Les orphelins de Schumpeter ont besoin d’amour
Hubert Lévy-Lambert (53) fit d’abord parler Schumpeter pour commenter la crise actuelle : l’État aux poches profondes en quasi-faillite, un Code du travail plus volumineux que la Bible, un principe de précaution dévoyé en principe d’inaction, tous les ingrédients de l’horreur économique sont réunis. De son exil à Londres, Joseph Schumpeter aurait probablement appelé à nationaliser… l’État français.
Identifier les technologies-clés
Vincent Chriqui (91) souligne que les innovations sont des ruptures et qu’elles ne se laissent pas planifier. Jean-Pierre Gérard (60) rappelle que le taux de profit est le coût du risque, et déplore que le pacte de compétitivité ne compense pas le choc fiscal.
À l’occasion du centenaire de la publication par Joseph Schumpeter de la Théorie de l’évolution économique, X‑Sursaut organisait le 10 décembre dernier un colloque regroupant une bonne centaine d’X et de leurs amis et donnait la parole à 24 ténors de l’industrie, de la finance et de l’administration françaises, autour de quatre « tables rondes » : les filières, l’entrepreneur, la recherche et l’innovation, les politiques publiques.
David Lévy (78) propose de mettre les grands cerveaux sur les petits projets rebelles, et de mesurer la performance de l’administration par ses temps de réponse.
Favoriser les entrepreneurs
La recherche se mesure par la dépense, et l’innovation par le résultat, ce qui réhabilite « l’entrepreneur d’en bas ». Comme le soulignent Stéphane Marchand (80) et Philippe Vincent (61), il faut sauver le soldat PME, bien sûr, et « aimer les entrepreneurs ».
Bernard Esambert (54), lui, veut renforcer les liens entre secteurs public et privé, et lance un cri : « Aimez les chercheurs. » Marion Guillou (73) soutient le croisement entre sciences dures et sciences humaines ; on a besoin d’autres choses que de l’arrière- cuisine, diantre.
Mieux utiliser les ressources
L’État et l’entreprise sont-ils miscibles ? Éric Labaye (80) veut relancer l’investissement privé. Thierry Weil (78) plaide pour des politiques publiques patientes. C’est aussi l’avis de Karine Berger (93), pour qui l’État ne doit pas raisonner à deux ou trois ans ; mais la France est un marché trop court pour le capital-risque, qui doit d’emblée viser l’Europe.
Hervé Mariton (77) estime qu’il faut créer mais en même temps rassurer. Et puis la politique, elle aussi, a besoin d’innover. Comment mieux le dire : « Aimez les politiques. »
Claude Bébéar (55) peut alors conclure en patriarche : il est difficile d’entreprendre en France, mais utilisons mieux nos ressources.
Une panne d’innovation
Un peu plus, si nous n’avions pas été entre nous, on aurait pu entendre : « Aimez les polytechniciens. »
Mettre les grands cerveaux sur les petits projets rebelles
Deux regrets : aucun intervenant étranger, qui aurait pu apporter un regard extérieur ; aucun intervenant business angel non plus, qui aurait, lui aussi, exigé beaucoup d’amour.
Mais finalement, dans les discussions d’après tribune, beaucoup de participants étaient à deux doigts de poser la question : qu’aurait écrit Schumpeter s’il avait développé sa théorie aujourd’hui ?
Lui qui pensait que le capitalisme était voué à l’effondrement sans proposer d’alternative, peut-être aurait-il appliqué son modèle de la destruction créatrice à la science économique, aujourd’hui bien en panne d’innovation