Résonateurs plasmoniques

Les lasers à cascade quantique et le groupe de Capasso

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Romain BLANCHARD (05)

Voici un peu plus de six ans, je gra­vis­sais les marches du Pierce buil­ding, à Har­vard, pour un ren­dez-vous avec Nan­fang Yu, actuel­le­ment pro­fes­seur à Colum­bia Uni­ver­si­ty, mais à l’époque encore jeune doc­to­rant. Patiem­ment, Nan­fang me pré­sente divers tra­vaux du groupe : len­tilles plas­mo­niques, lasers nano­fils, et lasers à cas­cade quantique.

Je suis affec­té au groupe de Fede­ri­co Capas­so pour y com­men­cer mon stage de recherche.

REPÈRES

Federico Capasso est connu en France comme l’inventeur des lasers à cascade quantique (QCL). La « couleur » des photons émis, c’est-à-dire leur longueur d’onde, peut être choisie en spécifiant l’épaisseur des différentes couches, tout en gardant la même composition des matériaux constitutifs. Ce sont les seuls lasers semi-conducteurs à pouvoir couvrir l’infrarouge.
En l’espace de vingt ans, les QCL sont passés du statut d’impossible projet à celui de riche sujet de recherche, et ils voient maintenant leurs perspectives commerciales se développer très vite.
Une vingtaine d’entreprises les commercialisent aujourd’hui, comme Eos Photonics, rejointe par l’auteur au terme de son doctorat avec Federico Capasso.

Un peu de folie

Démon­trer le pre­mier QCL en 1994 deman­dait un peu de folie ; c’était se lan­cer dans une entre­prise extrê­me­ment com­plexe mais, tou­te­fois, dans un envi­ron­ne­ment excep­tion­nel comme l’était encore à l’époque le Bell Labs.

UN CRISTAL MAGIQUE

Au cœur des QCL, on trouve un mille-feuille de couches atomiques de semi-conducteurs. Lorsque des électrons sont conduits au travers de ce cristal, le « paysage » de potentiel électrique formé par ces couches force les électrons à s’accumuler dans certaines régions avec un excès d’énergie qu’ils peuvent perdre en émettant un photon.
En comparaison, les lasers semi-conducteurs traditionnels, comme ceux des souris d’ordinateur, voient leur « couleur » contrainte en grande partie par les semi-conducteurs qui les composent : chaque nouvelle longueur d’onde requiert une modification des matériaux constitutifs.

Mais, après l’éclatement de la bulle des télé­coms, le Bell Labs a vu ses res­sources dimi­nuer et la dia­spo­ra de ces grands esprits a commencé.

Ils peuplent aujourd’hui les labo­ra­toires des plus grandes uni­ver­si­tés à tra­vers le monde. C’est ain­si que Fede­ri­co Capas­so est deve­nu pro­fes­seur à Har­vard en 2002.

La méthode Capasso

Notre groupe de recherche béné­fi­cie gran­de­ment d’un accès aisé à une salle blanche de pointe pour nos besoins en nano­fa­bri­ca­tion. Et si jamais un équi­pe­ment manque à Har­vard, il y a tou­jours le MIT situé à deux sta­tions de métro.

La rela­tive sim­pli­ci­té des équi­pe­ments dans nos labo­ra­toires peut en revanche sur­prendre un visi­teur. Où sont les expé­riences et ins­tru­ments com­plexes éta­blis par des géné­ra­tions de post­docs et doctorants ?

“ Une entreprise complexe dans un environnement exceptionnel ”

Cette ques­tion touche à une par­ti­cu­la­ri­té de l’approche de Fede­ri­co Capas­so pour diri­ger son groupe de recherche. Il le dirige peu, tout du moins au pre­mier abord.

Les meilleurs résul­tats du groupe découlent géné­ra­le­ment de la recette qui suit : « Ras­sem­bler quelques élèves et post-docs curieux et enthou­siastes, mélan­ger, lais­ser s’épanouir les idées et écré­mer. » Le résul­tat est un éton­nant mélange de direc­tions de recherche.

Si cette recette n’est cer­tai­ne­ment pas à recom­man­der pour un usage géné­ral, elle offre de grands béné­fices péda­go­giques dans un cadre uni­ver­si­taire. Être doc­to­rant avec Fede­ri­co Capas­so, c’est être confron­té à une grande varié­té de sujets.

LA PLASMONIQUE

Federico Capasso a accueilli dans son groupe six élèves de Polytechnique depuis 2008 pour leur stage de recherche. Les sujets qu’ils ont pu aborder sont variés : adaptation d’impédance dans les antennes plasmoniques, optimisation de lentilles plasmoniques plates, modélisation de QCL avec feedback externe, etc.
La plasmonique, c’est-à-dire l’étude de l’interaction des ondes électromagnétiques avec des surfaces et particules métalliques, est une riche plate-forme d’apprentissage et de recherche qui a porté beaucoup de fruits dans le groupe.
La fabrication des échantillons enseigne l’utilisation des principaux outils de fabrication des dispositifs à semi-conducteurs, les expériences sont abordables avec des équipements relativement simples, et beaucoup de concepts physiques peuvent y être traduits.

Les nouveaux fruits d’une vieille technique

Des réso­na­teurs plas­mo­niques en réseau, bien plus petits que la lon­gueur d’onde, peuvent créer un gra­dient de phase pour les champs qu’ils dif­fusent, si leur forme est cor­rec­te­ment ajus­tée (en haut).
Si les dif­fé­rents réso­na­teurs sont pla­cés dans les dif­fé­rents quar­tiers d’un disque (en bas à gauche), le fais­ceau réémis par les réso­na­teurs aura une phase qui varie en fonc­tion de l’angle azi­mu­tal : un fais­ceau en « tire-bou­chon », avec un zéro d’intensité à son centre (en bas au centre) et un front d’onde en spi­rale (en bas : à droite) peut alors être créé.


Les dif­fé­rentes varia­tions de cou­leurs sont obte­nues en dépo­sant de très fines couches de ger­ma­nium sur un film d’or : seule­ment 10 à 15 couches ato­miques de ger­ma­nium séparent le rose du vio­let, et une autre quin­zaine per­met d’obtenir le bleu. La règle gra­duée est mon­trée pour don­ner une échelle de taille. © OPN, HARVARD, MIKHAIL KATS AND LULU LIU.

Le groupe a publié une série d’articles à par­tir de 2011 sur des len­tilles plas­mo­niques plates et l’optique aux inter­faces. En un sens, les concepts n’étaient pas nou­veaux : les ingé­nieurs radio les mani­pu­laient depuis des décennies.

Une len­tille déforme un front d’onde, par exemple pour concen­trer un fais­ceau lumi­neux, en modi­fiant la phase des ondes élec­tro­ma­gné­tiques et en uti­li­sant le fait que des ondes tra­ver­sant des milieux d’épaisseur et d’indice de réfrac­tion dif­fé­rents accu­mulent diverses phases au cours de leur propagation.

Notre approche est de mani­pu­ler les fronts d’ondes élec­tro­ma­gné­tiques en dis­tri­buant des réso­na­teurs plas­mo­niques sur une sur­face plate. En adap­tant la fré­quence de réso­nance de chaque réso­na­teur, il est pos­sible de chan­ger la phase des ondes qu’ils réémettent lorsqu’ils sont exci­tés par une fré­quence don­née, et donc de for­mer le front d’onde désiré.

De cette façon, nous avons été en mesure de trans­for­mer une inter­face entre deux milieux pour démon­trer l’analogie de nom­breux élé­ments optiques.

De nom­breux groupes nous ont sui­vis dans cette direc­tion, amé­lio­rant les tech­niques, et démon­trant par leur enthou­siasme et leur suc­cès que cette « vieille tech­nique » pou­vait encore por­ter de nou­veaux fruits : il suf­fi­sait de tra­duire ses concepts pour tou­cher une nou­velle popu­la­tion de chercheurs.

LES X DE CAPASSO

  • Romain Blanchard (2005), chercheur principal à Eos Photonics
  • Antoine Moulet (2006), doctorant au Max Planck Institute for Quantum Optics
  • Vincent Chery (2007) ; ingénieur développement à Saint-Gobain Glass
  • Guillaume Aoust (2008), en deuxième année de thèse à l’ONERA
  • Pauline Métivier (2010) master Environmental Technology à l’Imperial College de Londres
  • Amaury Hayat (2011), 4A à Cambridge.

Une passation de savoir

Ce type de « pas­sa­tion » de savoir, d’un domaine de recherche à l’autre, est deve­nu peu à peu une spé­cia­li­té de Fede­ri­co Capas­so, met­tant en lumière son large spectre de connais­sances, mais aus­si son humi­li­té. Plus d’un cher­cheur aurait jugé les lois de Snell-Des­cartes trop tri­viales pour s’y intéresser.

Le groupe suit aujourd’hui le fil des mani­pu­la­tions de phase aux inter­faces et porte son atten­tion sur les pro­prié­tés inat­ten­dues de très fines couches de maté­riaux très absorptifs.

Les équa­tions de Max­well ont peut-être plus de cent cin­quante ans, mais elles cachent encore des secrets.

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