Les parcs naturels régionaux : conciliation des objectifs de protection et de développement

Dossier : Les milieux naturels continentauxMagazine N°566 Juin/Juillet 2001
Par Françoise GROSSETÊTE

On a trop sou­vent ten­dance à oppo­ser pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et déve­lop­pe­ment éco­no­mique. Pour­tant, lors­qu’il s’a­git de ter­ri­toire habi­té, où la popu­la­tion est légi­ti­me­ment en attente d’une cer­taine qua­li­té de vie, déve­lop­pe­ment éco­no­mique et pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment ne peuvent être dissociés.

Impos­sible d’a­gir pour l’en­vi­ron­ne­ment sans pen­ser à l’é­co­no­mie et réciproquement.

Cette approche que l’on nomme actuel­le­ment » déve­lop­pe­ment durable » est expé­ri­men­tée depuis plus de trente ans par les parcs natu­rels régionaux.

Caractéristiques des PNR

1 – Une ini­tia­tive régionale.
2 – Un pro­jet de ter­ri­toire : fon­dant le déve­lop­pe­ment sur la pro­tec­tion, spa­tia­li­sé dans un plan de réfé­rence, qui n’in­tro­duit pas de règle­ment spé­ci­fique, oppo­sable aux docu­ments d’ur­ba­nisme, une charte négo­ciée et contractuelle.
3 – Un enga­ge­ment des col­lec­ti­vi­tés sur la charte.
4 – Ges­tion par un syn­di­cat mixte.
5 – Équipe d’a­ni­ma­tion salariée.
6 – Bud­get de fonc­tion­ne­ment statutaire.
7 – Clas­se­ment par décret pour dix ans cri­tères fixés par décret du 1.9.1994. renou­vel­le­ment : bilan et révi­sion de la charte.
8 – Une conven­tion d’ap­pli­ca­tion avec l’État.

Financement du fonctionnement

État : 10 %
Régions et dépar­te­ments : 60 à 70 %
Com­munes : 10 à 15 %
Fonds européens

Actuellement (mai 2000)

38 parcs natu­rels régionaux
3 238 communes
5 850 000 hectares
(plus de 11 % du territoire)
2 701 000 habitants
8 pro­jets de parcs

D’a­près la Fédé­ra­tion des Parcs natu­rels régionaux

En effet, en tant qu’or­ga­nismes de mis­sion, ceux-ci ont expres­sé­ment été créés pour inven­ter un mode de déve­lop­pe­ment inté­grant la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment (voir carte ci-contre et encadré).

Au quo­ti­dien, les parcs natu­rels régio­naux et celui du Pilat en par­ti­cu­lier appliquent ces prin­cipes dans des actions concrètes.

Cepen­dant, il ne peut s’a­gir de vrai déve­lop­pe­ment si les forces vives locales, élus, asso­cia­tions, acteurs éco­no­miques ne por­taient pas eux aus­si le pro­jet de territoire.

Peut-être est-ce dans ce pro­jet com­mun que réside la force des parcs natu­rels régio­naux pour mettre en œuvre leurs objec­tifs de pro­tec­tion et de déve­lop­pe­ment en toute cohérence.

Objectif de protection ou objectif de développement ?

Un pro­jet de ter­ri­toire ne sau­rait repo­ser uni­que­ment sur un objec­tif de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Bien que cette idée soit louable, com­ment peut-on ima­gi­ner l’a­ve­nir d’un ter­ri­toire basé uni­que­ment sur la conser­va­tion de quelques espèces ou de milieux natu­rels par­ti­cu­liè­re­ment riches et sen­sibles ? Quel res­pon­sable local pren­drait le risque de pro­po­ser à ses conci­toyens la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment comme seule perspective ?

De même, ce res­pon­sable local ne serait-il pas incons­cient de baser le déve­lop­pe­ment de sa col­lec­ti­vi­té sur les seuls objec­tifs de pro­grès éco­no­mique, sans en envi­sa­ger les consé­quences à plus long terme ? Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique ne peut plus igno­rer son envi­ron­ne­ment. Pro­tec­tion des espèces, effet de serre, ges­tion des res­sources, éli­mi­na­tion des déchets… sont autant de pré­oc­cu­pa­tions qui ne doivent pas lais­ser les res­pon­sables indif­fé­rents. La pla­nète ne sup­porte pas que l’on déplace ses dif­fi­cul­tés éco­lo­giques vers d’autres ter­ri­toires. Elles doivent d’a­bord trou­ver des réponses locales.

Impos­sible de choi­sir entre pro­tec­tion et déve­lop­pe­ment. Le vrai objec­tif des res­pon­sables locaux se décline en termes d’emploi et de qua­li­té de vie ; et de ce fait, il inté­gre­ra for­cé­ment envi­ron­ne­ment et développement.

Cette approche équi­li­brée s’ap­pelle aujourd’­hui le » déve­lop­pe­ment durable « .

Le développement durable, un concept universel

Appa­ru lors de la Confé­rence des Nations unies de Rio en 1992, le concept de » déve­lop­pe­ment durable » (ou sou­te­nable) cor­res­pond à un déve­lop­pe­ment répon­dant aux besoins pré­sents d’une humani­té soli­daire, qui laisse aux géné­ra­tions futures la pos­si­bi­li­té de sur­vivre et de pros­pé­rer. Il sup­pose une effi­ca­ci­té éco­no­mique, une équi­té sociale, une inté­gri­té éco­lo­gique et un déve­lop­pe­ment endogène.

Appel­la­tion géné­rique intel­lec­tuel­le­ment exci­tante, le déve­lop­pe­ment durable prend toutes ses cou­leurs lors­qu’on l’en­vi­sage à tra­vers les acti­vi­tés humaines comme l’a­gri­cul­ture pré­ser­vant ses res­sources, ou le tourisme.

Si les parcs natu­rels régio­naux le pra­tiquent depuis une tren­taine d’an­nées, ce déve­lop­pe­ment durable a aujourd’­hui dépas­sé le stade expé­ri­men­tal, puis­qu’il est repris par la loi Voy­net créant les pays ; les pays se consti­tue­ront autour d’un pro­jet de ter­ri­toire, une charte à l’ins­tar des parcs natu­rels régio­naux : » Cette charte exprime le pro­jet com­mun de déve­lop­pe­ment durable du ter­ri­toire… selon les enga­ge­ments inter­na­tio­naux fina­li­sés lors du Som­met de Rio de Janeiro. »

Les parcs naturels régionaux, pionniers du développement durable

Ce sont des orga­nismes de mis­sion qui œuvrent pour l’a­ve­nir de leur ter­ri­toire, géné­ra­le­ment fra­gile. Ils ins­crivent leur action dans les cinq mis­sions dévo­lues aux parcs natu­rels régionaux :

  • pro­té­ger le patri­moine natu­rel et culturel ;
  • contri­buer au déve­lop­pe­ment éco­no­mique, social, cultu­rel et à la qua­li­té de vie ;
  • assu­rer l’ac­cueil, l’é­du­ca­tion et l’in­for­ma­tion du public ;
  • réa­li­ser des actions expé­ri­men­tales ou exemplaires ;
  • contri­buer à l’a­mé­na­ge­ment du territoire.

Les parcs natu­rels régio­naux furent inven­tés aux jour­nées de Lurs en 1967, pour répondre à ce besoin pres­sen­ti de conci­lier pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et déve­lop­pe­ment économique.

Du fait de la sec­to­ri­sa­tion des ins­ti­tu­tions fran­çaises dans les années soixante-dix, seuls les parcs natio­naux étaient char­gés de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Depuis, au rythme de la décen­tra­li­sa­tion et de l’in­té­rêt crois­sant des Fran­çais pour l’en­vi­ron­ne­ment, les parcs natu­rels régio­naux ont évo­lué. Ils fondent leur action sur un pro­jet propre à chaque ter­ri­toire et por­té par les acteurs locaux.

Le déve­lop­pe­ment durable qui est à la base de l’exis­tence des parcs leur a per­mis de décli­ner ce concept à l’in­fi­ni, inven­tant chaque jour de nou­velles actions propres à leur territoire.

Le parc naturel régional du Pilat

Carte du Parc naturel régional du PilatAux portes de Saint-Étienne, le parc natu­rel régio­nal du Pilat, c’est d’a­bord, comme les autres parcs natu­rels régio­naux, un ter­ri­toire remar­quable par sa beau­té et son équi­libre façon­né par des siècles de mise en valeur harmonieuse.

L’é­vo­lu­tion socioé­co­no­mique ris­que­rait d’en faire un musée, dont la qua­li­té se dégra­de­rait vite si les acti­vi­tés de la popu­la­tion deve­naient insuf­fi­santes pour main­te­nir un équi­libre dyna­mique entre l’homme et la nature.

Le parc ne réa­lise pas des inves­tis­se­ments spec­ta­cu­laires, mais engage avec les par­te­naires locaux, publics et pri­vés, un grand nombre d’ac­tions, coor­don­nées dans le cadre de notre charte, pour conduire le pro­jet de ter­ri­toire. Cer­taines de ces actions revêtent en elles-mêmes toutes les com­po­santes d’un déve­lop­pe­ment durable.

Ces actions peuvent être l’exemple d’une » conci­lia­tion » abou­tie entre les » objec­tifs de pro­tec­tion et de déve­lop­pe­ment » même si notre inter­ven­tion se mesure plus à l’é­chelle de tout un pro­jet de territoire.

Agriculture et environnement partenaires dans le parc naturel régional du Pilat

Il n’existe pas dans nos ter­ri­toires de milieux natu­rels qui n’aient été façon­nés par l’homme. Quand aujourd’­hui ceux-ci sont mena­cés, il est tout natu­rel de faire appel aux pra­tiques humaines pour les pro­té­ger. Pour la péren­ni­té de ces opé­ra­tions, il est néces­saire d’as­su­rer leur via­bi­li­té économique.

Ain­si, sur les crêts du Pilat – site éco­lo­gique prio­ri­taire – l’a­ban­don des pâtu­rages lais­sait place à la lande évo­luant len­te­ment vers la forêt, ce qui mena­çait la diver­si­té bio­lo­gique de ce site par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant à cette lati­tude. L’i­dée de faire appel à un agri­cul­teur pos­sé­dant un trou­peau de bre­bis devait être appro­fon­die : com­ment ? Pour com­bien de temps ?

Dans l’in­té­rêt de l’a­gri­cul­teur, mais aus­si pour la sau­ve­garde à long terme du site, il était essen­tiel que cette remise en pâture soit éco­no­mi­que­ment ren­table. Grâce à des aides régio­nales et euro­péennes (une opé­ra­tion locale et bien­tôt un contrat ter­ri­to­rial d’ex­ploi­ta­tion) la dyna­mique a pu s’enclencher.

La zone des crêts dans le parc du Pilat
La zone des crêts.  © PNR PILAT – B. PATTE

L’a­gri­cul­teur volon­taire s’est for­te­ment inves­ti dans ce pro­jet. Il a fait évo­luer son sys­tème d’ex­ploi­ta­tion, aug­men­té son chep­tel, aban­don­né l’en­si­lage pour s’o­rien­ter vers une pro­duc­tion de qua­li­té. La valo­ri­sa­tion sur l’ex­ploi­ta­tion de la viande d’a­gneau lui a per­mis de limi­ter son sur­coût dû au tra­vail. Il a fal­lu construire une fenière et un ate­lier de découpe aux normes.

Aujourd’­hui, les agneaux des crêts sont répu­tés dans la région. L’ex­ploi­ta­tion n’u­ti­lise plus de com­plé­ments ali­men­taires, les bre­bis sont uni­que­ment nour­ries au foin et pro­duisent de la viande d’ex­cel­lente qua­li­té, les consom­ma­teurs ne s’y sont pas trompés !

Grâce à la par­ti­ci­pa­tion de l’en­semble des acteurs locaux : élus, pro­prié­taires, filière agri­cole, asso­cia­tions de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, et au sou­tien de l’Eu­rope et des col­lec­ti­vi­tés locales, un emploi de ber­ger a été créé (com­plé­té d’une acti­vi­té de découpe en hiver), le trou­peau de 600 bre­bis passe cinq mois de l’an­née en estive sur les crêts et entre­tient ain­si les prai­ries natu­relles aux fortes richesses écologiques.

Sans comp­ter l’a­ni­ma­tion que repré­sente la pré­sence d’un trou­peau en estive dans le Pilat qui n’é­tait qu’un objec­tif secon­daire dans ce pro­jet, le bilan de cette opé­ra­tion est lar­ge­ment posi­tif. Ici, pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et déve­lop­pe­ment éco­no­mique demeurent indissociables.

Des industriels soucieux de leur environnement

Pro­té­ger l’en­vi­ron­ne­ment ne doit pas se limi­ter aux espaces remar­quables. Dans chaque acti­vi­té on peut agir dans ce sens. La pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment peut alors deve­nir un atout et ser­vir le déve­lop­pe­ment économique.

Pour expé­ri­men­ter ce concept, nous avons ima­gi­né une action de » per­for­mance envi­ron­ne­men­tale » en par­te­na­riat avec la Fédé­ra­tion des parcs et nos finan­ceurs habi­tuels (Europe et Région Rhône-Alpes).

En pro­po­sant aux indus­triels du Pilat de se ser­vir de l’en­vi­ron­ne­ment pour étayer leur déve­lop­pe­ment, nous ne pen­sions pas aller si loin.

Par­tant du prin­cipe que les don­neurs d’ordre intègrent de plus en plus le cri­tère de la pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment dans le choix de leurs sous-trai­tants, il nous parais­sait inté­res­sant de pro­po­ser aux indus­triels du Pilat (méca­nique, plas­tur­gie, agroa­li­men­taire, et tex­tile essen­tiel­le­ment en petites uni­tés) de valo­ri­ser leur implan­ta­tion dans un parc natu­rel régio­nal, et de tirer par­ti de leur action volon­taire en matière de pré­ser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment. Des pro­grammes d’é­co­no­mie éner­gé­tique, de ges­tion des déchets et de mana­ge­ment envi­ron­ne­men­tal ont été mis en œuvre.

Ces pro­grammes furent par­ti­cu­liè­re­ment bien accueillis des indus­triels et très sui­vis dans la mesure de leurs possibilités.

Leurs moti­va­tions que nous ima­gi­nions d’ordre éco­no­mique, voire exis­ten­tielles pour leur entre­prise à plus ou moins long terme, furent en réa­li­té beau­coup plus sensibles.

Cer­tains d’entre eux ont enga­gé leur entre­prise dans une démarche de pro­grès envi­ron­ne­men­tale, pour pré­ve­nir l’é­vo­lu­tion de la régle­men­ta­tion, et valo­ri­ser leur démarche vis-à-vis de leurs clients, mais pour la plu­part des indus­triels, ce fut en pre­mier lieu, pour amé­lio­rer leur envi­ron­ne­ment immé­diat, l’i­mage de l’en­tre­prise dans la col­lec­ti­vi­té, et valo­ri­ser leur propre cadre de vie ain­si que leurs condi­tions de travail.

L’en­vi­ron­ne­ment n’est plus incom­pa­tible avec déve­lop­pe­ment éco­no­mique, au contraire. Ce sont les forces vives locales qui nous le montrent.

C’est parce que l’ac­tion défi­nie par les élus du Pilat cor­res­pon­dait en tous points aux attentes des entre­pre­neurs locaux que la per­for­mance envi­ron­ne­men­tale eut un tel succès.

La pièce maî­tresse d’un pro­jet de ter­ri­toire réside dans son uni­ver­sa­li­té : lors­qu’il est issu du ter­ri­toire, par­ta­gé et por­té par cha­cun des acteurs de la vie locale, une voie com­mune se des­sine et le pro­jet devient vite réalité.

Pour être par­ta­gé, un pro­jet de déve­lop­pe­ment ne peut se pas­ser de la dimen­sion éco­lo­gique. Les citoyens sont légi­ti­me­ment sou­cieux de leur envi­ron­ne­ment, ils attendent des amé­lio­ra­tions pour reprendre confiance.

De même, toute action de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment doit être asso­ciée à un pro­jet de déve­lop­pe­ment pour être éco­no­mi­que­ment ren­table et ain­si pro­po­ser un ave­nir au territoire.

» Nous ne sommes que les gar­diens de la terre de nos enfants » a‑t-on cou­tume de dire ; pour eux, créons les condi­tions d’un déve­lop­pe­ment harmonieux !


Mal­le­val, vil­lage typique médié­val. © PNR PILAT ‑F. COSTE

Estive sur les crêts – 1999. © PNR PILAT – F. COSTE

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