Les opérateurs se mobilisent pour l’environnement
Orange a mis en place depuis dix ans un ambitieux programme de réduction des émissions de CO2. Quels sont les résultats de cette politique ? Quelles sont ses difficultés ? Quelles sont ses perspectives ?
Les chercheurs de Telia et Ericsson réalisent depuis une dizaine d’années un gros travail pour estimer l’empreinte carbone du secteur numérique au niveau mondial. Comment continuer ce travail ?
Ces travaux sont pris en compte par les grands organismes internationaux du secteur, l’Union internationale des télécommunications (UIT) et la GSM Association (GSMA). C’est un cadre idéal pour pérenniser l’effort. Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, préside la GSMA. Orange est corapporteur du groupe sur le changement climatique de l’UIT‑T (Commission d’études environnement changement climatique et économie circulaire), qui établit une partie significative des normes internationales du secteur. Au sein de ces organismes nous travaillons en partenariat avec de nombreux opérateurs et industriels, dont Telia et Ericsson. Dans ce cadre, un scénario a été défini pour le secteur des TIC jusqu’en 2050, pour respecter un réchauffement global moyen de 1,5 °C en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels, avec la courbe de diminution des émissions à respecter, des points d’étape en 2025 et 2030, pour l’ensemble du secteur et pour les sous-secteurs (mobile, fixe, datacenters). On a associé à cette initiative la Science Based Targets initiative (SBTi). Cela permettra aux entreprises du secteur du numérique de fixer des objectifs de réduction des émissions en ligne avec les trajectoires à 1,5 °C et d’en faire état dans leur reporting au Carbon Disclosure Project (CDP). Les transports, l’industrie, les services, les médias, les villes, l’ensemble de l’économie fonctionnent avec les outils du numérique. L’empreinte carbone du numérique concerne tous les secteurs. La GSMA a pris l’engagement que le secteur serait net zéro carbone en 2050. Pour le groupe Orange, nous prenons l’engagement de l’être dix ans plus tôt, en 2040. Nous souhaitons que le numérique soit reconnu comme une partie de la solution, par exemple en agriculture ou pour la prévention des risques grâce à la collecte et l’analyse rapide des données environnementales. Afin que cela fonctionne, chaque acteur du numérique doit faire des efforts pour réduire sa propre empreinte. L’ensemble de l’« usine numérique », dont font partie les opérateurs de réseau et de datacenters et les équipementiers, doit faire des efforts.
REPÈRES
Orange France est depuis 2018 certifié ISO 14001 et 50001 pour son engagement environnemental et énergétique. C’est aujourd’hui le premier opérateur à avoir obtenu une certification environnementale globale. Ses trois axes principaux de maîtrise et de l’impact environnemental sont : réduire le réchauffement planétaire (diminution des émissions de CO2) ; développer la performance énergétique (maîtrise de la consommation d’électricité) ; systématiser les principes d’économie circulaire (écoconception, recyclage, réparation).
La consolidation de l’empreinte du secteur nécessite que chaque acteur réalise une bonne estimation de sa propre empreinte carbone. Quelle est la précision pour un opérateur comme Orange ?
Les équipements de nos réseaux sont de plus en plus souvent dotés de compteurs d’énergie. Nous mesurons la consommation énergétique dans chacun des 27 pays où nous gérons un réseau. Nous agrégeons les données pour chaque pays et pour l’ensemble du groupe. Nous faisons certifier nos chiffres dans chaque pays par un cabinet international d’audit. Sur les scope 1 (émissions directes) et scope 2 (émissions liées à l’électricité), la marge d’erreur, relativement faible, est liée surtout à la marge d’erreur possible sur les facteurs d’émission de l’AIE que nous utilisons pour estimer les émissions. L’incertitude se trouve surtout au niveau du scope 3, qui est compliqué à estimer, car on ne peut pas mesurer directement toutes les contributions (conditions de fabrication des équipements, transports internationaux, camions, bateaux, avion, en amont, en aval, etc.). Nous travaillons avec Carbone 4 pour faire des estimations.
“Un SI doit être conçu
de manière énergétiquement efficace.”
Orange travaille activement sur son empreinte de 1,3 Mt CO2. Mais qu’en est-il du reste du secteur, dont l’empreinte est de l’ordre de mille fois plus (1 150 Mt CO2) ?
L’UIT et la GSMA sont les organisations clefs pour sensibiliser et entraîner le secteur. La GSMA incite l’ensemble de ses membres à suivre cette voie, à rapporter au CDP et à prendre les objectifs SBTi 1,5 °C. Aujourd’hui, 50 % des membres rapportent au CDP. La GSMA communique par ailleurs sur l’importance pour l’industrie de recourir de plus en plus aux énergies renouvelables (EnR). C’est aussi un enjeu commercial des opérateurs par rapport à leurs entreprises clientes. Par exemple, les constructeurs d’automobiles vont vendre moins de voitures et plus de services. Dans le futur nous pouvons nous attendre à ce que certaines villes soient interdites aux véhicules thermiques ; n’y seront admis que les véhicules électriques, à conduite humaine ou autonomes, à condition que le bilan de l’ensemble tende vers le net zéro. Si un opérateur de télécommunications veut vendre ses services à un constructeur de voitures autonomes, pour laquelle la 5G et les datacenters seront nécessaires, le bilan CO2 doit tendre vers le net zéro. C’est un enjeu de compétitivité sur ces futurs appels d’offres. De son côté, le client final n’est pas forcément sensibilisé dans ses choix d’achat et peut choisir des offres d’opérateurs moins vertueux s’ils sont moins chers. Mais, pour le véhicule autonome, les offres de transport seront gérées par exemple par les constructeurs, le client final n’aura pas forcément le choix. En ce qui concerne les entreprises en général, une autre approche prometteuse est d’améliorer l’efficacité énergétique des logiciels et des architectures des systèmes d’information. Car un SI doit être conçu de manière énergétiquement efficace, dans le même esprit que pour un bâtiment.
Comment maîtriser les incertitudes futures sur l’impact du numérique, dans un contexte de demande très dynamique et d’évolution rapide de la technologie ?
En ce qui concerne l’efficacité énergétique des datacenters, il faut continuer de réduire l’impact de la climatisation, par des techniques comme la ventilation naturelle, et de développer la virtualisation des serveurs, qui améliore l’efficacité énergétique des traitements numériques dans le cloud. Pour l’énergie électrique, il faut réduire l’électricité provenant des énergies fossiles et développer celle provenant des EnR et d’autres sources peu carbonées. Il faut une surveillance continue des consommations énergétiques pour identifier et corriger rapidement les consommations anormales, en utilisant si besoin l’IA et les objets connectés. Il faut aussi sensibiliser les clients particuliers, via des campagnes, pour inciter à la frugalité numérique, les inciter à éteindre leurs boxes et leurs téléphones quand ils n’en ont pas besoin. Pour chaque service, une notice de frugalité associée est souhaitable.
Qu’en est-il de la consommation énergétique de la 5G ?
Il faut absolument maîtriser l’impact énergétique et l’impact carbone de la 5G. L’UIT travaille sur standards pour encourager une meilleure efficacité énergétique. L’efficacité énergétique ramenée au débit transporté sera meilleure en 5G qu’en 4G, elle-même meilleure qu’en 3G, mais il y a une incertitude sur le bilan global à venir en raison de la quantité de données transportées, attendue en hausse. Nous ne nous attendons pas à une croissance énergétique excessive ; nous avons un plan d’action pour contenir les émissions associées, notamment par utilisation du mode veille en absence de trafic, qui n’existait pas dans la 4G. Les sites sont plus nombreux que pour la 4G mais, lorsque cela sera possible, le groupe cherchera à les mutualiser. Nous allons aussi développer le recours à de l’électricité renouvelable additionnelle. Nous avons depuis dix ans une bonne expérience des EnR avec le déploiement de 2 800 sites solaires dans les réseaux mobiles des pays africains et l’expérience récente de la mise en œuvre de trois fermes solaires en Jordanie. Par ailleurs, nous pensons que la 5G devrait permettre de développer des impacts indirects positifs, en permettant de réduire la consommation énergétique dans d’autres secteurs.
“La 5G devrait permettre de développer
des impacts indirects positifs. ”
Comment faire pour que le potentiel des impacts indirects positifs se concrétise à grande échelle ?
On trouve GeSI (Global e‑Sustainability Initiative) probablement trop optimiste dans ses scénarios Smart 2020 et Smarter 2030, qui chiffrent ce potentiel. Le potentiel reste substantiel mais, pour qu’il se réalise, et notamment pour contenir les effets rebond, chaque acteur de l’« usine numérique » doit faire un effort pour réduire son empreinte (scope 1 et 2), de façon à ce que l’ensemble du système tende vers le net zéro. C’est dans cet esprit que nous travaillons avec des entreprises partenaires au sein de la Net Zero Initiative, sur une comptabilité triple, des émissions CO2 réduites, des émissions évitées et des séquestrations.
Que pensez-vous de la carte carbone, typiquement un outil rendu possible par le numérique ?
Il y a de toutes premières expériences, par exemple une banque coréenne offre une carte bancaire qui calcule l’empreinte carbone de tous les achats de ses clients. De même, en Suède, une chaîne de supermarchés propose une carte de fidélité qui comptabilise les émissions carbone des achats des clients. C’est difficile d’offrir une vision globale de l’empreinte car il faudrait agréger l’ensemble des données collectées. Mais ça permet de sensibiliser les consommateurs.
Quelle est l’évolution comparée des émissions carbone de vos activités dans les pays en développement et dans les pays développés ?
Dans un pays comme la Pologne, où le mix carboné est une contrainte de départ, maîtriser les émissions est un défi. Dans la région AMO (Afrique et Moyen-Orient) où nous opérons, les EnR devraient être plus faciles à déployer, les objectifs de réduction de carbone devraient être plus faciles à atteindre. La contribution des EnR est très significative pour la réduction de nos émissions.
Quel est l’impact des services numériques sur la croissance économique des pays en voie de développement ?
Les entreprises qui misent sur le numérique s’y développent plus vite que les autres. Par ailleurs, le big data peut apporter un outil intéressant pour la planification des infrastructures. Par exemple, en Côte d’Ivoire, l’analyse par les techniques big data des données mobiles a montré quels étaient les principaux déplacements de personnes dans le pays et de fournir des éléments rendant possible une adaptation les décisions de planification.
Quelle est la résilience des réseaux et des services en cas de crise ?
Cela dépend de la législation de chacun des pays où nous opérons. On prend en compte les exigences nationales. Les datacenters sont sécurisés pour que la probabilité de coupure soit très faible, notamment pour les clients stratégiques. Il y a un engagement envers tous les clients de rétablir Internet, dans des délais courts, qui dépendent des contrats. En cas d’inondation, on envoie des petits centraux télécom sur remorques.
Quelles sont les actions sur le plan de la réparabilité, la réutilisation, le recyclage ?
L’approche est celle de l’écoconception. Nous travaillons avec les constructeurs pour allonger la durée de vie des équipements fournis à nos clients, pour faciliter leur désassemblage et leur recyclage en fin de vie. Par exemple, pour la gamme des smartphones, nous proposons le Fairphone 3 à nos clients, un téléphone conçu de manière à en faciliter la réparabilité et l’évolution technique, et cela aboutit à un doublement de la durée d’utilisation moyenne. Les autres constructeurs de terminaux commencent à suivre cet exemple. Quant à nos box Internet, elles sont réutilisées jusqu’à cinq fois, ce qui est considérable sur un parc de 30 millions de boxes déployées.
Rentabilité de l’effort d’investissement
Les économies d’énergie obtenues justifient les investissements d’équipement consentis. Ces investissements sont rentables du point de vue économique et financier. Le programme mis en œuvre a permis d’économiser un milliard d’euros en dix ans. Et ce dans un contexte de forte croissance des activités. Car Orange a gagné plus de 100 millions de clients depuis 2006 et on constate une explosion des usages depuis 2008. Sans ce programme, les émissions auraient explosé. Avec lui l’entreprise est arrivée à contenir la hausse des émissions. Elle est stable en consommation d’énergie et les émissions de CO2 ont baissé de 3,5 % depuis 2016.
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