Les plaideurs
Cet été à Paris, au Pré Catelan pour être précis, on jouait les samedis et dimanches après-midi des classiques français. Cela dans le Jardin Shakespeare, un ravissant théâtre de verdure, en plein air bien sûr. Nous y avons vu Les Plaideurs, interprétés par une exquise petite troupe « Le Théâtre baroque », dans une mise en scène de Michel Dury.
Une pièce rare
On prenait son billet à l’entrée, en arrivant, et c’était Chicanneau en personne, établi dans une guérite, qui vous les vendait. Ce retour à l’ancienne ne manquait point de charme, d’autant que, ce jour-là, le Pré Catelan resplendissait de fleurs et de gazons ensoleillés. De surcroît, voir jouer Les Plaideurs n’est pas si fréquent. Bien qu’inscrits au répertoire du Théâtre-Français, on ne les y donne quasi jamais. Vous me direz que, par les temps qui courent et vu les présents usages de cette scène nationale, ce n’est peut-être pas plus mal pour la mémoire de Racine. Mais c’est hélas la même rareté ailleurs.
On ne peut que le regretter, car il s’agit d’une fort divertissante pochade, conçue par un garçon de vingt-neuf ans, qui ne fut donc pas toujours l’emperruqué aligneur d’alexandrins en « galimatias pompeux », pour reprendre les termes mêmes de l’irrévérencieux Montherlant.
Une fête de l’œil et de l’oreille
Au contraire de ses tragédies à la construction dramatique toujours d’une grande habileté dans le crescendo du conflit, Racine n’a rien mis de tout cela dans Les Plaideurs : on n’y trouve pratiquement pas de construction, et seulement de burlesques dialogues, autour d’une situation plus que simplette et, de plus, quasi invraisemblable. Un fils veut empêcher son père juge de passer son temps au tribunal. Il le persuade, bien vite fait d’ailleurs, de rendre la justice à la maison, à propos des plus menus incidents de la vie quotidienne : le chien vient de voler et de manger un chapon qui ne lui était point destiné. On plaide. En outre, ce fils est amoureux fou de la fille d’un pilier de procès. Il l’embobine si bien que l’autre signe, les yeux fermés, un contrat de mariage qu’on lui fait prendre pour un exploit d’huissier.
C’est tout. Mais autour de ce tout, une sarabande endiablée de personnages parfaitement saugrenus, virevoltant de la cave aux gouttières. Au Pré Catelan à dire vrai, il s’agissait plutôt de bondir parmi les massifs et les rocailles qui constituent l’arrière-plan du plateau. Quant à la cave de Dandin, la fosse d’orchestre aux parois de lierre en tenait lieu, fort bien d’ailleurs. Ces Plaideurs furent une fête de l’œil et de l’oreille.
Un début difficile
L’histoire du théâtre nous apprend que, l’année même où Molière produisait l’Avare en son Palais-Royal, Les Plaideurs furent créés, en 1668 donc, à l’hôtel de Bourgogne. L’affaire se solda par un four pour le pauvre Racine. Peut-être le public, l’ayant étiqueté tragique – il avait déjà fait jouer La Thébaïde, Alexandre et surtout Andromaque qui connut un immense succès – fut-il déconcerté par cette farce sans queue ni tête.
Il convient de dire aussi que la bourgeoisie parisienne, c’est-à-dire le gros de ce public, comptait quantité de gens de robe. Ils n’apprécièrent sans doute pas cette hilarante mise en boîte de leurs pratiques. En outre, le monde de la justice se trouvait alors en pleine effervescence : l’Ordonnance d’avril 1667, impliquant nombre de remises en cause et simplifications, était toute fraîche et avait été plutôt mal reçue par les intéressés. Vous savez comme moi, au vu d’exemples très récents, que la gent des prétoires n’aime pas bien les coups de pied dans sa fourmilière.
Toujours est-il que, quelque temps après l’échec à l’hôtel de Bourgogne, la pièce était jouée devant la Cour, à Saint-Germain-en-Laye, pour la plus grande joie d’un Louis XIV de trente ans, qui en pleura de rire. De plus, le thème allait dans le sens des réformes qu’il souhaitait. Les courtisans s’alignèrent. Les comédiens de l’hôtel de Bourgogne remirent Les Plaideurs à l’affiche. Le public accourut. Ainsi vont les choses, allez savoir pourquoi.