Les nouveaux appontements Fremm à la base navale de Brest
Les frégates multimissions, dites Fremm, sont un des programmes les plus récents de la Marine nationale, avec des innovations conduisant à les opérer avec un équipage réduit. Leur accueil à quai soulève des questions inédites et les nouveaux appontements construits à Brest sont donc eux-mêmes à la pointe des technologies d’infrastructure.
Les ports militaires comme les ports civils sont en évolution permanente afin d’accompagner la transformation et la modernisation des navires. Depuis le passage de l’Hermione en 1779, la base navale de Brest n’a cessé d’être adaptée à la flotte. L’escale en 2014 de l’Hermione reconstruite permet de mesurer le chemin parcouru. Conséquence du renouvellement de la flotte depuis quelques années, de nouvelles installations portuaires sont réalisées. La loi de programmation militaire en cours (LPM 2019–2025) accompagne et accélère cette orientation.
REPÈRES
Depuis 2005, le ministère des Armées dispose d’un unique service d’infrastructure, né de la fusion des trois services constructeurs antérieurs spécifiques à chaque armée : le service d’infrastructure de la défense (SID). Rattaché au secrétariat général pour l’administration, il entretient et administre l’ensemble du domaine immobilier du ministère. Il assure le soutien et l’adaptation des infrastructures sur le territoire français, ainsi que le soutien au stationnement des forces en opérations extérieures. L’importance, la diversité et le caractère stratégique du patrimoine soutenu nécessitent des compétences techniques spécifiques et adaptées à chaque type d’installation. Le SID compte actuellement 6 800 agents civils et militaires, et gère un budget opérationnel de plus de 2 milliards d’euros par an.
A navire nouveau, nouvelles infrastructures
Depuis 2012, la Marine nationale met en œuvre les frégates multimissions (Fremm), navires de 140 m et de 6 000 tonnes qui succèdent aux frégates du type F70. De tonnage et de dimensions supérieurs, fortement armées, elles constituent une rupture capacitaire. Leurs caractéristiques nécessitent une infrastructure d’accueil spécifique comportant de nouveaux appontements adaptés à leurs exigences de haute disponibilité. Pour répondre à cet objectif, il fallait un ouvrage correspondant aux nouvelles dimensions des frégates et permettant une amélioration significative des transferts bord à quai, quels que soient les coefficients de marée (le marnage est de 8 m à Brest).
La réduction de la taille des équipages et les besoins d’un navire moderne nécessitent en effet de le desservir avec des moyens lourds (grues mobiles, camions) au plus près et au plus vite, ce que ne permettaient pas les anciennes lignes de stationnement de la base. Au vu de ces enjeux, l’ESID de Brest, échelon local du service d’infrastructure de la défense, a retenu pour le premier ponton Fremm une procédure de conception-réalisation-entretien-maintenance afin de stimuler au mieux les compétences et capacités d’innovation des constructeurs et maîtres d’œuvre privés.
Une conception innovante
La première ligne mise en service en janvier 2013 a fait l’objet d’une conception particulièrement innovante qui repose sur un ouvrage monolithique flottant de 160 m de long et une structure à double pont. Ce ponton est tenu côté quai par un dispositif d’ancrage spécifique limitant son déplacement sous l’effet du vent agissant sur le fardage des navires, et côté plan d’eau par un musoir en béton armé. Le pont inférieur du ponton accueille les réseaux fluides et électriques, ainsi que le lamanage (équipements et opérations d’amarrage et de déhalage). Le pont supérieur permet les opérations de manutention et d’embarquement sur un espace dégagé de tout encombrement, dans des conditions d’ergonomie et de sécurité maximales.
“La dimension environnementale
a été particulièrement intégrée.”
Cet ouvrage flottant suit la marée, ce qui permet d’éviter les corvées de reprise des aussières, en cohérence avec la taille réduite des équipages. La passerelle d’accès sépare le flux piéton des véhicules et permet le passage des grues et camions. Les servitudes électriques comprennent l’alimentation HT des Fremm et l’alimentation BT d’autres types de bâtiments, répondant ainsi à l’objectif de polyvalence de l’ouvrage. La durabilité de l’ouvrage (cinquante ans) est garantie par un dimensionnement adapté et par la mise en œuvre de bétons spécifiques aux ouvrages maritimes, formulés pour résister tout particulièrement aux agressions subies en zone de marnage.
Bis repetita placent
Du fait de la réussite de ce premier ouvrage, une deuxième ligne a été réalisée sur le même concept. Ce deuxième ponton, dont la réalisation a démarré en juin 2019, a en outre intégré des améliorations issues du retour d’expérience du premier, ou destinées à faciliter les manœuvres et l’accueil des futures frégates de défense et d’intervention (FDI). Le musoir (cylindre de béton échoué à l’extrémité du ponton pour en assurer l’ancrage) mesure 23 m de haut, a un diamètre de 14 m et pèse 7 000 t. Son voile circulaire a été coulé en continu pendant six jours grâce à un coffrage glissant, représentant une phase critique du chantier.
« La dimension environnementale a été particulièrement intégrée tout au long de l’opération. »
Ce procédé (issu des méthodes développées pour la réalisation des aéroréfrigérants des centrales nucléaires) permet d’éviter les reprises de bétonnage. C’est un facteur clé pour garantir la durabilité de l’ouvrage. Après validation des essais de flottaison, l’ouvrage a été remorqué vers son emplacement définitif en profitant de coefficients de marée favorables. Le ponton (160 m de long, 17 m de large, un peu plus de 8 m de haut) pèse au total 10 000 t et flotte grâce à 12 alvéoles de 1 000 m3 chacune. Il a été construit avec le musoir dans la forme 4 de la base navale de Brest, puis remorqué à son tour au quai des flottilles grâce aux moyens conjugués des remorqueurs militaires et des lamaneurs du port civil de Brest. Enfin, la dimension environnementale a été particulièrement intégrée tout au long de l’opération.
La préparation de la zone d’accueil du musoir a fait l’objet de mesures spécifiques limitant la dispersion des sédiments, grâce notamment à la mise en place d’un rideau sous-marin de bulles d’air. Les produits de dragage de la zone ont également été traités afin d’être réutilisés pour le remplissage du musoir, ainsi stabilisé à son emplacement définitif. Les principales échéances du chantier ont été tenues malgré la Covid-19.
Et de trois !
Le programme d’accueil des Fremm à la base navale de Brest devrait se poursuivre par la réalisation d’un troisième ouvrage utilisant les mêmes principes. Ce dernier sera cependant plus complexe et imposant, car devant combiner des fonctions de poste à quai comme précédemment et également des fonctions de quai industriel pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) des navires de la Marine, impliquant de recevoir des moyens de levage encore plus lourds. La technicité des ouvrages et la gestion de leurs multiples interfaces avec les navires modernes et sophistiqués de la Marine nécessitent d’appréhender certaines problématiques particulières et mobilisent comme on l’a vu le savoir-faire et la capacité d’innovation des bureaux d’études et des entreprises chargées du projet.
Ces projets requièrent aussi une maîtrise d’ouvrage forte, personnifiée par des ingénieurs de haut niveau, capables de maîtriser l’ensemble des champs de compétences techniques et managériales. Au cœur de la réussite de ces dossiers complexes, le recrutement de ces profils constitue un enjeu de premier plan pour le SID.