Les pays en développement face au changement climatique
L’attention se focalise aujourd’hui, à juste titre, sur la nécessité de parvenir, en décembre prochain à Copenhague, à un accord global satisfaisant et efficace pour la lutte contre le changement climatique. La diversité des situations – niveaux de développement, niveaux des rejets en CO2, évolution de ces facteurs – rend la recherche d’un consensus difficile. Même si le principe de » responsabilités communes mais différenciées » semble acquis, l’organisation des négociations tend à accentuer le clivage entre pays riches et pays en voie de développement alors qu’il est indispensable de trouver les termes d’un accord équilibré.
REPÈRES
En 1997, la Convention de Kyoto ratifiée par 176 pays fixait des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2012 pour 40 pays industrialisés, dits de l’annexe 1 (et l’Union européenne dans son ensemble), l’objectif global pour ces pays étant une réduction de 5,2 % en 2012 par rapport à 1990. Pour la période d’après 2012, un nouveau régime international de lutte contre le changement climatique doit être arrêté fin 2009 lors de la 15e Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations unies pour le changement climatique (CCNUCC) à Copenhague.
La Convention-cadre de 1992 propose comme objectif de » maintenir un niveau de concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui permette d’éviter toute interférence anthropique dangereuse sur le système climatique » : l’intérêt de tous est d’éviter que la planète franchisse un seuil de réchauffement moyen dangereux, estimé aujourd’hui par les scientifiques à 2 °C, par rapport au niveau préindustriel. L’attention se focalise toutefois sur les marges de réduction des émissions particulières des États, ou de groupes d’États, avec des considérations économiques et politiques qui pèsent face aux préoccupations écologiques.
Les engagements financiers des pays développés seront déterminants
Parmi les pays industrialisés, soumis à des objectifs chiffrés de réduction à moyen terme, le débat est vif sur la comparabilité des efforts, notamment entre l’Union européenne et les États-Unis. Mais quand bien même ces pays se mettraient d’accord sur des objectifs très ambitieux, cela ne sera pas suffisant par rapport à ce qui est nécessaire, d’un point de vue physique, pour atteindre l’objectif global, si les autres pays ne réduisent pas également leurs émissions.
D’où la nécessité d’associer le reste du monde, c’est-à-dire des » pays en développement « . Il est donc important, avant Copenhague, d’avoir une vision claire et différenciée des émissions relatives des uns et des autres, ainsi que de leur situation respective dans la négociation. Car la négociation sur le climat, non sans rappeler le dialogue Nord-Sud de la fin du siècle dernier, tend aujourd’hui à se cliver entre pays développés et pays en développement.
Une situation spécifique et contrastée
La part des pays en développement dans les émissions mondiales de GES (28 MMt CO2 en 2006) est encore relativement faible par rapport à celle de la quarantaine de pays industrialisés et en transition de l’annexe 1 : ces derniers représentent encore 46 % des émissions et seulement 20 % de la population mondiale ; les quelque 150 autres pays (80 % de la population mondiale) représentent donc 54 % des émissions. Mais les pays en développement ne forment pas un bloc homogène du point de vue des émissions. La situation diffère grandement selon les pays et la réalité des chiffres oblige à distinguer les grands pays émergents des autres pays en développement. Par exemple, si l’on ajoute aux pays du G 8 (dont l’Union européenne, qui représente 14 % des émissions mondiales), le volume d’émissions du groupe des cinq pays émergents qui leur sont associés régulièrement depuis quelques années (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique), les émissions de cet ensemble à treize doublent et représentent près de 80 % des émissions mondiales.
La Chine et les États-Unis
On peut illustrer cette situation particulière en mentionnant, par exemple, les deux premiers émetteurs de GES aujourd’hui, la Chine et les États-Unis, qui émettent chacun 20 % des émissions mondiales, et qui sont pourtant dans des situations très différentes dans la négociation climat : en Chine, pays non-annexe 1, les émissions ont augmenté de 152 % entre 1990 et 2006, tandis qu’aux États-Unis, pays de l’annexe 1, elles augmentaient de 17 % (l’Europe des Vingt-Sept ayant vu pour sa part ses émissions baisser de 2 % pendant la même période). Ces différences sont encore plus marquées lorsqu’on considère les émissions de GES par habitant.
Répartition par habitant
En 2006, la moyenne des émissions de CO2 par habitant dans les pays industrialisés de l’annexe 1 s’établissait à 16,1 t de CO2, soit environ quatre fois celle des pays non-annexe 1, pour une moyenne mondiale de 4,3 t. Les comparaisons par pays sont également instructives : un Américain émet encore 14 fois plus de GES qu’un Indien, 3,5 fois plus qu’un Chinois, 2 fois plus qu’un Européen (8,1 t de CO2 – chiffres 2006, source AIE). Avec 6,2 t de CO2, un Français émet certes trois fois moins qu’un habitant des États-Unis et 25 % de moins que la moyenne européenne (grâce notamment au parc électronucléaire), mais encore six fois plus qu’un Indien et environ un tiers de plus que la moyenne mondiale.
Les émissions, en chiffres bruts ou par habitant, sont donc très différenciées, non seulement entre pays industrialisés et pays en développement, mais aussi au sein de chacun de ces deux groupes. Géographiquement, parmi les pays en voie de développement, plusieurs zones et pays apparaissent dans des situations spécifiques, dont la négociation climat ne peut pas faire abstraction : l’Afrique contribue à moins de 8 % des émissions mondiales, l’Amérique latine à 10,3 %, le Moyen-Orient à près de 4 %, l’Asie étant dans une situation contrastée avec le cas particulier de la Chine (20 % des émissions), alors que les émissions du reste du continent asiatique sont relativement peu importantes.
Un système de négociation différencié
Ces différences marquées des niveaux d’émissions entre les pays, reflet de leur développement économique, ne correspondent que très imparfaitement à la façon dont la négociation sur le climat est organisée à l’ONU, qui connaît principalement, d’une part, comme on l’a vu plus haut, les pays industrialisés et en transition, soumis à des objectifs de réduction à moyen terme de leurs émissions, d’autre part les pays en développement, non soumis à de tels objectifs à moyen terme mais appelés à prendre d’autres formes d’engagement.
En Chine, les émissions ont augmenté de 152% entre 1990 et 2006
L’organisation des négociations en deux groupes conduit de fait à accentuer le clivage entre pays en développement et pays développés, en gommant les différences au sein de chacun des deux groupes, et en diluant l’exigence d’une action commune équitablement répartie pour faire face à l’objectif global, qu’il s’agit vraiment de transformer en objectif commun pour tous les pays, avec des formes d’engagement et d’action différenciées suivant la situation spécifique de chaque pays.
Les pays les moins avancés
L’organisation des travaux
L’ONU a créé deux groupes de discussion distincts : d’une part un groupe de travail ad hoc chargé d’examiner les engagements d’atténuation des pays » Annexe I » au titre du protocole de Kyoto (pays industrialisés et en transition ayant ratifié le protocole) pour la période post-2012, et, d’autre part, un » groupe de travail sur les actions coopératives de long terme « , ayant pour objet de définir un nouveau régime global de lutte contre le changement climatique, qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble de la communauté internationale et dans lequel les pays en développement sont invités à prendre des formes d’engagement spécifiques. Ce futur régime, qui s’appuiera sur la base juridique de la CCNUCC, pourrait englober ou se substituer au protocole de Kyoto. Les sujets dont doivent discuter les Parties sont regroupés en 5 » blocs » : vision partagée, atténuation (c’est-à-dire réduction des émissions), adaptation au changement climatique, technologie et financement.
Les pays en développement ne sont pas tous dans la même situation face au changement climatique. S’agissant de l’atténuation (la réduction des émissions), les grands pays émergents représentent aujourd’hui une part significative dans le » budget global des émissions « , tandis que le volume d’émissions reste marginal pour un nombre important d’autres pays en développement. Cette différenciation apparaît également s’agissant de l’adaptation aux effets du changement climatique, face auquel tous les pays en développement ne sont pas égaux. Il suffit de penser à la situation de certains pays dans la catégorie des Pays moins avancés (PMA) qui, sans même avoir atteint un niveau d’accès aux ressources énergétiques modernes permettant d’accélérer le développement, ont à faire face à la désertification et à la raréfaction des ressources en eau, avec tout ce qui en résulte. Ou encore au groupe des petits États insulaires, pour qui un réchauffement global de 1 °C seulement menace la survie même, et non seulement le processus de développement. Ainsi, certains pays en développement, dont les émissions sont marginales dans l’effet de serre, sont plus vulnérables aux effets du changement climatique que d’autres pays – en développement ou développés : le futur régime international sur le climat devra en tenir compte.
Répondre de façon équilibrée
Le principal enjeu reste de » décarboner » davantage les économies des pays développés et d’aider les pays en développement à adopter des chemins de croissance moins intensifs en carbone tout en aidant les PMA à s’adapter au changement climatique. Cela suppose d’obtenir une vision partagée par tous de la nécessité de limiter le réchauffement à moins de 2 °C par rapport à l’époque préindustrielle, ce qui signifie atteindre le plus tôt possible un » pic mondial des émissions » et réduire celles-ci d’ici 2050 d’au moins 50 %. Autre prérequis : un engagement de tous les pays à s’engager résolument sur des plans de développement moins intensifs en carbone, avec des mesures qui puissent faire l’objet de processus de reporting et de vérification. Pour les pays développés, les objectifs seront une réduction de leurs émissions de 25 à 40 % d’ici 2020 ; pour les pays en développement, ils seront de faire évoluer la trajectoire tendancielle de leurs émissions.
La notion fondamentale d’équilibre doit être au centre des négociations des prochains mois. Tout d’abord équilibre entre les engagements des pays développés et ceux des pays en développement, ce qui suppose de trouver un autre équilibre – s’agissant des volumes d’émissions – entre les responsabilités passées, la situation actuelle et les tendances d’émissions des prochaines années. Mais cette recherche d’équilibre spatial et temporel doit aussi se traduire par une juste répartition entre les questions de limitation des émissions (l’atténuation) et celles relatives à l’adaptation au changement climatique. Ensuite équilibre, voire équité, entre les efforts respectifs pour la mise en place d’une économie bas carbone, ainsi que dans les mécanismes de financement du régime à mettre en place à partir de 2013.
Tous les pays en développement ne sont pas égaux face à l’adaptation aux effets du changement climatique
À cet égard, les engagements financiers des pays développés, et sans doute aussi des pays émergents, pour accroître la solidarité avec les plus vulnérables, seront déterminants pour obtenir un accord.
Ces différents équilibres résulteront pour l’essentiel des compromis qui seront trouvés entre les pays développés (« annexe 1 ») et les pays en développement. Il est essentiel d’avoir une vision fine de leurs situations et de leurs besoins si l’on souhaite parvenir à Copenhague à un accord satisfaisant engageant le monde vers le nouveau paradigme énergie-climat nécessaire pour assurer la durabilité du développement et du bien-être économique et social.
Un socle indispensable
Le principe des responsabilités communes mais différenciées en fonction du niveau de développement et d’émissions sera à la base de l’accord global : si l’effort des pays industrialisés doit être accru, celui des émergents doit être encouragé ; les différences entre pays en développement, notamment sur le critère du PIB, devront être prises en compte dans leur contribution à l’effort collectif ; une véritable solidarité devra s’instaurer avec les pays les plus vulnérables au changement climatique, avec des actions renforcées et des financements accrus pour l’adaptation et pour favoriser le déploiement et le transfert des technologies, ces financements devant venir, en partie, en complément de l’aide publique au développement traditionnelle, ainsi qu’à travers de nouveaux mécanismes de financement.