Récolte d'algues en mer

Les multiples facettes des bioressources marines

Dossier : LA MER : Énergies et ressourcesMagazine N°714 Avril 2016
Par Frédéric MONCANY de SAINT-AIGNAN

Un vaste pro­gramme de recherches est lan­cé pour pou­voir décou­vrir et valo­ri­ser tout le poten­tiel des res­sources pré­sentes en mer.
La France y par­ti­cipe avec des entre­prises de pointe qui ont déjà pro­duit de nom­breuses solutions.
Les domaines explo­rés sont mul­tiples avec les copro­duits de la pêche, les tré­sors de l’algue, la meilleure connais­sance des microor­ga­nismes marins et les appli­ca­tions concernent aus­si bien l’a­groa­li­men­taire que la san­té, la chi­mie, les matériaux

La mer, ave­nir de la terre. Der­rière cette asser­tion se déploie tout l’éventail des riches pro­messes que portent les res­sources marines. L’augmentation des besoins de l’homme, en par­ti­cu­lier pour son ali­men­ta­tion, sa san­té, son mode de vie, en même temps que l’évolution des tech­no­lo­gies, per­mettent de décou­vrir tout le poten­tiel des res­sources pré­sentes en mer et dans les sous-sols.

Ain­si, des acti­vi­tés tra­di­tion­nelles (la pêche en pre­mier lieu) aux acti­vi­tés nou­velles (aqua­cul­ture, bio­tech­no­lo­gies), ce sont des filières indus­trielles com­plètes qui se trans­forment et se créent pour se posi­tion­ner sur des mar­chés et per­mettre à des indus­tries fran­çaises d’excellence d’être com­pé­ti­tives, non seule­ment dans le sec­teur mari­time, mais aus­si dans l’agroalimentaire, la san­té, la chi­mie, les maté­riaux, etc.

Il est donc fon­da­men­tal pour toute notre éco­no­mie de se don­ner les moyens d’avoir accès aux res­sources marines pour mieux les connaître, afin de mieux les valo­ri­ser, notam­ment avec les biotechnologies.

REPÈRES

Seuls 15 % de la biodiversité marine seraient connus (300 000 espèces), lors même que la mer recouvre 70 % de notre planète. La faune et la flore marine, des microorganismes aux organismes supérieurs, n’ont cessé depuis des décennies de fasciner les chercheurs qui découvrent chaque jour de nouvelles espèces et molécules dont les applications peuvent être multiples.
De même, le poisson, ressource alimentaire essentielle (15,7 % de l’apport protéique dans l’alimentation), voire vitale, ouvre des marchés prometteurs grâce à la valorisation des coproduits.

Les promesses des biotechnologies marines

Les bio­tech­no­lo­gies bleues sont un mode d’avenir de valo­ri­sa­tion des bio­res­sources marines. L’OCDE défi­nit les bio­tech­no­lo­gies comme « l’application des sciences et des tech­niques à des orga­nismes vivants pour trans­for­mer les maté­riaux vivants ou non, dans le but de pro­duire des connais­sances, des biens ou des services ».

Les bio­tech­no­lo­gies sont répar­ties entre blanches (appli­ca­tions indus­trielles spé­cia­le­ment la chi­mie), rouges (domaine de la san­té) et vertes (domaine de l’agroalimentaire, bio­ma­té­riaux, éner­gie). Les bio­tech­no­lo­gies bleues dési­gnent, quant à elles, les bio­tech­no­lo­gies dont les « res­sources uti­li­sées ou les cibles visées sont d’origine marine1 ».

Si le mar­ché mon­dial des bio­tech­no­lo­gies bleues est esti­mé à 2,8 mil­liards de dol­lars (crois­sance de 10–12 % par an), c’est parce qu’il est dif­fi­cile de mesu­rer la part des bio­tech­no­lo­gies bleues dans les bio­tech­no­lo­gies, et parce que les res­sources marines trouvent leurs appli­ca­tions dans des mar­chés qui ne sont pas « mari­times » en eux-mêmes.

Ain­si, nombre de mar­chés sont deman­deurs en res­sources marines dont on découvre depuis des décen­nies, et plus par­ti­cu­liè­re­ment depuis les années 1990, un poten­tiel qui reste encore à exploiter.


Hydra­tantes, détoxi­fiantes ou anti­sep­tiques, les algues sont une source de prin­cipes actifs à décou­vrir. Aléor pro­duit des espèces spé­ci­fiques à haute valeur ajou­tée comme la Lami­na­ria ochro­leu­ca, pour répondre à la demande sur un mar­ché en pénu­rie d’offre, notam­ment dans la cos­mé­tique. © OLIVIER CAVELAT – BIOTHERM

Pallier la raréfaction de ressources traditionnelles

Trois rai­sons expliquent ce déve­lop­pe­ment : tout d’abord la raré­fac­tion des res­sources ter­restres et la demande crois­sante de nou­velles puis­sances indus­trielles ; en second lieu, la raré­fac­tion de res­sources ali­men­taires et la forte demande d’une popu­la­tion mon­diale qui s’accroît ; enfin, la réduc­tion des émis­sions et le besoin de solu­tions alter­na­tives issues de la nature.

Au vu des nom­breuses appli­ca­tions, on peut prendre toute la mesure d’un nou­veau champ éco­no­mique non seule­ment pour les filières de l’économie bleue, mais aus­si pour l’ensemble des filières de l’économie.

Ain­si, au moins trois des neuf sec­teurs de « l’industrie du futur » lan­cée en mai 2015 par Emma­nuel Macron sont concer­nés : ali­men­ta­tion intel­li­gente, méde­cine du futur, nou­velles ressources.

Pour répondre aux besoins des mar­chés et notam­ment des bio­tech­no­lo­gies, il faut com­prendre qu’il est essen­tiel d’avoir accès aux ressources.

Un poisson dans la bouche
Dans le Pôle Aqui­mer, Copa­lis, chef de file du pro­jet Pep­Sea­Nov, a déjà déve­lop­pé des extraits pep­ti­diques qui jouent un rôle dans le contrôle du poids, l’hypertension et le bien-être car­dio­vas­cu­laire. © COPALIS

DES ENTREPRISES DE POINTE

La France possède des entreprises et réseaux d’entreprises, ainsi que des plateformes de recherche et des laboratoires extrêmement performants qui ont déjà produit de nombreuses solutions aujourd’hui commercialisées grâce à la découverte du potentiel des bioressources marines. Plusieurs acteurs illustrent ce dynamisme : Aléor, Algopack, Copalis, Fermentalg, Groupe Roullier, Hemarina, Olmix, Station biologique de Roscoff, Trimatec, Valorial, etc.

Du filet de poisson aux coproduits

Selon la FAO, la pro­duc­tion mon­diale de pois­sons en 2013 s’établissait à 158,8 Mt (92,5 Mt pour la pêche et 66,3 Mt pour l’aquaculture) et est esti­mée à 186,1 Mt en 2023 (res­pec­ti­ve­ment 94,5 Mt et 91,6 Mt). L’essentiel de la pro­duc­tion est des­ti­né à l’alimentation humaine avec une consom­ma­tion mon­diale pas­sée de 9,9 kg par habi­tant en 1960 à 19,2 kg en 2012. En France, la consom­ma­tion annuelle est d’environ 37 kg, en sachant que 86 % du pois­son consom­mé est importé.

Désor­mais, dans un sou­ci d’utiliser l’ensemble du pro­duit, de nom­breuses entre­prises inno­vantes et des labo­ra­toires de recherche, notam­ment autour du pôle de com­pé­ti­ti­vi­té Aqui­mer, valo­risent les copro­duits (peaux, arêtes, car­casses) sur les mar­chés deman­deurs : nutra­ceu­tique, cos­mé­tique, san­té, etc.

En effet, outre les farines et huiles de pois­son, de nom­breux com­po­sés sont désor­mais extraits (col­la­gène, sul­fates de chon­droï­tine, enzymes, déri­vés de la chi­tine, etc.) pour entrer dans la com­po­si­tion, par exemple, de com­plé­ments ali­men­taires, de cos­mé­tiques ou encore de trai­te­ments médicaux.

L’enjeu est désor­mais de main­te­nir un outil de pêche essen­tiel aus­si bien à l’accès à la res­source qu’à la connais­sance du milieu marin et à l’alimentation, de déve­lop­per l’aquaculture pour répondre aus­si aux besoins ali­men­taires et aux mar­chés asso­ciés, mais sur­tout de créer les filières des nou­velles voies de valo­ri­sa­tion de l’ensemble du pro­duit, une diver­si­fi­ca­tion pour nombre d’entreprises.

Les trésors de l’algue

Par­mi les végé­taux marins, les macroalgues ont sus­ci­té la créa­tion de nom­breux pro­grammes de R & D (Breizh’Alg, Sens’Alg, etc.) pour répondre aux for­mi­dables poten­tiels de valo­ri­sa­tion à par­tir des trois grandes familles d’hydrocolloïdes qu’elles pro­duisent (algi­nates, car­rag­hé­nanes et l’agar-agar).

150 000 TONNES À VALORISER

France Agrimer a estimé à 150 000 tonnes le gisement de biomasse qui pourrait s’accroître du fait de l’entrée en vigueur de l’obligation de débarquement qui impose aux pêcheurs de rapporter à terre tout ce qui a été prélevé, donc les prises accessoires.
Elles pourraient alors bénéficier des premières expériences de valorisation des coproduits.

Le domaine le plus ancien et déjà connu est la cos­mé­tique, mais on recense aus­si l’alimentation humaine et ani­male (avec les géli­fiants et épais­sis­sants), la nutra­ceu­tique (comme les com­plé­ments ali­men­taires), la san­té (tra­ceurs pour exa­mens médi­caux), et d’autres appli­ca­tions (bio­plas­tiques, colo­rants, baguettes de sou­dure, textiles).

L’augmentation de la consom­ma­tion d’algues pour répondre aux besoins des mar­chés à forte valeur ajou­tée exige désor­mais une pro­duc­tion de masse suf­fi­sante sans laquelle des pro­jets indus­triels échouent. En 2013, la pro­duc­tion mon­diale d’algues s’établissait à 25 Mt dont 95 % en pro­ve­nance d’Asie. La France pro­duit quant à elle 71 000 tonnes, dont 50 tonnes issues de l’algoculture, en dépit de la demande et d’espaces mari­times importants.

Le trop lent déve­lop­pe­ment de l’algoculture s’explique notam­ment par les dif­fi­cul­tés d’implanter des fermes sur les côtes, tant pour des rai­sons d’image, de conflits d’usage que de règle­men­ta­tions encore inadaptées.

Deux solu­tions sont envi­sa­gées. La pre­mière est l’aquaculture mul­ti­tro­phique déve­lop­pée par le CEVA, pour favo­ri­ser en toute com­plé­men­ta­ri­té dans un même espace l’élevage de plu­sieurs espèces et la culture d’algues.

La seconde solu­tion serait d’aller au large pour créer des parcs aqua­coles, grâce aux pro­jets de pla­te­formes off­shore mul­tiu­sages por­tés par des indus­triels du génie mari­time et du génie civil.

Les microorganismes marins

Pour reprendre les termes de Ber­trand Thol­las, aujourd’hui « une infime par­tie des microor­ga­nismes marins a été décrite, ce qui laisse un poten­tiel énorme de recherche et de déve­lop­pe­ment à par­tir de cette bio­masse ». « Les microalgues ont un énorme poten­tiel de créa­tion de valeur et repré­sentent un réser­voir d’innovation impor­tant », pour­suit Patrick Durand.

Ces orga­nismes de taille infé­rieure à 2 mm ont un rôle déter­mi­nant dans les éco­sys­tèmes comme l’ont révé­lé les pre­mières études menées par Tara et ren­dues publiques dans la revue Science en mai 2015. En syn­thé­ti­sant les molé­cules, il est pos­sible de trou­ver encore de nom­breuses appli­ca­tions dans l’ensemble des sec­teurs men­tion­nés jusqu’ici, en sou­li­gnant leur rôle dans l’énergie, la dépol­lu­tion et la chi­mie verte.

L’enjeu est aus­si bien de pour­suivre les recherches scien­ti­fiques pour décou­vrir ces res­sources et com­prendre leur fonc­tion­ne­ment et leur rôle, que de trou­ver des finan­ceurs pour les pro­grammes de R & D et les pro­jets industriels.

Ain­si, la pla­te­forme Algo­so­lis, lan­cée en octobre 2015 par le Gepea de l’université de Nantes avec les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té Mer Bre­tagne Atlan­tique et Valo­rial ain­si qu’Atlanpole, a pour ambi­tion de déve­lop­per la filière des microalgues en ras­sem­blant aca­dé­miques et industriels.

LES ALGUES ALIMENTAIRES BRETONNES, UNE RÉALITÉ INDUSTRIELLE

Préparation de juliennes d’algues
Pré­pa­ra­tion de juliennes d’algues sur un outil indus­triel. © CEVA

L’objectif premier du projet Sens’Alg (2014−2016) est de développer des produits alimentaires intermédiaires (PAI) à partir d’une gamme d’algues (brunes, vertes, rouges) et de plantes halophytes récoltées et produites en Bretagne, afin de faciliter leur appropriation par les industriels de l’agroalimentaire.
Porté par le CEVA depuis 2014, le projet fédère un réseau de centres techniques agri-agro bretons avec IDmer, Adria Développement et Vegenov, dans ce qui préfigurait la nouvelle structure Act Food Bretagne, ainsi que le Centre culinaire contemporain de Rennes.
Côté industriel, le cluster Brit’Inov et un solide réseau d’entreprises de l’agroalimentaire fournissent certaines algues et plantes marines de culture, font remonter les besoins et testent les produits. Ils bénéficient aussi en avant-première de tous les résultats du consortium, avant une diffusion plus large prévue dès 2017.
Procédés de transformation et de conservation, analyses nutritionnelles et sensorielles, cartographie culinaire, études consommateurs, etc, tout est mis en œuvre pour une maîtrise totale du produit et la mise en évidence des meilleures pistes d’innovation.

Penser la valorisation

L’essentiel est de com­prendre qu’il faut pen­ser les dif­fé­rentes valo­ri­sa­tions des res­sources marines en filières et chaînes de valeur. En effet, de l’accès aux res­sources à l’utilisateur ou au consom­ma­teur final, en pas­sant par la trans­for­ma­tion, de mul­tiples métiers et com­pé­tences sont essentiels.

Utilisation d'un coquillage proliférant, la crépidule
Atlan­tic Lim­pet Deve­lop­ment pêche un coquillage pro­li­fé­rant, la cré­pi­dule, et peut valo­ri­ser la coquille (35 t/semaine) sur trois mar­chés : amen­de­ment cal­caire pour l’agriculture maraî­chère ; ali­men­ta­tion ani­male pour les poules pon­deuses et dans le BTP sous forme de gra­nu­lats pour réa­li­ser des pavés drai­nants. © ALD-FHA-CRÉPIDULES

Ain­si, par exemple, pour la pêche, le pois­son fait vivre tout un éco­sys­tème qui repose aus­si bien sur la construc­tion et la répa­ra­tion navale des navires que sur les mareyeurs, les trans­for­ma­teurs, les dis­tri­bu­teurs, sans oublier les ser­vices asso­ciés (for­ma­tion, recherche, logis­tique, com­mu­ni­ca­tion, équipementiers).

Enle­ver des com­pé­tences à un niveau remet en cause l’équilibre socio-éco­no­mique de toute la filière. Il en va de même pour les autres res­sources marines.

À tous les stades, le cadre juri­dique et fis­cal ain­si que les moyens de finan­ce­ment doivent accom­pa­gner le déve­lop­pe­ment de ces indus­tries, en même temps qu’il faut miser sur la for­ma­tion, indis­pen­sable au main­tien et à l’acquisition des com­pé­tences clés.

Des milliers d’emplois en jeu

En par­tant des mar­chés deman­deurs qui répondent aux besoins de nos socié­tés, on se rend compte du carac­tère stra­té­gique de la maî­trise de ces filières qui repré­sentent déjà aujourd’hui près de 65 000 emplois directs, chiffres incluant la pêche, l’aquaculture (dont les algues), le mareyage et les indus­tries de trans­for­ma­tion de pro­duits de la mer et une esti­ma­tion du nombre d’emplois dans le sec­teur des bio­tech­no­lo­gies bleues.

À ces chiffres il faut ajou­ter tous les emplois induits. Demain, ce sera beau­coup plus. Si la France se targue de pos­sé­der le deuxième espace mari­time mon­dial, il serait temps d’adopter une véri­table stra­té­gie de connais­sance, d’accès et de valo­ri­sa­tion des bio­res­sources marines.

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1. Boyen, Jaouen et al. (2015),
Les Bio­tech­no­lo­gies marines dans le Grand Ouest, Euro­pôle Mer Éd., p. 8.

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