Les nouveaux moteurs de l’innovation médicale
Il reste beaucoup de défis à relever, en premier lieu à homogénéiser la situation dans le monde. Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût et maintenant il faut justifier la valeur économique de l’acte médical. Enfin la mine inépuisable des données de santé, analysée avec les techniques modernes, permettra d’améliorer les pratiques médicales.
Dans le tourbillon de nouveautés des deux derniers siècles, le formidable progrès de la pratique médicale aura sans doute une place à part. L’homme a profondément modifié son rapport à la santé : elle est devenue une variable sur laquelle il est possible, dans une certaine mesure, d’agir pour améliorer sa longévité ou ses conditions de vie.
Les exemples abondent et, s’il faut n’en retenir qu’un, on pensera aux baisses extraordinaires de la mortalité maternelle et de la mortalité infantile qui ont changé la démographie mondiale.
Il reste cependant, nous le savons tous, beaucoup à faire !
REPÈRES
En France, l’accès aux données de santé est régulé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui s’appuie dans ce domaine sur l’IDS (Institut des données de santé), GIE à compétence nationale.
Plusieurs réseaux, comme la banque de données en santé publique de l’EHESP, mettent des données à la disposition des analystes ou chercheurs. La base DAMIR de l‘Assurance maladie contient à elle seule l’équivalent d’1,5 milliard de lignes.
IL RESTE DES DÉFIS À RELEVER
D’abord, la situation est dramatiquement inhomogène dans le monde : l’un des défis du siècle à venir est de faire profiter de ce formidable sursaut de santé aux hommes qui en ont été privés jusqu’alors. Ce sursaut ne pourra venir qu’accompagné des prérequis essentiels à la santé : hygiène, alimentation suffisante en quantité et qualité.
“ Agir sur la santé pour améliorer la longévité ou les conditions de vie ”
Ensuite, de nombreuses pathologies restent à comprendre et soigner : dans les pays développés, ce sont les cancers et les pathologies neurologiques de fin de vie qui attirent le regard.
Enfin, de bonnes politiques de santé publique doivent être appliquées pour garantir la pérennité de nos pratiques médicales (pensons à l’antibiorésistance qui, sans action ferme, menacera de quasi-extinction toute la pratique médicale) et permettre l’amélioration de la santé à long terme, notamment par des mesures de prévention de maux que l’homme s’auto-inflige par son mode de vie.
LA SANTÉ N’A PAS DE PRIX, MAIS ELLE A UN COÛT
Si tout le monde conviendra que la santé n’a pas de prix, elle a un coût qui croît inexorablement et représente une part croissante de la richesse des nations.
“ Chaque traitement doit justifier sa valeur pour le patient et le système de santé ”
Les dépenses publiques sont déjà très élevées aujourd’hui et on ne sait dire comment les innovations – souvent coûteuses – de demain seront prises en charge par les systèmes de santé.
Cette question est profonde : au-delà de l’exercice comptable, il y a une réflexion qui mêle éthique, politique et économique.
L’enjeu est important : les choix de politique de santé sont déterminants à long terme pour des populations entières.
JUSTIFIER LA VALEUR ÉCONOMIQUE DE L’ACTE MÉDICAL
C’est dans ce contexte que la notion de « valeur » est venue peu à peu contrebalancer dans les réflexions celle du coût : chaque acte médical, chaque traitement doit justifier sa valeur pour le patient et le système de santé.
JUSTIFIER LA VALEUR
En France, cette pratique de justification de la valeur débuta avec la loi de financement de la Sécurité sociale 2008, qui prévit la possibilité pour la Haute Autorité de santé, dans le cadre de ses missions, de publier des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescriptions ou de prises en charge les plus efficientes.
Ainsi, aujourd’hui on compare les valeurs des différentes options thérapeutiques entre elles ; et l’industrie pharmaceutique évolue vers un value-based pricing. Un nouveau paradigme s’établit : toute thérapie doit justifier sa valeur et les autorités de santé ou les assurances privées, gardiennes des ressources, refusent des traitements jugés trop dispendieux et négocient à la baisse le prix de tout traitement.
Dans ce nouveau paradigme, chaque innovation est fort rationnellement comparée à la pratique existante et son prix s’en déduit, tantôt supérieur tantôt inférieur, selon la valeur ajoutée.
C’est cette pensée que les organismes en charge du remboursement appliquent depuis approximativement une décennie. Partout dans le monde, les autorités de santé se sont mises à employer les outils et méthodologies (par ex. études d’impact budgétaire, études coût-efficacité) que les pharmaco-économistes avaient élaborés depuis quelques décennies.
LES PISTES DE RÉFLEXION NE MANQUENT PAS
Voilà un terrain de jeu fascinant pour l’ingénieur passionné par l’innovation, la santé publique, l’économie, l’éthique et l’exploitation de données ! Réduction du temps de séjour, diminution des coûts directs, baisse de la mortalité sont autant de facteurs que le pharmaco- économiste cherchera à identifier pour quantifier l’apport en valeur d’une innovation.
Il s’intéressera aussi au coût des pathologies et de leurs complications qu’un médicament ou un dispositif doivent réduire. Les développements de nouveaux produits incluent de plus en plus souvent des études spécifiques pour mesurer la valeur de l’innovation.
Toute visite chez le médecin, tout acte médical est inscrit de manière indélébile dans les mémoires électroniques des assurances publiques, privées ou complémentaires qui gèrent nos soins. © PHOVOIR / SHUTTERSTOCK.COM
Pour aller encore plus loin, il faut plonger dans le monde fascinant des données de santé.
LE BUSINESS DE L’EXPLORATION DES DONNÉES
Outre-Atlantique, le rachat récent de Truven Health Analytics (une entreprise qui commercialise des données médicales glanées notamment dans le milieu hospitalier) par IBM conforte cette idée : il y a de formidables opportunités dans l’analyse de toutes ces données.
LES DONNÉES DE SANTÉ : UNE MINE INÉPUISABLE
Nous le savons : toute visite chez le médecin, tout acte médical est inscrit de manière indélébile dans les mémoires électroniques des assurances publiques, privées ou complémentaires qui gèrent nos soins.
Et, anonymisées, ces informations sont disponibles (plus ou moins aisément) pour analyse. La France est particulièrement bien dotée avec son assurance généralisée et informatisée depuis plusieurs années : les bases de données de l’Assurance maladie et du système hospitalier regorgent d’informations sur les parcours des patients et les usages médicaux.
Ces données sont d’une incroyable valeur car elles permettent, à une échelle jamais égalée, de mesurer l’impact de mesures de santé et d’arbitrer entre des pratiques pour sauver peut-être des centaines ou des milliers de vies.
Gageons que, d’ici quelques années, les systèmes d’intelligence artificielle et de machine learning nous livreront des enseignements qui modifieront les pratiques médicales pour le meilleur.
Voilà de formidables défis à relever pour les ingénieurs de demain. L’innovation médicale se nourrira aussi du travail d’économistes, data miners et data scientists. Venez nombreux !