaient susceptibles de voir transiter.
“ Les investissements sont maintenant déconnectés de RFF ”
En effet, le statut des voies ferrées portuaires était jusqu’à une date récente incertain : construites historiquement le plus souvent par les établissements portuaires, entretenues par la SNCF puis par Réseau ferré de France, elles ne bénéficiaient des priorités ni de RFF, ni des ports. Le gouvernement a résolu cette question en 2005 par le transfert en pleine propriété des voies ferrées portuaires aux établissements portuaires, devenu effectif en 2008.
Depuis cette date, les grands ports maritimes sont devenus gestionnaires de réseaux ferrés secondaires, évidemment sans comparaison avec le réseau ferré national mais porteurs malgré tout d’enjeux importants. Ce nouveau dispositif représente une charge nouvelle pour les grands ports maritimes, mais leur permet de déterminer librement leur politique de maintenance et surtout de développement et de modernisation de leur réseau.
En particulier, les investissements sont maintenant déconnectés des processus d’instruction et de décision de RFF, libérant les initiatives en faveur des dessertes portuaires indépendamment des arbitrages complexes propres au secteur ferroviaire.
Moderniser les infrastructures
Un axe majeur de développement des dessertes ferroviaires consiste à moderniser les infrastructures, en premier lieu à l’intérieur des enceintes portuaires. Dans ce cadre, chaque contrat de plan État-région prévoit la mobilisation d’investissements publics, en complément des financements propres des grands ports maritimes ; divers projets sont sur le point d’être inscrits dans les contrats de plan 2014–2020, actuellement en cours de négociation.
La question se pose dans des termes plus complexes pour la modernisation des corridors ferroviaires alimentés par les ports, où se superposent le plus souvent avec le fret des trafics ferroviaires grandes lignes ou TER. C’est le cas pour l’axe en direction de Paris et en provenance du Havre, pour la traversée de Lyon en provenance de Marseille, ou pour la traversée de Lille en provenance de Dunkerque.
Les investissements nécessaires pour résorber les goulets d’étranglement peuvent être considérables, se chiffrant en centaines de millions voire en milliards d’euros. L’état des finances publiques ne permettant pas d’envisager de tels investissements à terme rapproché, l’enjeu principal porte sur le partage des capacités existantes et sur l’arbitrage entre les circulations de voyageurs et les transports de fret.
DES PROJETS MAJEURS
Deux projets sont actuellement en cours de développement dans les ports français : le terminal multimodal du Havre et le terminal de transport combiné de Mourepiane dans le port de Marseille ; un projet analogue sera prochainement mis à l’étude sur le site de Fos-sur-Mer.
Réorganiser les dessertes terminales
Autant le mode ferroviaire est économiquement performant pour un transport massifié sur une longue distance, autant il peut être lourd et coûteux pour les mouvements diffus de courte distance, et en particulier pour les dessertes terminales à l’intérieur de la zone portuaire. Le transport de marchandises sur les derniers kilomètres du parcours, voire les derniers hectomètres, peut alors faire appel à un service de collecte et distribution ferroviaire à l’échelle du port et le cas échéant du territoire adjacent.
C’est ici que peut intervenir un OFP (« opérateur ferroviaire de proximité » ou « opérateur ferroviaire portuaire »), véritable « PME du ferroviaire », disposant de moyens de traction adaptés aux mouvements de courte distance et aussi peu coûteux que possible, connaissant parfaitement le réseau portuaire et ses conditions d’exploitation, et consolidant le cas échéant son équilibre économique par la réalisation de missions complémentaires (services divers aux entreprises ferroviaires, voire maintenance ou exploitation d’infrastructures).
Aménager des terminaux de transport combiné
Les flux de marchandises susceptibles d’être transportées par voie ferrée sont issus des différents sites portuaires, terminaux, zones logistiques, entrepôts, etc. Chacun de ces sites génère le plus souvent un trafic insuffisant pour permettre à lui seul le remplissage de trains complets, privilégiant naturellement le recours au transport routier. Le recours au rail peut devenir pertinent si les marchandises sont regroupées depuis ces différents sites sur un point d’injection unique sur le réseau ferroviaire.
L’outil le plus adapté à cet objectif est alors un terminal de transport combiné, situé au cœur de la zone portuaire : ce terminal recueille les conteneurs collectés sur les différents sites portuaires, transportés sur quelques kilomètres par voie routière ou par navettes ferroviaires ; il dispose d’équipements de manutention permettant de regrouper ces marchandises pour constituer des trains complets qui sont alors injectés sur le réseau ferroviaire.
Des perspectives encourageantes
Les trafics globaux des ports français restent incertains ces dernières années, fragilisés par les mutations industrielles de leur hinterland.
“ Le trafic conteneurisé des ports français a progressé de 6 % en 2013 ”
En revanche, la réforme portuaire porte ses fruits dans le domaine du transport par conteneurs : le trafic conteneurisé des ports français a progressé de 5 % en 2012 et de 6 % en 2013. Or, les parts modales se maintiennent globalement à l’échelon national, permettant ainsi au fret ferroviaire de bénéficier de cette croissance.
Cette progression est à mettre en regard de la croissance du volume global de fret ferroviaire conteneurisé (+ 12 % en 2012, + 4,5 % en 2013).
Ces tendances sont évidemment trop récentes, et trop proches des bouleversements issus de la crise économique de 2008–2010 pour être pleinement représentatives ; elles illustrent néanmoins les synergies à rechercher entre transport maritime et transport ferroviaire.