Étymologie :
À propos des mégaprojets
Ce néologisme, absent des dictionnaires usuels, peut déplaire à des puristes car mégaprojet est un hybride, du grec megas « grand, considérable » et du latin projicere « projeter ». Si l’on tient à rester au latin, on peut parler de projet majeur, du latin major « plus grand », comparatif de magnus « grand, important », relié à la même racine indo-européenne que le grec megas.
On peut préférer un mot équivalent d’origine grecque à 100 %, mais c’est là que les ennuis commencent, comme on va le voir.
Un projet, on commence par le lancer
Le mot projet, attesté au XVe siècle, dérive du verbe projeter, lui-même remontant au verbe latin jacere « jeter, lancer », d’où vient en latin projicere « jeter en avant », avec le préfixe pro « en avant ». L’ancien français avait porjeter « jeter dehors, au loin, en avant », composé du préfixe por-, variante de pro-, et du verbe jeter, du latin tardif jectare, issu du latin classique jactare, fréquentatif de jacere. Ce verbe est à la base d’une grande famille de mots latins passés pour la plupart au français avec l’habituelle évolution de sens du concret à l’abstrait.
Ainsi le latin projicere signifie « jeter en avant, propulser » et en français, projeter a aussi ce sens concret, mais plus souvent le sens abstrait de « prévoir, envisager ». Le latin projectum « saillie (d’une maison) » est concret alors qu’en français le mot projet est abstrait. Le latin projectio « jet en avant » devient en français projection, d’abord dans ce sens concret (d’où aussi la projection en mathématiques et la projection des images), puis dans l’abstrait, la projection dans le temps au sens de « prévision ». Enfin, le latin a aussi conjicere « jeter ensemble, en tas », d’où « jeter des idées ensemble, conjecturer », d’où conjectura « conjecture ».
Pour un mégaprojet, qui risque la mégalomanie, il faut de solides projections économiques et sociétales, et surtout pas de vagues conjectures.
Un mégaprojet peut poser un mégaproblème
Rien d’étonnant du point de vue étymologique. En effet, problème, mot rare avant le XVIIe siècle, vient par le latin problema du grec problêma, problêmatos « saillie, ce qu’on a devant soi, obstacle, question qui se pose, problème », d’où « sujet d’étude » comme dans les Problèmes (en grec Problêmata) d’Aristote. Et problêma vient en grec du verbe proballein… d’abord « jeter en avant, au loin », puis « mettre en avant, proposer », verbe formé du préfixe pro « en avant » et de ballein « jeter, lancer ». Le parallèle est saisissant entre le sens premier de projet, d’origine latine, et celui de problème, d’origine grecque. Cependant, un problème se perçoit comme un obstacle formé par ce qui a été jeté, dressé devant soi (dans l’espace ou dans le temps), alors qu’un projet est ce que l’on a l’intention de réaliser, de promouvoir devant soi, dans le futur.
Notons que « projet » peut se traduire en grec par boulê, du verbe boulomai « vouloir, avoir l’intention de », de même racine que ballein « lancer ». En français, la boulê est la haute assemblée d’une cité grecque qui était chargée de décider de ses grands projets.
Épilogue
A priori, on lance un mégaprojet pour résoudre un mégaproblème, mais la fatalité veut que parfois le mégaprojet finisse lui-même par poser un autre mégaproblème. Il semble que le lot de l’humanité, de plus en plus présente sur la planète, soit d’avoir de plus en plus de difficultés à décider les mégaprojets en arbitrant entre les mégaproblèmes.
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