Les lasers à cascade quantique et le groupe de Capasso
Voici un peu plus de six ans, je gravissais les marches du Pierce building, à Harvard, pour un rendez-vous avec Nanfang Yu, actuellement professeur à Columbia University, mais à l’époque encore jeune doctorant. Patiemment, Nanfang me présente divers travaux du groupe : lentilles plasmoniques, lasers nanofils, et lasers à cascade quantique.
Je suis affecté au groupe de Federico Capasso pour y commencer mon stage de recherche.
REPÈRES
Federico Capasso est connu en France comme l’inventeur des lasers à cascade quantique (QCL). La « couleur » des photons émis, c’est-à-dire leur longueur d’onde, peut être choisie en spécifiant l’épaisseur des différentes couches, tout en gardant la même composition des matériaux constitutifs. Ce sont les seuls lasers semi-conducteurs à pouvoir couvrir l’infrarouge.
En l’espace de vingt ans, les QCL sont passés du statut d’impossible projet à celui de riche sujet de recherche, et ils voient maintenant leurs perspectives commerciales se développer très vite.
Une vingtaine d’entreprises les commercialisent aujourd’hui, comme Eos Photonics, rejointe par l’auteur au terme de son doctorat avec Federico Capasso.
Un peu de folie
Démontrer le premier QCL en 1994 demandait un peu de folie ; c’était se lancer dans une entreprise extrêmement complexe mais, toutefois, dans un environnement exceptionnel comme l’était encore à l’époque le Bell Labs.
UN CRISTAL MAGIQUE
Au cœur des QCL, on trouve un mille-feuille de couches atomiques de semi-conducteurs. Lorsque des électrons sont conduits au travers de ce cristal, le « paysage » de potentiel électrique formé par ces couches force les électrons à s’accumuler dans certaines régions avec un excès d’énergie qu’ils peuvent perdre en émettant un photon.
En comparaison, les lasers semi-conducteurs traditionnels, comme ceux des souris d’ordinateur, voient leur « couleur » contrainte en grande partie par les semi-conducteurs qui les composent : chaque nouvelle longueur d’onde requiert une modification des matériaux constitutifs.
Mais, après l’éclatement de la bulle des télécoms, le Bell Labs a vu ses ressources diminuer et la diaspora de ces grands esprits a commencé.
Ils peuplent aujourd’hui les laboratoires des plus grandes universités à travers le monde. C’est ainsi que Federico Capasso est devenu professeur à Harvard en 2002.
La méthode Capasso
Notre groupe de recherche bénéficie grandement d’un accès aisé à une salle blanche de pointe pour nos besoins en nanofabrication. Et si jamais un équipement manque à Harvard, il y a toujours le MIT situé à deux stations de métro.
La relative simplicité des équipements dans nos laboratoires peut en revanche surprendre un visiteur. Où sont les expériences et instruments complexes établis par des générations de postdocs et doctorants ?
“ Une entreprise complexe dans un environnement exceptionnel ”
Cette question touche à une particularité de l’approche de Federico Capasso pour diriger son groupe de recherche. Il le dirige peu, tout du moins au premier abord.
Les meilleurs résultats du groupe découlent généralement de la recette qui suit : « Rassembler quelques élèves et post-docs curieux et enthousiastes, mélanger, laisser s’épanouir les idées et écrémer. » Le résultat est un étonnant mélange de directions de recherche.
Si cette recette n’est certainement pas à recommander pour un usage général, elle offre de grands bénéfices pédagogiques dans un cadre universitaire. Être doctorant avec Federico Capasso, c’est être confronté à une grande variété de sujets.
LA PLASMONIQUE
Federico Capasso a accueilli dans son groupe six élèves de Polytechnique depuis 2008 pour leur stage de recherche. Les sujets qu’ils ont pu aborder sont variés : adaptation d’impédance dans les antennes plasmoniques, optimisation de lentilles plasmoniques plates, modélisation de QCL avec feedback externe, etc.
La plasmonique, c’est-à-dire l’étude de l’interaction des ondes électromagnétiques avec des surfaces et particules métalliques, est une riche plate-forme d’apprentissage et de recherche qui a porté beaucoup de fruits dans le groupe.
La fabrication des échantillons enseigne l’utilisation des principaux outils de fabrication des dispositifs à semi-conducteurs, les expériences sont abordables avec des équipements relativement simples, et beaucoup de concepts physiques peuvent y être traduits.
Les nouveaux fruits d’une vieille technique
Des résonateurs plasmoniques en réseau, bien plus petits que la longueur d’onde, peuvent créer un gradient de phase pour les champs qu’ils diffusent, si leur forme est correctement ajustée (en haut).
Si les différents résonateurs sont placés dans les différents quartiers d’un disque (en bas à gauche), le faisceau réémis par les résonateurs aura une phase qui varie en fonction de l’angle azimutal : un faisceau en « tire-bouchon », avec un zéro d’intensité à son centre (en bas au centre) et un front d’onde en spirale (en bas : à droite) peut alors être créé.
Les différentes variations de couleurs sont obtenues en déposant de très fines couches de germanium sur un film d’or : seulement 10 à 15 couches atomiques de germanium séparent le rose du violet, et une autre quinzaine permet d’obtenir le bleu. La règle graduée est montrée pour donner une échelle de taille. © OPN, HARVARD, MIKHAIL KATS AND LULU LIU.
Le groupe a publié une série d’articles à partir de 2011 sur des lentilles plasmoniques plates et l’optique aux interfaces. En un sens, les concepts n’étaient pas nouveaux : les ingénieurs radio les manipulaient depuis des décennies.
Une lentille déforme un front d’onde, par exemple pour concentrer un faisceau lumineux, en modifiant la phase des ondes électromagnétiques et en utilisant le fait que des ondes traversant des milieux d’épaisseur et d’indice de réfraction différents accumulent diverses phases au cours de leur propagation.
Notre approche est de manipuler les fronts d’ondes électromagnétiques en distribuant des résonateurs plasmoniques sur une surface plate. En adaptant la fréquence de résonance de chaque résonateur, il est possible de changer la phase des ondes qu’ils réémettent lorsqu’ils sont excités par une fréquence donnée, et donc de former le front d’onde désiré.
De cette façon, nous avons été en mesure de transformer une interface entre deux milieux pour démontrer l’analogie de nombreux éléments optiques.
De nombreux groupes nous ont suivis dans cette direction, améliorant les techniques, et démontrant par leur enthousiasme et leur succès que cette « vieille technique » pouvait encore porter de nouveaux fruits : il suffisait de traduire ses concepts pour toucher une nouvelle population de chercheurs.
LES X DE CAPASSO
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Romain Blanchard (2005), chercheur principal à Eos Photonics
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Antoine Moulet (2006), doctorant au Max Planck Institute for Quantum Optics
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Vincent Chery (2007) ; ingénieur développement à Saint-Gobain Glass
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Guillaume Aoust (2008), en deuxième année de thèse à l’ONERA
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Pauline Métivier (2010) master Environmental Technology à l’Imperial College de Londres
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Amaury Hayat (2011), 4A à Cambridge.
Une passation de savoir
Ce type de « passation » de savoir, d’un domaine de recherche à l’autre, est devenu peu à peu une spécialité de Federico Capasso, mettant en lumière son large spectre de connaissances, mais aussi son humilité. Plus d’un chercheur aurait jugé les lois de Snell-Descartes trop triviales pour s’y intéresser.
Le groupe suit aujourd’hui le fil des manipulations de phase aux interfaces et porte son attention sur les propriétés inattendues de très fines couches de matériaux très absorptifs.
Les équations de Maxwell ont peut-être plus de cent cinquante ans, mais elles cachent encore des secrets.