Les petites entreprises financent les grosses
Les PME manquent de fonds propres, affirme-t-on souvent.
Nous allons voir qu’il n’en est rien et que le problème est ailleurs.
Les conclusions que je présente ici sont issues d’une étude statistique que j’ai réalisée sur les liasses fiscales 1996 de plus de 300 000 entreprises françaises de plus de 5 MF de chiffre d’affaires, informations disponibles sur la base de données CD-Risk de S&W, filiale française de Dun & Bradstreet.
Je tiens cette étude à la disposition des lecteurs qui seraient intéressés.
L’analyse statistique des bilans et comptes de résultats est sans appel. Elle montre que les financements à long terme (fonds propres et emprunts) des PME couvrent mieux en moyenne leurs immobilisations que ne le font ceux des grandes entreprises. Leur taux d’endettement ne pose pas non plus de problème.
En revanche, le besoin de financement du cycle d’exploitation est toujours sensiblement plus important dans le cas des PME. Et cette particularité a pour seule cause les longs délais de paiement de leurs clients, expression d’un rapport de force qui leur est presque toujours défavorable.
Cet usage, abusif en France et dans les pays latins, de ce qu’il est convenu d’appeler le crédit interentreprises handicape lourdement le développement de nos PME. Il faut prendre conscience que la trésorerie faite par les grandes entreprises sur les petites dépasse, en France, le montant de 100 milliards de francs.
Cela veut dire que si toutes les entreprises payaient leurs fournisseurs à trente jours, ce qui est la pratique dans le monde anglo-saxon, chaque PME de 30 MF de chiffre d’affaires verrait en moyenne sa trésorerie augmenter de 1,5 MF. C’est une somme considérable pour une entreprise de cette taille, une somme qui lui permettrait d’investir industriellement ou commercialement sans risquer de mettre en péril son équilibre financier.
Il faut cependant se garder du mauvais réflexe qui consisterait à légiférer ou à réglementer ces délais car ce serait tomber dans le piège, véritablement désastreux pour les PME, de l’application par elles seules de cette nouvelle réglementation ou législation. Les PME ne peuvent pas s’offrir le luxe de conflits avec des clients et fournisseurs plus puissants qu’elles.
Les nouveaux usages devraient, à mon sens, reposer sur les principes suivants :
- responsabiliser l’entreprise cliente en lui faisant supporter financièrement les frais des titres de paiement qu’elle utilise,
- pénaliser fiscalement les entreprises qui abusent des délais de paiement en rendant le crédit interentreprises plus coûteux que le crédit bancaire,
- permettre aux PME d’être payées à trente jours sans frais,
- préserver la relation commerciale de tout litige portant sur les délais de paiement,
- éviter toute intervention de l’État en faisant en sorte que le système s’autorégule.
Trois mesures simples seraient, à cet égard, suffisantes :
1 – Pénaliser fiscalement les abus de délais de paiement en majorant l’impôt sur les sociétés des entreprises responsables de ces abus.
L’abus consisterait pour une entreprise à payer ses fournisseurs dans un délai qui soit à la fois supérieur à trente jours et supérieur au délai de paiement de ses clients.
Si, à partir des éléments de la liasse fiscale, ces deux dépassements simultanés étaient constatés, l’impôt sur les sociétés serait majoré d’un montant égal aux intérêts annuels que devrait payer l’entreprise si elle empruntait la totalité de son compte fournisseur au taux officiel de l’usure.
Cette mesure permettrait de rendre le crédit interentreprises plus cher que le crédit bancaire. Et donc de faire progressivement disparaître ces pratiques néfastes.
2 – Permettre aux PME fournisseurs d’être payées à trente jours sans frais, sur simple présentation des pièces justificatives.
Ces pièces justificatives seraient : soit le titre de paiement soit la facture. La BDPME, ou toute autre banque, réglerait aussitôt à l’entreprise la somme due et se chargerait de recouvrer la créance auprès du client, ainsi que les frais de son intervention. L’entreprise fournisseur resterait bien entendu responsable de tout litige portant sur la vente.
3 – Imputer à l’émetteur d’un titre de paiement les frais afférents.
L’usage veut que le destinataire d’un titre de paiement paie les frais qui y sont associés, alors que c’est l’émetteur qui choisit le mode de paiement qui lui convient.
Il serait plus sain que ce soit l’émetteur du titre qui paie : frais administratifs et frais d’escompte lorsque le délai de trente jours est dépassé. La banque du fournisseur, réceptrice du paiement, facturerait directement ces frais à l’émetteur du paiement.
Ces propositions de mesures sont issues de la pratique du terrain.
Discutées avec des praticiens des opérations de paiement, elles restent, bien sûr, des propositions ouvertes.
L’important est de faire évoluer ces usages de crédit interentreprises qui handicapent fortement notre économie au moyen de mesures incitatives et non coercitives.