Les marchés financiers : forces et faiblesses
Le monde financier d’aujourd’hui fait appel à une multiplicité de mécanismes, qui se traduisent en autant de marchés. Certains sont de création récente et sont pour une large part impliqués dans la crise actuelle en particulier du fait de l’inadéquation des règles et contrôles. Mais il ne faut pas oublier que ces marchés remplissent des fonctions indispensables à la bonne marche de l’économie.
REPÈRES
C’est la baisse brutale des cotations données par les agences de notation qui constitue le signal fort de la crise : en octobre 2007, elles dégradent les notes de plus de 4 000 fonds dits RMBS (Residential Mortgage Backed Securities, obligations gagées par des hypothèques sur des logements). Les encours totaux des obligations émises par des sociétés financières américaines pour refinancer leurs créances (Asset Based Securities et Mortgage Securities) représentaient alors 8 000 milliards de dollars. Le FMI estimait en avril 2009 à 4 000 milliards de dollars les pertes de l’ensemble du secteur financier entre 2007 et 2010.
Après plusieurs années d’un loyer de l’argent faible et un gonflement du prix de nombreux actifs, très peu d’observateurs ont mesuré l’impact à venir du retournement du marché immobilier américain à partir de 2006.
Alors que les investisseurs avaient été conduits à rechercher des rendements toujours plus élevés au moyen de produits de plus en plus risqués et complexes, la crise dite des subprimes allait révéler des faiblesses majeures dans deux mécanismes de transfert des risques – la titrisation et les dérivés de gré à gré – et mettre à mal l’ensemble du secteur financier, sous forme de crise de liquidité généralisée d’abord, puis de crise de solvabilité pour un grand nombre d’acteurs de premier plan, avec les conséquences que l’on sait sur l’économie » réelle « 1.
Chacun de ces mécanismes et leurs marchés respectifs ont présenté en effet une série de dysfonctionnements, pour lesquels les régulateurs du monde entier, de façon concertée, ont progressivement affiné les pistes de solution.
Les marchés plus traditionnels comme les marchés régulés d’actions ont mieux résisté à la crise, mais l’innovation financière et une vive concurrence entre plateformes de négociation ont favorisé le développement de certaines formes de trading qui mettent en cause l’efficience des marchés et l’égalité de traitement des intervenants.
Les trois faiblesses de la titrisation
La crise, dont l’épicentre se trouve aux États-Unis, a mis au jour au moins trois faiblesses importantes dans les pratiques de la titrisation.
Une technique pour alléger les bilans
La titrisation est une forme d’ingénierie financière qui est mise enœuvre avec succès depuis les années 1970 notamment aux États-Unis. Cette technique consiste à rassembler des créances, par exemple des prêts hypothécaires, des crédits à la consommation ou encore des prêts consentis dans le cadre d’un LBO, dans un pool qui est cédé à une entité qui à son tour émet des titres (ABS, MBS, ABCP, CLO…), répartis en trois ou quatre tranches au profil de risque distinct (supersenior, senior, mezzanine, equity) et dont les flux (principal et intérêts) sont gagés sur les actifs sous-jacents cédés. La titrisation permet de refinancer les crédits distribués en allégeant les bilans bancaires moyennant le transfert du risque de crédit aux investisseurs.
Tout d’abord, les acteurs de ce modèle dit originate to distribute (consistant à fabriquer des créances puis à les placer sur les marchés financiers) n’avaient pas les incitations nécessaires à la mise en œuvre des diligences requises sur les actifs sous-jacents, et appréciaient mal les risques attachés aux montages. Les banques octroyaient massivement des crédits à des emprunteurs peu solvables tout en sachant que les créances seraient rapidement cédées avec les risques afférents. Il est convenu qu’à l’avenir les banques devront conserver une partie de ces risques au bilan. En outre, elles devront mieux intégrer les risques résiduels hors bilan liés à la titrisation, et mieux gérer les risques de liquidité car les montages sont souvent viables seulement si les refinancements à court terme sont disponibles en permanence.
Ensuite, les agences de notation, un maillon devenu incontournable dans la chaîne de la titrisation en raison notamment de la reconnaissance officielle que leur procure depuis plus de trente ans la réglementation américaine et de la complexité croissante des montages, n’ont pas pu fournir aux investisseurs les informations et analyses dont ils avaient besoin. La pertinence de leur évaluation des risques inhérents aux produits de financement structuré a été largement mise en cause dans un contexte de dégradations multiples et brutales des notes émises à partir de l’automne 2007.
Conflits d’intérêts
Les banques initiatrices de montages financiers ou émettrices de produits ont besoin des agences de notation, tout autant que celles-ci ont besoin des banques. Or les modes de rémunération en vigueur induisent des conflits d’intérêts. L’affaire Enron avait déjà attiré l’attention des autorités sur le niveau d’indépendance des agences.
De toute évidence, les agences – comme les banques initiatrices des montages – devront mieux gérer les conflits d’intérêts, largement liés aux modèles de rémunération. Elles devront aussi mieux évaluer les risques, et mieux communiquer à la fois sur la portée des notes émises et sur les hypothèses et données utilisées dans leurs modèles.
En Europe, un règlement communautaire s’appliquera très prochainement aux agences, mettant fin à un système d’autorégulation fondé sur le code de bonne conduite élaboré au niveau international.
Par ailleurs, les questions relatives aux conflits d’intérêts et incitations soulevées par la crise dépassent le cadre des agences de notation et des banques cédantes. La réglementation, y compris prudentielle et comptable, devra sans aucun doute encadrer dans un sens restrictif toutes les pratiques, y compris en matière de rémunération individuelle, qui incitent à prendre des risques excessifs ou mal mesurés.
Enfin, la transparence du marché a été prise en défaut sur au moins trois plans. D’une part, l’extrême complexité des structures des véhicules de titrisation les rendait difficilement compréhensibles. D’autre part, l’insuffisance des informations disponibles sur les actifs sous-jacents (y compris leurs cash-flows futurs dans différents scénarios) rendait impossible toute analyse sérieuse de la part des investisseurs. En effet, quelle que soit la qualité d’une notation, celle-ci ne doit pas dispenser des diligences nécessaires à la gestion des risques.
Contrôler les dérivés de gré à gré
Les Credit Default Swaps
Ce sont des contrats d’assurance privés par lesquels l’assureur (qualifié de » vendeur ») couvre l’assuré » acheteur » contre les risques de défaillance d’un créancier de l’assuré : le vendeur rembourse l’acheteur des pertes dues à un défaut de paiement. Une particularité de ces contrats est que le vendeur n’est pas tenu de mettre des fonds de côté pour couvrir le risque, ce qui constitue une exposition hors bilan.
Les opérations de dérivés de gré à gré sur les taux, les devises et les actions connaissent un développement soutenu depuis une trentaine d’années. Elles sont aujourd’hui indispensables pour nombre d’acteurs à la recherche d’une couverture de risques variés.
Les risques opérationnels et de contrepartie que présentent ces marchés ont fait l’objet de recommandations dès avant la crise, mais celle-ci a donné un élan déterminant aux évolutions en cours destinées à sécuriser et rendre plus transparents ces marchés, surtout le segment des Credit Default Swaps qui a décuplé en taille en trois ans et présente des risques d’une importance particulière pour la stabilité du système financier.
Les banques octroyaient massivement des crédits à des emprunteurs peu solvables
La crise, et notamment la faillite du groupe Lehman Brothers et la quasi-faillite d’AIG en septembre 2008, a mis en lumière au moins trois faiblesses majeures dans les marchés dérivés de gré à gré.
1) Le volume des opérations et leur complexité engendrent des risques opérationnels considérables. Les acteurs ont fait des progrès significatifs dans les domaines de la standardisation juridique des contrats et l’automatisation des processus (confirmations, flux monétaires…), mais ces efforts doivent être poursuivis.
2) Le caractère bilatéral des transactions et le nombre réduit de participants exacerbent les risques de contrepartie et de concentration, amplifiant les risques de défaillance en chaîne en cas de défaut d’un participant majeur. Le risque systémique présenté par le marché des CDS a conduit les régulateurs du monde entier à estimer qu’il est nécessaire que les CDS standardisés, au moins ceux conclus par les acteurs systémiquement importants, soient compensés par une contrepartie centrale, et les solutions opérationnelles, y compris des bases de données centrales pour les transactions concernées, ont d’ores et déjà commencé à voir le jour.
Les agences de notation n’ont pas pu fournir les informations et analyses nécessaires
3) L’opacité des transactions et des positions sur les marchés peu ou pas régulés rend ces marchés non seulement inefficients mais aussi difficilement contrôlables par les autorités.
Un encadrement des hedge funds
Par ailleurs, la crise a également mis en lumière le rôle parfois prépondérant des hedge funds dans les marchés dérivés de gré à gré, notamment les CDS. Ces fonds ne s’adressant pas au grand public, jusqu’à la crise on jugeait généralement suffisante une régulation indirecte des hedge funds via les contrôles opérés par les prime brokers (les intermédiaires qui financent leur effet de levier). Mais depuis la crise un consensus large s’est dégagé en faveur d’un enregistrement des fonds significatifs auprès d’un régulateur qui serait destinataire d’un flux régulier d’informations sur les fonds.
Repenser l’organisation des marchés
Gestion alternative
Elle vise à décorréler les performances d’un portefeuille de l’évolution générale des marchés, qu’ils soient d’actions, d’obligations, de matières premières, d’immobilier, etc. Elle est pratiquée par des fonds d’investissement dits alternatifs (hedge funds) qui offrent aux investisseurs des opportunités de diversification de leurs portefeuilles.
Si les marchés monétaires (dont le marché interbancaire) ainsi que les marchés obligataires ont fortement souffert de la crise de liquidité et la crise de confiance dans la solidité des acteurs, les marchés réglementés d’actions ont continué à fonctionner à peu près normalement, malgré un recul considérable des cours (baisse de 44 % de l’indice CAC 40 en 2008) et des niveaux historiques de volatilité.
On constate cependant une dégradation persistante des conditions de fonctionnement des marchés actions, probablement en partie attribuable aux séquelles de la crise financière.
Mais d’autres facteurs sont certainement à l’œuvre. En particulier, les effets de la directive MIF sur la concurrence ne semblent pas répondre aux buts visés. Cette question sera examinée dans le cadre de la prochaine révision de la directive.
Réconcilier l’économie et les marchés
Une directive à revoir
La directive européenne concernant les marchés d’instruments financiers (MIF) avait pour ambition de révolutionner les marchés, en particulier en introduisant plus de concurrence. Paradoxalement, elle a abouti à une fragmentation des marchés qui a affaibli les mécanismes de formation des prix.
Les marchés financiers assument des fonctions essentielles à la bonne marche de l’économie. Outre leur participation directe (complémentaire à celle des banques) au financement des entreprises, ils permettent le transfert, la diversification et la couverture des risques d’une part, et l’échange des actifs qui y sont négociés à travers leur fonction de valorisation d’autre part.
L’importance de ces fonctions et des capitaux en jeu, l’innovation financière permanente et la globalisation de la sphère financière exigent une surveillance renforcée et concertée de nature à prévenir, ou pour le moins rendre moins probable, une nouvelle crise financière.
1. Selon les estimations d’avril 2009 du FMI, les pertes pour l’ensemble du secteur financier entre 2007 et 2010 seraient de l’ordre de 4 trillions de dollars américains.