Les mégapoles du monde : quelques repères
Les dénominations et définitions utilisées en français pour les » très grands établissements humains » et leur développement sont variées. En introduction de son article « Réseaux et mégapoles : les nouveaux défis » que l’on trouvera plus avant dans ce numéro, Gabriel Dupuy passe en revue certaines d’entre elles : métropole, métropolisation, mégapole, conurbation, auxquelles on pourrait ajouter mégalopoles, mégalopolis, ou même « métapolis » (ce qui va au-delà de la ville, du centre-ville). Nous nous en sommes tenus au terme de mégapole calqué sur le terme utilisé par les anglophones de megacities.
Le seuil de population le plus souvent proposé est de 8 millions d’habitants (c’est celui adopté par les Nations unies), parfois 10 millions, parfois seulement 5 millions. Comme toutes les limites, ces seuils sont utiles, notamment pour une compréhension globale du phénomène de « mégapolisation », mais ils sont aussi quelque peu artificiels et arbitraires, et devraient être modulés en fonction en particulier de l’époque et de la région considérées. Nous verrons d’ailleurs dans ce numéro qu’il est parfois difficile de distinguer ce qui est spécifique aux très grandes agglomérations ayant une population supérieure à ces seuils, de ce qui est commun à toutes les grandes agglomérations.
Une mégapolisation rapide
Le développement rapide du processus de « mégapolisation » a suscité la création aux niveaux national et international de groupes d’étude et de recherche spécialisés tels que :
- le programme commun sur ce sujet des académies nationales des États-Unis :
(http://www7.nationalacademies.org/ megacities/index.html), - la » Megacities Foundation » aux Pays-Bas :
(http://www.megacities.nl), - le groupe de travail de l’Union géographique internationale sur le sujet, » MegaCity TaskForce » :
- (http://www.megacities.uni-koeln.de),
- » l’Initiative internationale sur la réduction du risque sismique pour les plus grandes villes du monde » :
(http://www-megacities.physik.unikarlsruhe.de), - le groupe des universités de Hong- Kong sur le sujet :
(http://mc2000.arch.hku.hk)…
TABLEAU 2 urbanisation de 1950 à 2015 |
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Monde – Régions | Population/population totale (%) | Accroissement annuel du ratio(%) | ||||
1950 | 1975 | 2000 | 2015 | 1950–2000 | 2000–2015 | |
MONDE | 29,8 | 37,9 | 47,2 | 53,7 | 0,92 | 0,86 |
TABLEAU 3 Population des très grandes agglomérations 1 – Par rapport aux populations totales (en %) |
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Monde – Régions | Agglomérations >10M habitants |
Agglomérations > 8M habitants | Agglomérations > 5M habitants | |||
1975 | 2015 | 1975 | 2015 | 1975 | 2015 | |
MONDE | 1,7 | 4,7 | 3,0 | 6,2 | 4,8 | 8,4 |
TABLEAU 4 Population des très grandes agglomérations 2 – Par rapport aux populations urbaines (en %) |
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Monde – Régions | Agglomérations >10M habitants |
Agglomérations > 8M habitants | Agglomérations > 5M habitants | |||
1975 | 2015 | 1975 | 2015 | 1975 | 2015 | |
MONDE | 4,4 | 8,8 | 7,9 | 11,6 | 12,7 | 15,6 |
Deux rapports réalisés par le département des affaires économiques et sociales des Nations unies, l’un sur les perspectives de la population mondiale (révision de 2002), et l’autre sur les perspectives de l’urbanisation (révision de 2001), et à partir desquels sont construits les tableaux suivants, permettent de se faire une idée suffisamment précise du développement de l’urbanisation et de la « mégapolisation » dans le monde au cours des cinquante dernières années et dans les dix années qui viennent.
On prévoit en 2015 une population mondiale de 7,2 milliards d’êtres humains dont 3,9 milliards d’urbains (tableau 1). La population urbaine dans les pays en voie de développement (PVD) continue à augmenter fortement entre 2000 et 2015 (près de 2,7 % par an, contre seulement moins de 0,4 % pour les pays développés).
L’évolution de l’urbanisation entre 1950 et 2015 (tableau 2) montre que, dans les pays développés, la proportion d’urbains tend asymptotiquement vers 80 % environ, chiffre qui est celui de la France ; et que, par contre, dans les PVD, cette proportion, qui est nettement inférieure, continue de croître fortement, particulièrement dans les pays moins avancés (PMA).
Le tableau 3 montre que la proportion des populations des très grandes agglomérations par rapport aux populations totales double de 1975 à 2015 (de 3 à 6,2 % pour les mégapoles de plus de 8 millions d’habitants). Elle tend à plafonner dans les pays développés, mais augmente très fortement dans les PVD, puisque, pour cette même catégorie de mégapoles, elle sera plus de trois fois supérieure en 2015 qu’en 1975.
Si l’on considère les populations des très grandes agglomérations par rapport aux populations urbaines et non plus par rapport aux populations totales (tableau 4), on voit que les mégapoles de plus de 8 millions d’habitants représenteront plus de 12 % de la population urbaine des PVD en 2015, et celles de plus de 5 millions d’habitants près de 17 %. L’accroissement de ces proportions est forcément encore plus impressionnant dans les PMA puisqu’ils ne comptaient aucune agglomération de plus de 5 millions d’habitants en 1975.
Le tableau 5 rend compte statistiquement du déplacement du phénomène de » mégapolisation » du Nord vers le Sud. Jusque dans les années cinquante, les pays développés possèdent la majorité des très grandes agglomérations, dont la population tend aujourd’hui à plafonner, sinon à décroître. Par contre, à partir de cette même période, le nombre et la taille des mégapoles du Sud vont croître fortement. Ainsi, dans le classement des dix premières agglomérations mondiales de 1950 à 2015, New York va passer de la première à la 7e place ; et, de première mégapole du Sud en 1950 et 1975 (troisième plus grande agglomération à cette date), Shanghai, dont la population n’a pourtant cessé de croître, est maintenant dépassée par plusieurs villes du monde en développement, et rejointe par Dacca qui n’est apparue dans ce classement qu’en 2000, et devrait être dans les toutes premières en 2015.
TABLEAU 5 Les 10 plus grandes agglomérations de 1950 à 2015 (en millions d’habitants) |
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1950 | M. ha | 1975 | M. hab | 2000 | M. hab | 2015 | M. hab | |
1 | New York | 12,3 | Tokyo | 19,8 | Tokyo | 26,4 | Tokyo | 27,2 |
2 | Londres | 8,7 | New York | 15,9 | Mexico | 18,1 | Dacca | 22,8 |
3 | Tokyo | 6,9 | Shangaï | 11,4 | Sao Paulo | 18,0 | Bombay | 22,6 |
4 | Paris | 5,4 | Mexico | 10,7 | New York | 16,7 | Sao Paulo | 21,2 |
5 | Moscou | 5,3 | Sao Paulo | 10,3 | Bombay | 16,1 | Delhi | 20,9 |
6 | Shanghaï | 5,3 | Osaka (Kobe) | 9,8 | Los Angeles | 13,2 | Mexico | 20,4 |
7 | « Rhin-Ruhr » | 5,3 | Buenos Aires | 9,1 | Calcutta | 13,1 | New York | 17,9 |
8 | Buenos Aires | 5,0 | Los Angeles | 8,9 | Shangaï | 12,9 | Jakerta | 17,3 |
9 | Chicago | 4,8 | Paris | 8,9 | Dacca | 12,5 | Calcutta | 16,7 |
10 | Calcutta | 4,4 | Pékin | 8,5 | Delhi | 12,4 | Karachi | 16,2 |
Soit seulement : 1 ville >10 M 1 ville de 8 à 10 M 6 villes de 5 à 8 M |
+11e Londres (8,2 M) +11 villes entre 5 et 8M (dont 4 en PVD) |
+6 autres villes >10M (dont 5 en PVD) + 8 villes entre 8 et 10M (dont 5 en PVD et Paris) +15 villes entre 5 et 8M (dont 12 en PVD et Londres) |
+11 autres villes >10M (dont 9 en PVD) +12 villes entre 8 et 10M (dont 8 en PVD et Paris) +25 villes entre 5 et 8M (dont 21 en PVD et Londres) |
La concentration au Sud du phénomène de » mégapolisation » se traduit aussi dans l’évolution des taux d’accroissement annuel des très grandes agglomérations entre 1975 et 2015 (tableau 6). On peut voir que ces taux sont faibles pour les mégapoles des pays développés, élevés ou même très élevés (plus de 3,5 %, soit un doublement en moins de vingt ans) pour celles des PVD.
TABLEAU 6 Taux d’accroissement annuel (%) de 1975 à 2015 de la population des 24 mégapoles de 2000 (>8 M habitants) |
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Agglomérations | 1975 à 2000 | 2000 à 2015 | Agglomérations | 1975 à 2000 | 2000 à 2015 | Agglomérations | 1975 à 2000 | 2000 à 2015 | |||
1 | Tokyo | 1,17 | 0,19 | 9 | Dacca | 7,26 | 4,07 | 17 | Manille | 2,79 | 1,57 |
2 | Mexico | 2,12 | 0,82 | 10 | Delhi | 4,22 | 3,51 | 18 | Séoul | 1,50 | 0,02 |
3 | Sao Paulo | 2,24 | 1,12 | 11 | Buenos Aires | 1,10 | 0,62 | 19 | Paris | 0,32 | 0,16 |
4 | New York | 0,21 | 0,47 | 12 | Jakarta | 3,37 | 3,04 | 20 | Le Caire | 1,79 | 1,33 |
5 | Bombay | 3,18 | 2,29 | 13 | Osaka | 0,45 | 0,00 | 21 | T’ien-tsin | 1,60 | 0,80 |
6 | Los Angeles | 1,58 | 0,62 | 14 | Pékin | 0,96 | 0,49 | 22 | Istanbul | 3,71 | 1,60 |
7 | Calcutta | 2,04 | 1,67 | 15 | Rio de Janeiro | 1,17 | 0,54 | 23 | Lagos | 6,28 | 4,16 |
8 | Shanghaï | 0,48 | 0,36 | 16 | Karachi | 3,76 | 3,25 | 24 | Moscou | 0,37 | - |
Les cartes des figures 1 et 2 (élaborées par l’université de Cologne à partir des mêmes rapports des Nations unies) illustrent bien cette concentration de la » mégapolisation » dans le monde en développement, particulièrement en Asie et, dans une moindre mesure, en Amérique latine.
Mégapolisation du Nord et mégapolisation du Sud
Le cas des très grandes villes du Nord tendrait à montrer que la » mégapolisation » – que ce soit celle d’une seule agglomération ou de l’ensemble des très grandes villes d’un pays ou groupe de pays – connaît au bout d’un certain temps une inflexion. Sans doute en sera-t-il de même pour les métropoles du Sud. Un exemple souvent cité à cet égard est celui de Mexico. Sa population ayant crû au rythme moyen annuel de 5,3 % de 1950 à 1975 (2,9 à 10,7 millions d’habitants), nombreux étaient ceux dans les années quatre-vingt qui prédisaient qu’elle dépasserait largement les 20 millions d’habitants à la fin du siècle. Il n’en a rien été : en 2000, sa population était » seulement » de 18,1 millions d’habitants et devrait être de 20,4 millions en 2015 (soit des taux d’accroissement moyens annuels de 2,1 % pour la période 1975–2000 et de 0,8 % entre 2000 et 2015).
De fait, l’accroissement des très grandes villes est, en quelque sorte, la résultante du phénomène de « mégapolisation à population totale constante » et de la croissance démographique. Or comme il est clairement montré dans le numéro de février 2005 de La Jaune et la Rouge, notamment dans les articles de C. Marchal, P. Bourcier de Carbon et Z. Ouadah-Bedidi, nous ne sommes plus aujourd’hui dans un contexte » d’explosion démographique « , mais bien de réduction globale de la natalité et de la fécondité que compense de moins en moins l’accroissement de l’espérance de vie, y compris pour l’ensemble du monde en développement (une illustration proche de nous en étant l’évolution démographique au Maghreb). Ce contexte général devrait atténuer à terme la rapidité du phénomène de « mégapolisation » du Sud.
Il n’en demeure pas moins que la croissance actuelle du nombre et de la taille des très grandes agglomérations soulève des questions essentielles relatives à leur gouvernance, à leur gestion et à celle de leurs réseaux de biens et de services ainsi qu’à la prévention des risques auxquels elles sont exposées, questions en partie revues dans les articles qui suivent.
Les plus grandes agglomérations en 2000 FIGURE 2
… et en 2015
Source : MegaCity TaskForce de l’Union géographique internationale.
http://www.megacities.uni-koeln.de/documentation