Les nanotechnologies pour demain et après-demain
Depuis bientôt dix ans les « nanos » font partie de notre quotidien. En effet, la structure la plus petite dans un microprocesseur était inférieure à 100 nm dès les années 2005 ; elle est maintenant de 14 nm dans les plus récents.
REPÈRES
L’étude des phénomènes nanophysiques est la mission du Laboratoire de photonique et de nanostructures (LPN), laboratoire d’une centaine de permanents dédié aux nanosciences et aux nanotechnologies. Les recherches qui y sont menées visent aussi bien à comprendre au niveau fondamental comment la matière se comporte aux très petites dimensions qu’à tirer parti de ces nouvelles propriétés pour imaginer des dispositifs innovants.
Course à la miniaturisation
Cette course à la miniaturisation, menée par l’industrie de la microélectronique dès les années 1970, a permis aux chercheurs, physiciens tout d’abord, d’accéder à des objets jusqu’alors inaccessibles.
Les nanosciences couvrent désormais l’ensemble des champs disciplinaires jusqu’aux sciences humaines par les problèmes sociétaux qu’elles soulèvent. La nanophysique étudie le comportement de la matière aux très petites dimensions.
Effets quantiques
Pourquoi la matière a‑t-elle un comportement différent lorsque l’on réduit ses dimensions ? Il y a tout d’abord une exaltation de l’effet de surface.
“ La dualité onde-particule doit être prise en compte ”
En effet, lorsque l’on réduit la taille, le taux d’atomes en surface augmente considérablement par rapport à ceux en volume. Les atomes en surface n’ayant pas le même environnement que ceux en volume, on s’attend donc à observer des propriétés physiques notablement différentes, avec des applications intéressantes pour les capteurs.
Vue par microscopie à force atomique d’une couche active à boîtes quantiques montrant la distribution des boîtes.
Mais il y a également des effets plus intrinsèques, les effets quantiques. Ils se manifestent sous deux aspects.
Tout d’abord la réduction des dimensions lève la dégénérescence des niveaux d’énergie, on passe alors d’une bande continue d’états à des niveaux discrets – l’énergie est quantifiée ainsi que toutes les autres propriétés qui en dépendent : conduction électrique, absorption optique, etc. Les densités d’états deviennent plus marquées, propriétés utilisées dans les lasers à semi-conducteurs comme nous le verrons par la suite.
Mais également, sur des petites distances, les particules restent cohérentes et les effets d’interférences, qui sont souvent brouillés à l’échelle macroscopique deviennent importants : la dualité onde-particule doit être prise en compte.
Transmettre plusieurs térabits/s
Parmi les recherches que nous menons, certaines auront des applications proches, et d’autres seront plus futuristes. Ainsi, les nanostructures et les nanotechnologies sont entrées dans le domaine des diodes laser pour les communications optiques.
Les lasers à semi-conducteurs à base de « boîtes quantiques » sont étudiés pour leurs propriétés remarquables liées au confinement des porteurs de charge dans les trois dimensions de l’espace.
Une boîte quantique est constituée d’un îlot de matériau semi-conducteur de dimension typique 10 nm x 10 nm x 10 nm. Au LPN, c’est l’élargissement inhomogène du spectre de gain lié à la distribution en taille des boîtes qui a été récemment exploité dans des diodes laser en régime de verrouillage de modes, pour la génération de peignes de fréquence.
Des dizaines de canaux spectraux à faible bruit ont pu être utilisés dans des expériences de transmission optique, jusqu’à un débit de 2,25 térabits/s par composant. Ces résultats offrent des perspectives passionnantes pour un certain nombre d’applications, dont les interconnections optiques dans les data centers.
Ce travail s’effectue au LPN en partenariat avec Alcatel 3–5 Lab et les partenaires du projet européen Bigpipes.
Spectre optique de l’émission du laser en verrouillage de modes ;
près de 100 modes espacés de 20 GHz sont utilisés comme canaux de transmission.
Nanolasers
L’intégration des composants optiques, au plus près de l’électronique de commande, passe aussi par l’intégration hétérogène de semi-conducteurs III‑V sur silicium.
Photographie prise au microscope électronique à balayage d’un nanolaser hybride III‑V sur Si.
Il s’agit d’une technologie clé pour la convergence de la microélectronique et de la photonique sur puce, un grand défi de la R & D actuelle dans le domaine des composants.
Le LPN a fait récemment rentrer ce champ de recherche dans le monde de la nanophotonique en réalisant des nanolasers à base de cristaux photoniques couplés de façon extrêmement efficace à une circuiterie sous-jacente de guides d’onde en silicium.
Ces nanolasers, fabriqués de façon compatible CMOS (standard de la microélectronique), sont extrêmement compacts puisqu’ils occupent une surface de l’ordre de 10 μm2 sur le circuit. Ils présentent des performances très prometteuses en termes de consommation d’énergie et de rapidité.
Traitement quantique de l’information
Un des grands espoirs des nanotechnologies est le traitement quantique de l’information. Plutôt que de coder l’information sous forme binaire, la mécanique quantique permet de traiter une superposition d’états. Il ne s’agit donc plus d’un bit qui vaut 0 ou 1 mais d’une infinité de superpositions d’états 0 et 1. La puissance de calcul est alors exponentiellement augmentée.
“ Les nanolasers occupent une surface de 10 μm2 ”
En optique, le traitement quantique de l’information (cryptographie ou calcul) nécessite de contrôler les photons individuellement. Dans les lasers qui sont utilisés dans les télécommunications sur fibre, la lumière qui transporte l’information arrive sous forme de paquet d’un très grand nombre de photons. Il est très difficile de réaliser des sources de lumière où chaque paquet contient un seul photon.
SEMI-CONDUCTEURS III‑V
Ces composants électroniques sont constitués à partir de matériaux fabriqués à partir d’un ou plusieurs éléments de la IIIe colonne du tableau de Mendeleïev (B, Al, Ga, In, etc.) et de la Ve colonne du même tableau (N, P, As, Sb, etc.)
Pour cela, on peut utiliser des nano-émetteurs à l’état solide : ils émettent des photons un par un. Cependant, pour faire une source efficace, il faut placer cet émetteur de façon très précise dans une microcavité optique.
Pascale Senellart (93) a mis au point une technique originale de lithographie in situ qui permet de sélectionner un émetteur, ici une boîte quantique de semi-conducteur, de mesurer sa position à 50 nm près et de façonner autour de celle-ci une cavité parfaitement adaptée.
Cette technique permet non seulement de contrôler l’émission photon par photon mais également d’avoir une brillance remarquable, condition indispensable à une utilisation réelle de dispositifs. Une porte logique basique (CNOT) de logique quantique a déjà été réalisée avec ce dispositif.
À gauche l’échantillon, à droite le pic d’émission de la boîte quantique.
Une réalisation majeure
Pour faire des nanosciences, il faut maîtriser les nanotechnologies qui permettent l’élaboration de matériaux et leur structuration à l’échelle nano. Le réseau Renatech coordonne au niveau national les ressources technologiques de six grandes centrales.
Le but est d’une part d’optimiser les investissements lourds et de créer une infrastructure de recherche au meilleur niveau international, d’autre part de mettre ces moyens à la disposition de l’ensemble des laboratoires et des entreprises ayant des activités en micro et nanotechnologies.
En Île-de- France, Renatech soutient deux plateformes de nanotechnologies, l’une au LPN qui comprend des moyens de croissance de matériaux III‑V ainsi que 700 mètres carrés de salle blanche, l’autre à l’Institut d’électronique fondamentale situé à l’université Paris-Sud, disposant de moyens de croissance de silicium et de 600 mètres carrés de salle blanche.
Dans le cadre des investissements d’avenir et de la création de l’Université Paris-Saclay qui rassemble tous les établissements de formation et de recherche de la région, il a été décidé de fusionner ces deux laboratoires et de créer le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N).
Ce nouveau centre s’installera d’ici deux ans dans de nouveaux bâtiments sur le site du plateau de Saclay, à quelques centaines de mètres de l’École polytechnique.
Un acteur essentiel
Au niveau scientifique, le C2N représentera un des plus grands laboratoires de photonique d’Europe, mais également un laboratoire majeur dans les domaines de la nanoélectronique, les microsystèmes et les matériaux. Avec 2 500 mètres carrés de salle blanche, le C2N sera la plus grande centrale de technologie académique de France et offrira des moyens à l’état de l’art aussi bien en croissance de matériaux qu’en outils de nanofabrication.
170 mètres carrés de salle blanche seront entièrement réservés à l’enseignement, le C2N sera un acteur essentiel de l’enseignement des nanos de la nouvelle université.
Associer formation et recherche
L’ambition est de favoriser, en association avec les établissements d’enseignement et les futures écoles doctorales, des parcours d’étudiants associant formation et recherche, et facilitant leur insertion dans le marché du travail.
“ Pour faire des nanosciences, il faut maîtriser les nanotechnologies ”
L’évolution de l’écosystème du plateau de Saclay, avec l’arrivée notamment de Horiba et EDF, plaide également pour un rapprochement entre recherche et industrie et le développement du potentiel économique environnant.
Le C2N mettra à la disposition d’industriels ou de start-ups 200 mètres carrés d’espace « blanc » en liaison avec la salle blanche pour leur permettre de faire une étude de preuve de concept, de développer de nouveaux produits ou de mettre au point des équipements.