Les multiples facettes des bioressources marines
Un vaste programme de recherches est lancé pour pouvoir découvrir et valoriser tout le potentiel des ressources présentes en mer.
La France y participe avec des entreprises de pointe qui ont déjà produit de nombreuses solutions.
Les domaines explorés sont multiples avec les coproduits de la pêche, les trésors de l’algue, la meilleure connaissance des microorganismes marins et les applications concernent aussi bien l’agroalimentaire que la santé, la chimie, les matériaux
La mer, avenir de la terre. Derrière cette assertion se déploie tout l’éventail des riches promesses que portent les ressources marines. L’augmentation des besoins de l’homme, en particulier pour son alimentation, sa santé, son mode de vie, en même temps que l’évolution des technologies, permettent de découvrir tout le potentiel des ressources présentes en mer et dans les sous-sols.
Ainsi, des activités traditionnelles (la pêche en premier lieu) aux activités nouvelles (aquaculture, biotechnologies), ce sont des filières industrielles complètes qui se transforment et se créent pour se positionner sur des marchés et permettre à des industries françaises d’excellence d’être compétitives, non seulement dans le secteur maritime, mais aussi dans l’agroalimentaire, la santé, la chimie, les matériaux, etc.
Il est donc fondamental pour toute notre économie de se donner les moyens d’avoir accès aux ressources marines pour mieux les connaître, afin de mieux les valoriser, notamment avec les biotechnologies.
REPÈRES
Seuls 15 % de la biodiversité marine seraient connus (300 000 espèces), lors même que la mer recouvre 70 % de notre planète. La faune et la flore marine, des microorganismes aux organismes supérieurs, n’ont cessé depuis des décennies de fasciner les chercheurs qui découvrent chaque jour de nouvelles espèces et molécules dont les applications peuvent être multiples.
De même, le poisson, ressource alimentaire essentielle (15,7 % de l’apport protéique dans l’alimentation), voire vitale, ouvre des marchés prometteurs grâce à la valorisation des coproduits.
Les promesses des biotechnologies marines
Les biotechnologies bleues sont un mode d’avenir de valorisation des bioressources marines. L’OCDE définit les biotechnologies comme « l’application des sciences et des techniques à des organismes vivants pour transformer les matériaux vivants ou non, dans le but de produire des connaissances, des biens ou des services ».
Les biotechnologies sont réparties entre blanches (applications industrielles spécialement la chimie), rouges (domaine de la santé) et vertes (domaine de l’agroalimentaire, biomatériaux, énergie). Les biotechnologies bleues désignent, quant à elles, les biotechnologies dont les « ressources utilisées ou les cibles visées sont d’origine marine1 ».
Si le marché mondial des biotechnologies bleues est estimé à 2,8 milliards de dollars (croissance de 10–12 % par an), c’est parce qu’il est difficile de mesurer la part des biotechnologies bleues dans les biotechnologies, et parce que les ressources marines trouvent leurs applications dans des marchés qui ne sont pas « maritimes » en eux-mêmes.
Ainsi, nombre de marchés sont demandeurs en ressources marines dont on découvre depuis des décennies, et plus particulièrement depuis les années 1990, un potentiel qui reste encore à exploiter.
Hydratantes, détoxifiantes ou antiseptiques, les algues sont une source de principes actifs à découvrir. Aléor produit des espèces spécifiques à haute valeur ajoutée comme la Laminaria ochroleuca, pour répondre à la demande sur un marché en pénurie d’offre, notamment dans la cosmétique. © OLIVIER CAVELAT – BIOTHERM
Pallier la raréfaction de ressources traditionnelles
Trois raisons expliquent ce développement : tout d’abord la raréfaction des ressources terrestres et la demande croissante de nouvelles puissances industrielles ; en second lieu, la raréfaction de ressources alimentaires et la forte demande d’une population mondiale qui s’accroît ; enfin, la réduction des émissions et le besoin de solutions alternatives issues de la nature.
Au vu des nombreuses applications, on peut prendre toute la mesure d’un nouveau champ économique non seulement pour les filières de l’économie bleue, mais aussi pour l’ensemble des filières de l’économie.
Ainsi, au moins trois des neuf secteurs de « l’industrie du futur » lancée en mai 2015 par Emmanuel Macron sont concernés : alimentation intelligente, médecine du futur, nouvelles ressources.
Pour répondre aux besoins des marchés et notamment des biotechnologies, il faut comprendre qu’il est essentiel d’avoir accès aux ressources.
Dans le Pôle Aquimer, Copalis, chef de file du projet PepSeaNov, a déjà développé des extraits peptidiques qui jouent un rôle dans le contrôle du poids, l’hypertension et le bien-être cardiovasculaire. © COPALIS
DES ENTREPRISES DE POINTE
La France possède des entreprises et réseaux d’entreprises, ainsi que des plateformes de recherche et des laboratoires extrêmement performants qui ont déjà produit de nombreuses solutions aujourd’hui commercialisées grâce à la découverte du potentiel des bioressources marines. Plusieurs acteurs illustrent ce dynamisme : Aléor, Algopack, Copalis, Fermentalg, Groupe Roullier, Hemarina, Olmix, Station biologique de Roscoff, Trimatec, Valorial, etc.
Du filet de poisson aux coproduits
Selon la FAO, la production mondiale de poissons en 2013 s’établissait à 158,8 Mt (92,5 Mt pour la pêche et 66,3 Mt pour l’aquaculture) et est estimée à 186,1 Mt en 2023 (respectivement 94,5 Mt et 91,6 Mt). L’essentiel de la production est destiné à l’alimentation humaine avec une consommation mondiale passée de 9,9 kg par habitant en 1960 à 19,2 kg en 2012. En France, la consommation annuelle est d’environ 37 kg, en sachant que 86 % du poisson consommé est importé.
Désormais, dans un souci d’utiliser l’ensemble du produit, de nombreuses entreprises innovantes et des laboratoires de recherche, notamment autour du pôle de compétitivité Aquimer, valorisent les coproduits (peaux, arêtes, carcasses) sur les marchés demandeurs : nutraceutique, cosmétique, santé, etc.
En effet, outre les farines et huiles de poisson, de nombreux composés sont désormais extraits (collagène, sulfates de chondroïtine, enzymes, dérivés de la chitine, etc.) pour entrer dans la composition, par exemple, de compléments alimentaires, de cosmétiques ou encore de traitements médicaux.
L’enjeu est désormais de maintenir un outil de pêche essentiel aussi bien à l’accès à la ressource qu’à la connaissance du milieu marin et à l’alimentation, de développer l’aquaculture pour répondre aussi aux besoins alimentaires et aux marchés associés, mais surtout de créer les filières des nouvelles voies de valorisation de l’ensemble du produit, une diversification pour nombre d’entreprises.
Les trésors de l’algue
Parmi les végétaux marins, les macroalgues ont suscité la création de nombreux programmes de R & D (Breizh’Alg, Sens’Alg, etc.) pour répondre aux formidables potentiels de valorisation à partir des trois grandes familles d’hydrocolloïdes qu’elles produisent (alginates, carraghénanes et l’agar-agar).
150 000 TONNES À VALORISER
France Agrimer a estimé à 150 000 tonnes le gisement de biomasse qui pourrait s’accroître du fait de l’entrée en vigueur de l’obligation de débarquement qui impose aux pêcheurs de rapporter à terre tout ce qui a été prélevé, donc les prises accessoires.
Elles pourraient alors bénéficier des premières expériences de valorisation des coproduits.
Le domaine le plus ancien et déjà connu est la cosmétique, mais on recense aussi l’alimentation humaine et animale (avec les gélifiants et épaississants), la nutraceutique (comme les compléments alimentaires), la santé (traceurs pour examens médicaux), et d’autres applications (bioplastiques, colorants, baguettes de soudure, textiles).
L’augmentation de la consommation d’algues pour répondre aux besoins des marchés à forte valeur ajoutée exige désormais une production de masse suffisante sans laquelle des projets industriels échouent. En 2013, la production mondiale d’algues s’établissait à 25 Mt dont 95 % en provenance d’Asie. La France produit quant à elle 71 000 tonnes, dont 50 tonnes issues de l’algoculture, en dépit de la demande et d’espaces maritimes importants.
Le trop lent développement de l’algoculture s’explique notamment par les difficultés d’implanter des fermes sur les côtes, tant pour des raisons d’image, de conflits d’usage que de règlementations encore inadaptées.
Deux solutions sont envisagées. La première est l’aquaculture multitrophique développée par le CEVA, pour favoriser en toute complémentarité dans un même espace l’élevage de plusieurs espèces et la culture d’algues.
La seconde solution serait d’aller au large pour créer des parcs aquacoles, grâce aux projets de plateformes offshore multiusages portés par des industriels du génie maritime et du génie civil.
Les microorganismes marins
Pour reprendre les termes de Bertrand Thollas, aujourd’hui « une infime partie des microorganismes marins a été décrite, ce qui laisse un potentiel énorme de recherche et de développement à partir de cette biomasse ». « Les microalgues ont un énorme potentiel de création de valeur et représentent un réservoir d’innovation important », poursuit Patrick Durand.
Ces organismes de taille inférieure à 2 mm ont un rôle déterminant dans les écosystèmes comme l’ont révélé les premières études menées par Tara et rendues publiques dans la revue Science en mai 2015. En synthétisant les molécules, il est possible de trouver encore de nombreuses applications dans l’ensemble des secteurs mentionnés jusqu’ici, en soulignant leur rôle dans l’énergie, la dépollution et la chimie verte.
L’enjeu est aussi bien de poursuivre les recherches scientifiques pour découvrir ces ressources et comprendre leur fonctionnement et leur rôle, que de trouver des financeurs pour les programmes de R & D et les projets industriels.
Ainsi, la plateforme Algosolis, lancée en octobre 2015 par le Gepea de l’université de Nantes avec les pôles de compétitivité Mer Bretagne Atlantique et Valorial ainsi qu’Atlanpole, a pour ambition de développer la filière des microalgues en rassemblant académiques et industriels.
LES ALGUES ALIMENTAIRES BRETONNES, UNE RÉALITÉ INDUSTRIELLE
Préparation de juliennes d’algues sur un outil industriel. © CEVA
L’objectif premier du projet Sens’Alg (2014−2016) est de développer des produits alimentaires intermédiaires (PAI) à partir d’une gamme d’algues (brunes, vertes, rouges) et de plantes halophytes récoltées et produites en Bretagne, afin de faciliter leur appropriation par les industriels de l’agroalimentaire.
Porté par le CEVA depuis 2014, le projet fédère un réseau de centres techniques agri-agro bretons avec IDmer, Adria Développement et Vegenov, dans ce qui préfigurait la nouvelle structure Act Food Bretagne, ainsi que le Centre culinaire contemporain de Rennes.
Côté industriel, le cluster Brit’Inov et un solide réseau d’entreprises de l’agroalimentaire fournissent certaines algues et plantes marines de culture, font remonter les besoins et testent les produits. Ils bénéficient aussi en avant-première de tous les résultats du consortium, avant une diffusion plus large prévue dès 2017.
Procédés de transformation et de conservation, analyses nutritionnelles et sensorielles, cartographie culinaire, études consommateurs, etc, tout est mis en œuvre pour une maîtrise totale du produit et la mise en évidence des meilleures pistes d’innovation.
Penser la valorisation
L’essentiel est de comprendre qu’il faut penser les différentes valorisations des ressources marines en filières et chaînes de valeur. En effet, de l’accès aux ressources à l’utilisateur ou au consommateur final, en passant par la transformation, de multiples métiers et compétences sont essentiels.
Atlantic Limpet Development pêche un coquillage proliférant, la crépidule, et peut valoriser la coquille (35 t/semaine) sur trois marchés : amendement calcaire pour l’agriculture maraîchère ; alimentation animale pour les poules pondeuses et dans le BTP sous forme de granulats pour réaliser des pavés drainants. © ALD-FHA-CRÉPIDULES
Ainsi, par exemple, pour la pêche, le poisson fait vivre tout un écosystème qui repose aussi bien sur la construction et la réparation navale des navires que sur les mareyeurs, les transformateurs, les distributeurs, sans oublier les services associés (formation, recherche, logistique, communication, équipementiers).
Enlever des compétences à un niveau remet en cause l’équilibre socio-économique de toute la filière. Il en va de même pour les autres ressources marines.
À tous les stades, le cadre juridique et fiscal ainsi que les moyens de financement doivent accompagner le développement de ces industries, en même temps qu’il faut miser sur la formation, indispensable au maintien et à l’acquisition des compétences clés.
Des milliers d’emplois en jeu
En partant des marchés demandeurs qui répondent aux besoins de nos sociétés, on se rend compte du caractère stratégique de la maîtrise de ces filières qui représentent déjà aujourd’hui près de 65 000 emplois directs, chiffres incluant la pêche, l’aquaculture (dont les algues), le mareyage et les industries de transformation de produits de la mer et une estimation du nombre d’emplois dans le secteur des biotechnologies bleues.
À ces chiffres il faut ajouter tous les emplois induits. Demain, ce sera beaucoup plus. Si la France se targue de posséder le deuxième espace maritime mondial, il serait temps d’adopter une véritable stratégie de connaissance, d’accès et de valorisation des bioressources marines.
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1. Boyen, Jaouen et al. (2015),
Les Biotechnologies marines dans le Grand Ouest, Europôle Mer Éd., p. 8.