Les pays côtiers en développement face aux changements globaux
Les socio-écosystèmes côtiers se trouvent en première ligne face aux effets des aléas et dérèglements climatiques. Or une fraction de plus en plus importante de la population mondiale vit sur les côtes, notamment dans les pays en développement. Et les menaces qui pèsent sur ces systèmes sont multiples. Il faut donc construire des solutions adaptées à chaque situation locale et les construire en associant les populations concernées. La France, via son Institut de recherche pour le développement (IRD), mène un ambitieux programme de formation des acteurs locaux, pour qu’ils prennent en charge le destin commun.
Les écosystèmes côtiers de la bande tropicale, où se situent la plupart des pays en développement, jouent un rôle majeur sur l’atténuation des effets du changement climatique : lagunes, mangroves, herbiers marins et marais salants représentent des protections naturelles contre l’élévation du niveau marin induite par la marée, les vagues, les tempêtes et cyclones et le changement climatique. Leur préservation représente donc un objectif non seulement environnemental mais également social, majeur.
Les sociétés côtières
Les sociétés côtières, dont 80 % se situent dans un pays en développement, vivent en effet de l’océan (aquaculture, pêche, tourisme…) et en subissent les humeurs (surcotes, tempêtes, érosion, tsunamis…). Leur situation géographique rend ces socio-écosystèmes côtiers particulièrement vulnérables aux aléas climatiques à différentes échelles temporelles, des événements extrêmes comme les cyclones tropicaux aux variations interannuelles auxquelles se produisent les épisodes El Niño.
Le changement climatique s’ajoute à ces menaces et les accentue : montée du niveau de la mer, bouleversement du cycle de l’eau et intensification des extrêmes (précipitations intenses, inondations, sécheresses), réchauffement et acidification des eaux qui affectent les écosystèmes côtiers et coralliens et les ressources halieutiques.
En 2015–2016, la combinaison des effets à long terme du changement climatique et de l’oscillation ENSO a ainsi provoqué l’épisode El Niño le plus dévastateur ayant été observé : de nombreux pays d’Asie et d’Amérique du Sud, d’Afrique et du Pacifique ont été frappés par des sécheresses et canicules continentales et marines exceptionnelles qui ont, entre autres, induit le blanchiment de nombreux écosystèmes coralliens, aggravé les intrusions salines et provoqué une perte significative des terres arables dans les régions deltaïques (25 % dans le delta du Mékong), entraînant des famines qui ont touché plus de 60 millions de personnes dans les pays en développement, qui représentent la population la plus vulnérable aux impacts du changement climatique.
Une menace parmi d’autres
Ce tableau pessimiste n’est pas la seule menace qui pèse sur ces populations, ni même la priorité pour les questions liées à une exploitation durable. En effet, la concentration des personnes dans des agglomérations côtières, se situant en général proches d’une ressource en eau potable, donc à proximité d’un estuaire ou d’une lagune, ne fait que croître.
Actuellement, plus de 50 % de la population mondiale vit à moins de 150 km des côtes, en grande partie dans des régions ne dépassant pas 10 mètres d’altitude, et les prévisions démographiques suggèrent que la proportion pourrait atteindre 75 % d’ici 2035. Cette pression anthropique affecte de façon immédiate le fonctionnement et la santé des socio-écosystèmes des zones côtières continentales (estuaires, lagunes, mangroves) et de l’océan côtier et global, présentant des défis majeurs : déforestation (en particulier des mangroves), destruction des habitats et des écosystèmes, surexploitation des ressources, industrialisation, pollutions, gestion déficiente des déchets, des sols et des littoraux.
« Actuellement, plus de 50 % de la population mondiale vit à moins de 150 km des côtes. »
Ainsi, à l’échelle décennale, l’affaissement d’une grande partie des grands deltas de la planète (Nil, Mékong, Yangtsé…) est induit principalement par la construction de barrages et l’extraction de sable (qui sert à construire les gratte-ciels des grandes mégapoles et réduit considérablement les apports de sédiments aux deltas), le pompage des nappes phréatiques et le poids des mégapoles (Bangkok, Jakarta, Bombay, Manille…).
Les habitants de ces deltas, citadins et paysans, voient se multiplier les inondations qui paralysent les villes et salinisent les aquifères et les ressources en eau ainsi que les terres arables, les rendant impropres à l’agriculture pour des années. Accentuées par les effets des aménagements littoraux ou des barrages qui modifient drastiquement les flux de sédiments, ces actions engendrent également une forte érosion côtière, qui cause des dégâts majeurs sur certaines infrastructures littorales. La montée des eaux induite par le changement climatique aggravera largement ces effets au cours du XXIe siècle.
Des situations locales très variées
Les pays en développement ne disposent pas de ressources comparables à celles des pays riches pour mettre en place des mesures d’adaptation et de mitigation, ni pour résister aux pressions économiques émanant d’acteurs peu regardants sur l’impact environnemental. En outre, les systèmes politiques autoritaires et la corruption qui règnent dans certains pays mettent à mal d’éventuelles politiques environnementales et renforcent encore les effets négatifs des changements globaux. Il existe cependant une multiplicité de situations économiques, sociales et politiques, associées à des problèmes tout aussi multiples : un pays émergent comme l’Afrique du Sud fait certes face à des problèmes de corruption et d’inégalités sociales, mais il est malgré tout doté d’un système éducatif, de compétences, d’infrastructures, de moyens financiers et d’une stabilité politique dont sont complètement dépourvus les pays les moins avancés comme Madagascar ou Haïti.
Développement contre environnement ?
Au Bénin, dans la lagune Nokoué, 12 000 pêcheurs font vivre une économie qui subvient aux besoins de plusieurs dizaines de milliers de personnes, mais a un impact avéré sur les ressources : même si
chacun n’extrait en moyenne que 3 kg de poisson par jour, on observe une diminution importante de la taille des poissons dans la lagune à mesure que la population s’accroît. Dans la région du bas Mékong
au Cambodge, la poldérisation des deltas visant initialement à passer d’une à deux voire trois récoltes annuelles de riz appauvrit en fait à terme les terres, favorisant l’utilisation croissante d’intrants chimiques qui accentue encore le problème.
Au Viêtnam, les facteurs de la croissance, qui a dépassé 8 % en 2022, sont certes synonymes d’une amélioration spectaculaire des conditions de vie de la population depuis l’ouverture du pays à la fin des années 1990, mais ils ont comme ailleurs des revers négatifs : industrie textile et pollution aux microplastiques des eaux fluviales et côtières, essor du tourisme et bétonisation du littoral, utilisation intensive du charbon et pollution aux particules fines avec des conséquences qui vont de la hausse des maladies respiratoires à l’acidification des eaux côtières.
De plus, ces populations, dont l’installation reste incontrôlée, sont à la merci des aléas climatiques, comme les crues dévastatrices qui deviennent systématiques en Afrique tropicale. En 2010, la crue de l’Ouémé, principal affluent de la lagune Nokoué (Bénin), a provoqué une centaine de morts, le déplacement de 700 000 personnes, la destruction de plus de 55 000 habitations et la perte de 128 000 hectares de cultures et de 81 000 têtes de bétail.
Un équilibre à trouver
Afin de préserver et garantir l’habitabilité des socio-écosystèmes côtiers des pays du Sud, de nombreuses actions visent à élaborer des solutions aux problèmes induits par ces changements locaux et globaux. Ces actions, dont les résultats sont extrêmement variables, font intervenir une myriade d’acteurs, d’approches et d’outils : collectivités locales, gouvernements, organismes publics de recherche, bailleurs de fonds, ONG, fondations, etc.
L’équilibre entre l’exploitation durable de l’environnement et la nécessaire croissance économique de ces pays reste souvent compliqué à établir. La croissance économique galopante de certains pays en développement, si elle est synonyme d’amélioration des conditions de vie (santé, éducation, alimentation, etc.), s’accompagne également d’effets négatifs sur l’environnement et les sociétés (voir encadré). On peut retrouver certains dénominateurs communs à ces différentes situations, mais il serait illusoire de chercher des solutions génériques à des problèmes toujours associés à des contextes uniques.
Pour chaque socio-écosystème marin ou côtier, l’élaboration de solutions durables doit impérativement prendre en compte de façon intégrée l’ensemble des mécanismes, facteurs et acteurs qui interviennent et interagissent dans son fonctionnement, ainsi que ses spécificités, sous peine de mener à des résultats inefficaces, voire contre-productifs et déstabilisants.
Principes pour des solutions durables
S’il n’y pas de recette magique unique, il existe cependant des principes fondamentaux, s’appuyant tous sur le dialogue d’une large palette de disciplines, de savoirs, d’approches, d’outils et d’acteurs. Il faut d’abord mobiliser et faire travailler ensemble sciences environnementales, économiques, sociales et humaines, afin d’identifier et comprendre le fonctionnement de ces socio-écosystèmes et leurs spécificités, en examinant les effets des actions humaines tant sur le plan écosystémique que sur le plan sociétal.
Ensuite identifier les savoirs et besoins locaux et améliorer l’appropriation et la pertinence des solutions construites en s’appuyant sur les populations locales et les incluant dès le début dans l’élaboration de ces solutions. Transmettre avant tout les compétences plutôt que des solutions toutes faites ou transposées, en formant des personnes qui deviennent des experts dans leur propre pays. Enfin évaluer l’impact des solutions mises en œuvre (ce qui est peut-être la partie la plus difficile) : comment quantifier l’impact ? quels indicateurs ? quelles échelles de temps ?
L’Institut de recherche pour le développement
Cette approche transdisciplinaire et transsectorielle de la construction de solutions durables est au cœur des missions des chercheuses et chercheurs de plusieurs organismes publics de recherche français, qui portent des projets dont le renforcement des capacités au Sud est le socle. Ainsi, avec leurs collègues et partenaires d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, du Sénégal à l’Indonésie, des îles du Pacifique au Pérou, les scientifiques de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) construisent des laboratoires et mènent des projets de recherche et de formation dans ces pays.
“Comprendre le fonctionnement des socio-écosystèmes côtiers complexes.”
L’objectif est de comprendre le fonctionnement de ces socio-écosystèmes côtiers complexes et d’appréhender leur réponse aux différents facteurs de variabilité d’origine naturelle et anthropique. Climatologues et anthropologues travaillent par exemple ensemble à améliorer la résilience des États insulaires du Pacifique face au changement climatique (projet Clipssa), s’appuyant de concert sur des projections climatiques numériques et sur les savoirs écologiques locaux, afin d’assurer une meilleure pertinence et une meilleure appropriation des modalités d’adaptation construites.
Le renforcement des capacités dans les pays en développement
Cette démarche s’appuie de façon essentielle sur la formation, via des programmes de masters et de doctorat adossés à des laboratoires et projets impliquant les étudiantes et étudiants de ces pays côtiers en développement.
Ces jeunes scientifiques sont les futurs experts nécessaires au développement de connaissances et de solutions durables pour l’adaptation de leurs pays aux changements globaux et locaux. Des masters internationaux, cohabilités par l’Université des sciences et technologies de Hanoï au Viêtnam ou l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin et des universités françaises comme l’Université de Toulouse, ont ainsi permis de former depuis 2010, pour le Viêtnam et l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, des dizaines d’océanographes, physiciens et biologistes, chimistes et écologues. Ceux-ci se mobilisent aujourd’hui pour répondre aux questions socio-environnementales brûlantes de leur région.
Certains sont enseignants-chercheurs au sein d’universités et d’organismes de recherche dans leur pays, en mesure de prendre la relève et d’enseigner pour ces mêmes masters ; d’autres travaillent à la mise en place de solutions permettant de faire face aux différents risques environnementaux, comme des systèmes de prévention des crues et des cyclones ou des expertises pour l’aide à l’aménagement du littoral, des estuaires et lagunes ou encore pour la préservation des écosystèmes.
Donner du temps au temps
Enfin, l’élaboration de ces solutions nécessite de travailler sur le long terme, ce que ne permettent pas forcément certains projets dotés de moyens considérables déployés en quelques années : établir un dialogue réel, fondé sur la confiance, identifier des besoins et des objectifs, construire des compétences solides et durables et évaluer l’efficacité des actions mises en place exigent d’y consacrer du temps, ingrédient essentiel et pourtant trop souvent sous-estimé.