Les hélicoptères civils et leur avenir
L’hélicoptère s’est à la fois répandu dans beaucoup de secteurs d’activité et limité à ces secteurs, alors qu’on l’imaginait dans l’après-guerre prendre une place beaucoup plus grande dans la vie courante des individus. Les développements technologiques actuels lui feront-ils prendre un nouveau départ ?
Abstraction faite des formules individuelles de type ULM, la gamme actuelle des appareils s’étend depuis l’hélicoptère très léger de type Robinson ou Cabri (0,7 t) dédié à l’entraînement et au transport privé jusqu’aux hélicoptères lourds assurant principalement les missions de transport passagers et la desserte des plateformes pétrolières de type Airbus Super Puma ou Sikorsky S‑92 (11 t). Au-delà de 12 t, la puissance nécessaire au vol avec un rotor de taille raisonnable induit des ensembles dynamiques aux nuisances sonores et aux coûts d’exploitation dissuasifs pour l’activité commerciale, d’autant plus qu’au-delà de 19 passagers la réglementation impose un assistant de cabine, ce qui alourdit encore le coût. Le segment des vols touristiques, de la surveillance des infrastructures et du travail aérien est dominé par les hélicoptères légers monomoteurs tels que Airbus Écureuil, Bell JetRanger et leurs dérivés (2,5 t). Les secours, l’évacuation sanitaire, la surveillance sont majoritairement investis par les bimoteurs légers de type Airbus H135 et H145 (3,5 t). Les bimoteurs moyens de type Airbus H155 ou Sikorsky S‑76 (5 t) intéressent plus particulièrement le créneau VIP, les vols d’affaires et la clientèle privée fortunée. Enfin, grâce à leur grand rayon d’action, on trouve également les bimoteurs moyens et lourds dans les opérations SAR et évacuation sanitaire.
REPÈRES
Les missions des 50 000 unités de la flotte mondiale sont extrêmement variées et la vision globale du déploiement civil de l’hélicoptère peut se résumer en deux catégories : les missions d’intérêt public où l’hélicoptère est incontournable du fait de sa capacité d’intervention rapide et ponctuelle (secours – catastrophes naturelles, SAR mer et montagne… ; évacuation et transport sanitaire ; surveillance – police et sécurité civile) et les missions à caractère privé ou commercial portées par la flexibilité des différentes manœuvres depuis la croisière jusqu’au vol stationnaire et l’atterrissage ponctuel (desserte des sites et plateformes isolés en mer ; surveillance des infrastructures – voies ferrées, lignes électriques… ; travail aérien ; entraînement, aéroclubs ; vols touristiques ; taxis, vols d’affaire, transport VIP et loisirs ; transport passagers en zones urbaines congestionnées et entre cités).
Le transport régulier de passagers a été abordé de 1960 à 2000 entre Paris, Bruxelles et Amsterdam par Sabena (Sikorsky S‑55 et S‑58), entre les aéroports de Londres (Sikorsky S‑61), entre New York et ses aéroports, et encore d’autres initiatives en Asie et en Amérique du Sud. Ces différentes expériences n’ont pas eu de prolongement significatif en raison de leur coût élevé, de la concurrence du rail et de leurs restrictions en vol tout temps. Dans un contexte économique différent, seul le segment pétrolier off-shore représente aujourd’hui une véritable activité de transport passagers sur le modèle d’une ligne aérienne.
La situation technologique actuelle
En un demi-siècle d’évolution technologique continue, la turbine a définitivement supplanté le moteur à pistons au-delà de 1,5 à 2 t de masse décollable, les matériaux composites ont été généralisés dans les rotors, les moteurs et les ensembles mécaniques ont été optimisés avec des alliages métalliques performants, les aides au pilotage et à la navigation ont apporté plus de sécurité aux évolutions proches du sol, caractéristiques de l’hélicoptère. La configuration bimoteur s’est généralisée au-delà de 2,5 t de masse décollable, lorsque la panne moteur devient incompatible avec l’exécution de la mission et le survol de zones hostiles. La formule trimoteur rencontrée par le passé n’est pas optimisée en rendement et alourdit les coûts.
Des progrès considérables ont donc été enregistrés en matière de performance, de sécurité, de fiabilité et de confort. On est loin de l’image inquiétante d’une machine compliquée, bruyante et parfois dangereuse perçue au début de l’aventure. De ce fait, la technologie de l’hélicoptère civil conventionnel (un rotor principal et un rotor anticouple), qui reste la plus simple et la moins coûteuse en exploitation (acquisition et entretien), a aujourd’hui atteint sa maturité. Au-delà de distances franchissables comprises entre 400 km pour les très légers et 1 000 km pour les lourds et de vitesses de croisière comprises entre 200 km/h pour les très légers et 280 km/h pour les lourds, la marge de progression en performance devient asymptotique. Théoriquement, on pourrait atteindre 350 km/h avec cette architecture conventionnelle, mais les surcoûts engendrés par le surdimensionnement des ensembles dynamiques, les filtres antivibratoires et l’insonorisation rendent l’exercice encore périlleux sur le plan de la rentabilité.
Des défis à relever
Cependant le parcours n’est pas terminé, le défi concurrentiel du marché civil actuel pour l’essor de ce vecteur de mobilité que l’hélicoptère se doit d’être se situe au niveau des coûts d’exploitation, du confort et du vol tout temps. L’hélicoptère reste encore en retrait sur ces trois points par rapport à un avion équivalent en raison du surcoût d’achat et de maintenance lié à sa complexité, des vibrations et du niveau sonore en cabine. À ces trois points essentiels s’ajoutent pour les pays développés à forte densité urbaine le durcissement des réglementations environnementales et un rejet sociétal visant à limiter les nuisances sonores et les autorisations de survol. À court terme, même si les missions d’intérêt public semblent les moins menacées par les barrières au développement citées ci-dessus pour des raisons évidentes de solidarité avec les services de secours, la consolidation de l’activité hélicoptère et le développement de nouvelles niches d’exploitation s’appuient sur le prolongement des efforts dans les directions suivantes : une action continue sur la réduction des coûts (fiabilité, simplification de maintenance, consommation) ; la réduction du bruit à la source et l’optimisation des trajectoires à la fois pour réduire le bruit en cabine et pour limiter les nuisances extérieures en survol et en approche ; l’extension du domaine de vol (conditions givrantes, VFR – Visual Flight Rules – de nuit, IFR – Instrument Flight Rules – basse altitude) ; l’adaptation des contraintes réglementaires à l’IFR basse altitude, à l’insertion des hélicoptères dans les grands aéroports et à la création d’hélistations dans les métropoles.
Quel avenir ?
Trois axes de recherche peuvent être exploités simultanément pour parfaire l’adaptation de l’hélicoptère aux nouvelles attentes du marché civil.
L’hélicoptère taxi
Malgré quelques tentatives locales, ce segment n’a jamais été réellement investi alors qu’il apparaît comme l’une des solutions au problème de congestion urbaine. On constate en effet que la plupart des hélicoptères commerciaux sont conçus en vue d’une grande polyvalence (vitesse, équipements, altitude…) afin d’élargir au maximum l’assiette de production par souci de rentabilité, mais cela les pénalise en masse et en coût. Dans la continuité de l’architecture actuelle et sous condition d’études de marché approfondies, une limitation de l’ambition opérationnelle à 4 ou 5 passagers, 150 km/h et 150 km de rayon d’action permettrait d’abaisser drastiquement et simultanément les nuisances sonores, la pollution et les coûts, et de lancer un appareil vraiment adapté à l’environnement urbain. Dans la perspective plus lointaine de la propulsion électrique, cet appareil allégé représenterait peut-être la seule chance de faire voler un hélicoptère conventionnel dans ce cadre, lorsque les batteries auront largement dépassé le stade de performance actuel.
Le multirotor électrique
Dans l’esprit de l’empreinte environnementale minimale, l’autre façon d’aborder la mobilité urbaine est de concevoir un appareil VTOL (Vertical Take-off and Landing) exploitant les progrès des moteurs électriques et des systèmes de régulation numériques sur la base de plusieurs rotors animés par des moteurs indépendants. Issue de l’architecture des drones, cette configuration permet d’éliminer les transmissions mécaniques et aboutit à un fuselage plus compact. La performance actuelle des batteries permet d’envisager une masse décollable convenable avec un nombre de passagers limité à trois et une autonomie encore limitée. De nombreux prototypes sont actuellement à l’essai, allant des quadrirotors fixes ou inclinables (CityAirbus) au Volodrone à 12 rotors.
Les hybrides
Dans sa confrontation avec l’avion, l’hélicoptère reste pénalisé par sa vitesse pratique inférieure à 300 km/h et la tentation est grande de combler ce qui est considéré comme un fossé de mobilité pour s’approcher de 500 km/h tout en gardant l’avantage du décollage vertical. Une telle avancée permettrait par exemple de doubler le rayon d’action en mission off-shore, d’augmenter significativement l’efficacité des missions de sauvetage et d’offrir l’avantage d’une croisière très rapide à toutes les missions à vocation de transport de passagers. Deux formules cohabitent actuellement. Le convertible utilise deux rotors basculants en extrémité d’aile assurant le décollage vertical lorsque l’axe est vertical et la croisière en mode avion lorsque l’axe est horizontal. Cette configuration est en service dans l’armée américaine (V‑22 Osprey) et en phase de certification civile chez Leonardo (AW-609). Le programme Clean Sky a financé un démonstrateur dérivé de l’expérience de Leonardo, le NextGen Civil Tiltrotor à l’horizon 2023. Le combiné utilise une poussée axiale additionnelle greffée sur la base d’un hélicoptère conventionnel soit avec une hélice propulsive à l’arrière (prototype Sikorsky Raider), soit deux hélices propulsives fixes en extrémité d’aile (prototype Airbus X‑3). Le programme Clean Sky a également financé un démonstrateur héritier du X‑3 chez Airbus (Racer) à l’horizon 2021. Ces deux scénarios de rupture correspondent à une véritable attente du marché, mais les décisions de développement industriel ne sont pas encore prises. La mise au point s’inscrira dans un nouveau domaine de vol et la certification de ces machines imposera une adaptation importante des règlements. Les deux principaux obstacles à franchir seront la maîtrise des coûts (forcément plus élevés en raison d’une complexité accrue, surtout pour le convertible), pour assurer l’attractivité commerciale, et l’acceptabilité environnementale en zone urbaine pour l’approche des hélistations, en raison du bruit et de l’intensité du souffle rotor plus élevés.