Les nouvelles applications des mathématiques en biologie et en médecine
Les applications des mathématiques aux autres sciences ne cessent de se renforcer. Depuis plus de vingt ans les nouveaux besoins en mathématiques appliquées sont en plein essor en biologie et en médecine dans le monde de l’économie, de la technologie, de la santé (Medtech), des start-up, de la recherche et de l’éducation universitaire et technologique.
Je voudrais évoquer ici en quoi les mathématiques appliquées apparaissent comme un instrument de découverte en biologie et en médecine, et d’ouverture vers l’économie Medtech. Les mathématiques appliquées avaient bénéficié au siècle dernier de l’apport de la physique et de l’ingénierie : comme la mécanique quantique, la relativité (avec les structures de la géométrie riemannienne et l’espace-temps de Minkowski), la théorie control (motivée par l’aviation), la mécanique des milieux continus, la mécanique des fluides (pour la prédiction météo, les courants des océans, etc.) ou encore les prédictions financières (stock-options). Aujourd’hui, nous sommes le témoin depuis ces vingt dernières années d’un accroissement des questions de mathématiques en biologie moléculaire et cellulaire.
Les mathématiques appliquées à la biologie et la médecine de ces dernières années ont bénéficié de l’arrivée à maturité des grandes avancées de la biophysique, de la génétique et surtout de la biologie moléculaire et cellulaire. La physique a également contribué aux avancées de la biologie à travers l’instrumentation comme l’optique, l’électronique, disciplines qui ont profondément impacté et permis les grandes découvertes modernes de la biologie : le microscope permettant de voir le monde moléculaire dans la cellule, d’enregistrer l’activité électrique des neurones et cellules excitables. Les nouvelles questions de mathématiques se sont orientées vers la modélisation du vivant, l’analyse de grands jeux de données et la simulation depuis la molécule, la cellule, le réseau, jusqu’aux organes.
REPÈRES
Qu’est-ce que les mathématiques appliquées ? Ce sont les mathématiques qui prennent pour objet d’étude des questions scientifiques provenant des sciences comme la physique, la chimie, la biologie, l’ingénierie, etc. Il ne s’agit pas simplement de prouver des théorèmes ou de trouver des solutions d’équations, mais de faire des calculs effectifs, d’analyser des données, de traiter le signal pour en extraire de l’information pertinente, de savoir construire des simulations, de dériver des formules qui relient les paramètres des modèles entre eux afin de trouver des lois et faire des découvertes scientifiques dans le domaine d’application. Comme Pasteur en son temps, qui utilisait un microscope, le mathématicien appliqué aujourd’hui se doit de faire des découvertes dans les disciplines scientifiques étudiées.
L’analyse des modèles
Cette analyse a permis de dériver des nouvelles formules pour relier les variables d’états entre elles, ce qui définit en fait les nouvelles lois de la biophysique ou de la biologie. Par exemple, les temps d’activation de processus biologiques, comme la réponse des cellules sensorielles, cellules olfactives, cellules ciliées de l’oreille interne ou encore photorécepteurs. Pour ces dernières, elles se doivent de transformer un photon en une cascade de réactions chimiques qui a pour but de générer un signal électrique dans la cellule, pour ensuite être transmise à d’autres cellules de la rétine.
Les recherches de ces dernières années en modélisation montrent que ces réponses dépendent de la cascade chimique et de l’organisation moléculaire et enfin de la géométrie fine sous-cellulaire. Cela dérive des formules pour les temps d’activation, en reliant les paramètres de la géométrie des cellules avec ceux des réactions chimiques.
Les simulations numériques
Il est encore impossible de simuler des millions de molécules en des temps raisonnables pour la biologie, comme la seconde : alors comment simuler peu de molécules tout en ayant des résultats significatifs extrapolables à des grandes populations ? Ces questions motivent toujours un axe de recherche pour trouver des modèles grossiers mais efficaces, pour accélérer les simulations en évitant de simuler entièrement les trajectoires.
L’analyse des grands ensembles de données grâce à la puissance de calcul
Les méthodes statistiques de classification, couplées aux modèles mathématiques qui mettent en avant des paramètres à évaluer, ont largement bénéficié de la montée en puissance des calculateurs. En utilisant des estimateurs statistiques, cela a souvent permis l’extraction fine de paramètres provenant de signaux électriques ou d’images et d’identifier des comportements cachés : ainsi ont été identifiés les processus membranaires qui permettent aux molécules de se stabiliser dans les neurones du cerveau, mais aussi de prédire la sensibilité à l’anesthésie en mélangeant des motifs du signal électroencéphalogramme avec des méthodes de régression linéaire.
Savoir faire des groupes à partir de jeux de données uniformes est devenu une véritable discipline avec un pouvoir prédictif. Les autres domaines en explosion sont ceux associés aux diagnostics, comme les arythmies cardiaques ou encore l’épidémiologie à la suite de la Covid-19, et enfin la prédiction de l’évolution des patients en soins intensifs. Un autre domaine est celui de l’application du traitement d’image et du deep learning pour reconnaître automatiquement les cellules possiblement cancéreuses dans des grands jeux d’échantillons. La difficulté est de trouver des propriétés invariantes dans de larges ensembles de données contenant beaucoup de fluctuations.
L’algorithmique pour reconstruire les protéines dans le vivant
L’essor de la biologie mathématique est aussi allé de pair avec le développement du calcul scientifique et de la recherche sur le développement et l’amélioration d’algorithmes pour résoudre numériquement des équations. Ainsi, la microscopie utilisant les faisceaux d’électrons (EM = electron-microscopy) permettait de voir des protéines congelées dans le vivant avec une résolution de l’ordre de quelques nanomètres, mais restait insuffisante pour caractériser en détail les structures vivantes.
Avec l’arrivée de la Cryo-EM il y a vingt ans, les molécules identiques sont gelées à de moins fortes températures dans des positions aléatoires sur des surfaces. L’aventure mathématique consiste à reconstruire l’organisation atomique avec une précision de l’ångström (10-10 m) alors que la résolution microscopique est de l’ordre de la dizaine de nanomètres (10-8 m). Il s’agit de trouver les transformations géométriques pour aligner les molécules et de faire des moyennes pour augmenter la résolution. Les méthodes sont encore en développement.
Les applications et découvertes récentes
On peut citer les quelques sujets suivants. Simuler les grandes possibilités de configurations des molécules a permis de réduire l’espace des possibilités de dizaines de millions à quelques dizaines de milliers ; ces résultats sont utilisés dans le ciblage moléculaire de l’industrie pharmaceutique. Un autre type de découverte a consisté à révéler l’organisation moléculaire dans les microdomaines comme pour les synapses neuronales ou immunologiques.
Dans ce contexte, la question de prouver des propriétés mathématiques des modèles bien établis est secondaire par rapport aux questions beaucoup plus urgentes et importantes d’intégration de nouvelles données et de complexification des modèles pour qu’ils soient encore plus prédictifs. Enfin, l’analyse des données biologiques a explosé ces dernières années, bénéficiant des méthodes statistiques, des processus stochastiques, des systèmes dynamiques en petite ou grande dimension, et de bien d’autres disciplines connexes.
De nouveaux masters de mathématiques appliquées à la biologie ?
Il y a donc besoin de nouvelles écoles, de masters mélangeant les fondamentaux des maths appliquées, incluant traitement du signal, modélisation, simulations, traitement des données, ingénierie en mathématiques, sans oublier quelques rudiments de médecine, biophysique, biochimie, neurosciences, physiologie, sans quoi il sera difficile de communiquer et de comprendre les problèmes à formuler puis à résoudre.
“Une nouvelle école de mathématiques appliquées pourrait contribuer aux changements de l’économie médicale.”
On peut dire qu’une bonne formation doctorale définira le mathématicien appliqué de demain, qui n’aura pas besoin d’attendre qu’un bon problème arrive, comme une bouteille flottante jetée à la mer, mais il-elle sera capable de dialoguer avec des expérimentalistes, de trouver ces questions scientifiques à traiter par soi-même ou en collaboration, de lire de façon indépendante la littérature de biologie ou médicale. C’est un(e) matheux(se) appliqué(e) qui pourra faire ces calculs, simulations, obtentions des nouvelles lois, comme en neurosciences computationnelles, physiologie ou biophysique.
La recherche des structures mathématiques abstraites reste ouverte pour intégrer les milliards d’informations neuronales, de réduire les dimensions pour trouver les principes fondamentaux ou pour trouver les nouvelles géométries du cerveau. Les problèmes à résoudre semblent encore aujourd’hui infinis…
Un nouveau profil pour les start-up en analyse de données pour la médecine et la biologie
Enfin, il y a eu dans le passé la tentative de la Sloan Foundation en 1995–2005, qui était une première aux USA : mettre des postdocs théoriciens dans les labos expérimentaux. Le programme de 300 M$ sur cinq universités a donné un essor aux neurosciences computationnelles. Saurons-nous établir une école de ce type ? Y a‑t-il une volonté ? Une nouvelle école de mathématiques appliquées pourrait être créée et contribuer aux changements de l’économie médicale fondée sur la science et les mathématiques. De toute façon la tendance est là et les nouvelles start-up commencent à être friandes de ces profils.
Références
- Glass, Leon, « Using mathematics to diagnose, cure, and predict cardiac arrhythmia ». Chaos : An Interdisciplinary Journal of Nonlinear Science 113132 30.11 (2020).
- D. Holcman, Z. Schuss, New mathematics and physics in life sciences and medicine, Physics Today 69 (1), 10 (2016).
- D. Holcman, La nouvelle physique mathématique en biologie, Gazette des Mathématiques n° 147, janvier 2016.
- D. Holcman, Comment l’économie High Tech peut émerger sans refondre le système universitaire, mediapart 2018. https://blogs.mediapart.fr/edition/au-coeur-de-la-recherche/article/050418/comment-leconomie-high-tech-peut-emerger-sans-refondre-le-systeme-universit