Les nouvelles méthodes toxicologiques
L’environnement est un des facteurs importants de l’état de santé des populations. Dans ce contexte, homme et milieu naturel sont naturellement indissociables. De nombreux événements peuvent perturber l’équilibre dans lequel est établi un milieu naturel et affecter, par voie de conséquence, la santé humaine. Les pollutions de l’air, de l’eau et des sols peuvent ainsi altérer le fonctionnement de divers systèmes : respiratoire, digestif, nerveux, immunitaire et la reproduction ou bien agir indirectement, par exemple, par l’intermédiaire des constituants de la chaîne alimentaire. Au-delà du simple transfert, cette chaîne alimentaire est particulièrement à prendre en considération puisqu’elle peut transformer et éventuellement rendre biodisponibles les polluants présents à l’origine dans le milieu, sous une forme qui pouvait ne pas être agressive pour la santé humaine.
Approche biologique
L’approche biologique de l’étude des effets sur la santé d’agents toxiques libérés dans l’environnement peut se concevoir de diverses façons :
- constater les caractéristiques des dégâts subis par l’organisme immédiatement après l’exposition,
– étudier les conséquences de l’exposition à plus long terme,
– étudier les mécanismes d’effets,
– identifier les molécules à risque (études structures/fonctions…).
Décrire, évaluer, prévoir
La toxicologie permet de constater, de décrire et d’évaluer mais également de prévoir les effets nocifs des produits pour l’homme. Elle permet de donner aux études épidémiologiques et cliniques une nouvelle dimension, celle de l’impact d’agressions diverses : substances, mélanges, émissions… De fait, deux toxicologies coexistent :
- l’une est purement réglementaire.
Elle est basée sur la stricte application d’essais standardisés et validés au niveau international (AFNOR, ISO, CEN, OCDE…), - l’autre est plus en amont et cherche à étudier les mécanismes.
Elle est basée sur des recherches utilisant les techniques de la biologie fondamentale, y compris les plus récentes et les plus sophistiquées. Les résultats de ces travaux, si leurs objectifs ont été définis avec pertinence, sont essentiels. En effet, ils permettent de faire évoluer la toxicologie réglementaire à la fois vers des exigences plus délimitées car plus significatives et plus informatives et vers une utilisation rationnelle et optimisée (en termes quantitatif et qualitatif) des expérimentations nécessitant le recours à des animaux.
Cette compétence biologique doit nécessairement trouver un appui sur des structures analytiques de grande capacité permettant de réaliser des évaluations de risque pour la santé humaine et pour le milieu. Les analyses permettant d’identifier et de caractériser les propriétés physico-chimiques utilisent toutes les ressources de la chromatographie en phase fluide ou gazeuse, de la spectrographie, de la diffraction et de la fluorescence X, de la microscopie optique, électronique, de la micro-spectrométrie des rayons X, de la microdiffraction d’électrons…
Dans le domaine de l’environnement, la toxicologie prend une dimension nouvelle par rapport aux objectifs qui sont les siens dans un cadre strictement professionnel. Il s’agit de passer d’études nécessaires, car réglementaires, à une approche beaucoup plus complexe, multifactorielle, et c’est là que la connaissance des processus biologiques s’avère fondamentale.
Ces analyses peuvent être réalisées sur tous types d’échantillons provenant de sols, de milieux aqueux ou de prélèvements atmosphériques. Cependant, il faut noter le risque majeur de déviation de cette thématique qui est lié à l’amélioration constante de nos moyens d’études. En effet, il est maintenant possible de détecter des modifications infimes de la concentration d’un produit donné. Le problème est donc de ne pas prendre en compte dans une évaluation de risque et à fin réglementaire le seuil qui est celui de détection de la technique.
De plus, il faut bien rester conscient que dans toute mesure réside une incertitude et que celle-ci augmente proportionnellement en raison inverse de la concentration mesurée. Il faut aussi reconnaître qu’il existe un certain nombre de cas où nous ne savons pas bien doser un produit ; il convient alors en grande priorité d’améliorer ces moyens de dosage.
Ce besoin de connaissances paraît encore plus impérieux si l’on considère la très grande proportion de substances actuellement présentes dans notre environnement quotidien et pour lesquelles il n’existe aucune donnée toxicologique fiable voire pas de données du tout !
Quelles sont les raisons de cette évolution ?
a) Il faut être capable d’évaluer le danger de doses faibles, en particulier les effets non létaux qui restent cependant significatifs pour la santé de l’organisme.
b) Les expositions sont rarement aiguës. Elles sont le plus souvent chroniques, en tout cas irrégulières, parfois très courtes (pics de pollution).
c) Ces expositions peuvent être mixtes, associant plusieurs produits avec tous les problèmes d’addition, de synergie, ou d’antagonisme qu’elles entraînent.
d) Les populations exposées sont hétérogènes avec tous les cas particuliers possibles : âge, prédispositions génétiques, état de santé très variable…, il est clair que » l’homme moyen » n’existe pas.
Comment aborder ces problèmes ?
Tout d’abord, il faut prendre en compte la voie d’exposition la plus réaliste possible afin d’identifier les cellules ou organes cibles. Bien sûr, la voie aérienne vient immédiatement à l’esprit, mais il ne faut pas négliger les voies cutanées et digestives. Dans ce dernier cas, la contamination peut être directe ou indirecte, provoquée par l’ingestion de boissons polluées ou d’aliments ayant concentré ou transformé le produit initial, ou bien qui le comprennent à dessein comme dans l’exemple des organismes génétiquement modifiés pour favoriser la productivité ou la résistance aux maladies et aux parasites.
Quels sont les essais qu’il faut pratiquer ?
De nombreuses possibilités existent. Une première consiste à adapter les protocoles toxicologiques existants. Ainsi, on peut modifier les études permettant de calculer les concentrations létales (CL 50) qui ne prennent en compte que des expositions de plusieurs heures, en réalisant des expositions courtes. Dans ce même contexte, une alternative est d’identifier des effets non létaux, réversibles ou non. Cette évolution donne de plus en plus d’importance, d’une part, aux études anatomo-pathologiques qui permettent de visualiser les atteintes histologiques, et, d’autre part, à la mise en évidence des mécanismes d’action et aux indicateurs biologiques, ainsi qu’à l’étude du désordre des fonctions vitales de l’organisme.
Au-delà de la simple mise en évidence de l’effet toxique, la recherche des mécanismes d’action d’un produit est basée sur les grandes méthodes classiques de la biologie cellulaire et de la biochimie et ceci peut permettre une approche de traitement.
Pour ce faire, les techniques dites » alternatives » de toxicologie in vitro appliquées à des cultures primaires ou à des lignées continues sont d’un apport significatif. Elles permettent à côté de la mise en évidence d’un simple effet cytotoxique de rechercher une action sur le génome cellulaire, sur la multiplication et la croissance, sur différentes fonctions métaboliques…
Ainsi, le rôle de métaux lourds dans les mécanismes de la mort cellulaire programmée (apoptose) peut être recherché, leur intervention dans le contrôle de la production des protéines de stress, des phénomènes oxydatifs cellulaires et de la transduction des signaux membranaires a pu être démontrée en utilisant des cultures de cellules épithéliales ou des lymphocytes.
De même, la mise en évidence de la production de diverses cytokines (interleukines, interféron…) par des monocytes humains peut expliquer une partie des stimulations cellulaires qui dans le poumon aboutissent à l’établissement d’une pathologie pulmonaire. L’effet des atmosphères acides peut être stimulé in vitro sur des cultures de cellules soumises à des pH acides. Les résultats montrent des modifications significatives de l’expression de structures saccharidiques membranaires. Celles-ci étant des constituants essentiels des récepteurs cellulaires, leurs altérations ont des conséquences fonctionnelles significatives pour la physiologie de l’épithélium respiratoire.
Enfin, le développement de cultures cellulaires sur membranes poreuses permet de réaliser des expositions de cellules en phase gazeuse et d’étudier l’effet de divers polluants tels que l’ozone, le dioxyde de soufre ou d’azote, les émanations de moteurs à essence ou diesel… dans des conditions assez proches de l’exposition naturelle.
Dans ce même contexte, un certain nombre de lignes directrices et de protocoles de l’OCDE rédigés depuis longtemps sont soumis à révision régulièrement et prennent en compte les nouvelles préoccupations qui peuvent apparaître. Par exemple, dans le domaine des essais portant sur les molécules capables d’induire des dysfonctionnements des systèmes endocriniens chez l’homme, l’essai de l’OCDE n° 407 est en voie de modification pour y introduire un certain nombre d’observations qui permettront d’explorer cette potentialité nocive d’un produit.
Les indicateurs biologiques
Ce sujet est critique, particulièrement difficile. La problématique est de définir des marqueurs biologiques fiables permettant d’identifier spécifiquement, d’une part, l’exposition de l’organisme à un toxique donné (biomarqueurs d’exposition), et, d’autre part, le développement d’une pathologie caractéristique dérivant d’un effet significatif du produit sur l’organisme (biomarqueurs d’effets). Il est important de prendre en compte deux considérations :
- la précocité de l’apparition de ces marqueurs,
- la simplicité du système révélateur dans une optique d’automatisation, pour envisager une surveillance en continu et, si possible, directement sur site.
La notion d’organisme ou système biologique « sentinelle » (dans le sens, activité enzymatique : phénomène oxydatif, métabolisme énergétique…) est à l’étude. De même, la possibilité d’identifier des effets limités sur la santé lors d’expositions à des doses faibles oriente les travaux sur le domaine de l’immunotoxicologie et des troubles fonctionnels, en particulier respiratoires (suivi des fonctions respiratoires) et neuronaux (étude du comportement).
Le problème de l’atteinte fonctionnelle
À côté des études sur les effets génotoxiques et mutagènes ainsi que sur la fertilité et la reproduction, depuis longtemps la toxicologie prend en compte des bilans hépatiques, rénaux et sanguins. Il faut sans doute aller encore plus loin par exemple sur les protocoles d’étude de l’altération des fonctions respiratoires chez le rongeur non contraint, non anesthésié. Des travaux sont également nécessaires dans le domaine du comportement, l’atteinte du système nerveux étant un élément parfois crucial dans la réactivité des personnes exposées. L’effet est parfois plus subtil atteignant le système nerveux non plus central mais périphérique, comme par exemple, les neurorécepteurs régulateurs dans différents organes.
Enfin, un système clé pour l’organisme est bien le système immunitaire. Une des difficultés est qu’il faut faire la part de sa réactivité propre face à toute agression et des atteintes altérant réellement son fonctionnement. À l’évidence, de simples numérations cellulaires et des dosages de médiateurs solubles sont insuffisants. Il faut réaliser des tests fonctionnels et passer par exemple à des modèles d’étude de susceptibilité dans des protocoles d’infections bactériennes et virales ou au développement de tumeurs.
Conclusion
Il convient de bien définir la notion de danger et de risque. Le risque est une notion complexe qui constitue un continuum qui va du risque aigu en cas d’accident, provoquant une modification majeure de notre environnement par la libération subite ou massive de polluants, jusqu’à l’exposition chronique à de faibles doses de contaminants.
Le risque associe donc le danger que constituent les potentialités intrinsèques d’un produit (sa toxicité vis-à-vis des diverses fonctions d’un organisme), à la notion d’exposition (quantité avec laquelle l’organisme a été en contact)
L’évaluation du risque pour la santé passe donc par des aspects métrologiques, mesure de l’exposition, et toxicologiques : estimation du danger, connaissance de la relation entre la dose et l’effet, modélisation des transferts entre divers compartiments de l’environnement jusqu’à l’homme.
Toute incertitude dans la démarche se matérialisant par l’adjonction d’un facteur de sécurité supplémentaire, il convient de limiter l’utilisation de ceux-ci au maximum afin de réaliser des évaluations de risque réalistes. En effet, l’utilisation systématique de ces marges de sécurité peut aboutir à des résultats susceptibles de décrédibiliser cette thématique. Certaines étapes sont critiques à ce propos et ces facteurs de sécurité se justifient alors très logiquement. À l’inverse, les protocoles expérimentaux en toxicologie peuvent générer des données scientifiques établissant de façon rigoureuse la réalité des dangers et au-delà, des risques auxquels nous pouvons être exposés.
L’exposition chronique aux faibles doses
À côté des pollutions aiguës et accidentelles, les expositions à bas bruit sont les plus fréquentes dans le domaine environnemental. Leurs conséquences peuvent n’apparaître qu’à très long terme et sont particulièrement concernées par la démarche d’évaluation du risque sanitaire. Cependant, il faut reconnaître que notre connaissance sur les conséquences sanitaires d’une exposition chronique à de faibles doses est encore fragmentaire, il n’est que de constater les discussions qui entourent des questions comme les produits à effet perturbateur endocrinien ou bien les effets immunotoxiques.
Il est donc nécessaire de continuer à progresser dans la connaissance des mécanismes d’action des toxiques qui seule permettra de développer des protocoles d’études pertinents et adaptés aux besoins de l’évaluation des risques et donc à notre sécurité sanitaire.
L’évaluation des risques est une méthode qui a des conséquences très immédiates sur le quotidien de la population générale. C’est elle qui est à la base de décisions aussi importantes que l’établissement de valeurs limites (information, alerte) d’expositions ou l’interdiction d’utilisation d’un produit.
Afin d’être à la fois utile et compréhensible, et en restant très attentif aux indications provenant de la surveillance épidémiologique, il est essentiel qu’elle repose sur des bases scientifiques solides telles que les données d’exposition et l’identification des dangers toxicologiques.