Les « poids et mesures » : bien plus qu’une science
Le Bureau international des poids et mesures (BIPM) assure l’unification mondiale des mesures physiques et la diffusion des étalons correspondants auprès des utilisateurs de tous pays et de toute nature. Cette mission a des implications scientifiques, économiques et commerciales importantes et d’une portée considérable au niveau international. Les avancées de la science (biosciences, nanotechnologies) et l’émergence de nouveaux besoins (environnement, santé) sont les défis majeurs pour les années qui viennent.
ANDREW J. WALLARD, directeur du Bureau international des poids et mesures, a adressé un très long article. La rédaction en retrace ici les grandes lignes. Les photographies sont reproduites avec l’accord du BIPM qui conserve l’intégralité des droits d’auteur, protégés internationalement, sur la forme et le contenu de ce document.
REPÈRES
Le BIPM est une organisation d’environ 70 personnes, originaires d’une quinzaine de pays, auxquelles s’ajoutent des personnes en détachement de laboratoires nationaux de métrologie. Il est installé à Sèvres sur un territoire international offert par le gouvernement français, autour d’un pavillon construit par Gobert pour Monsieur, frère du roi Louis XIV, en 1672. Le BIPM détient toujours le prototype international du kilogramme – le dernier étalon de mesure fondamental international représenté par un artefact, constitué d’un alliage de platine et d’iridium. Son budget annuel est actuellement d’environ 11 millions d’euros par an.
Le BIPM a été créé en considération d’une idée, partagée au niveau international, selon laquelle de meilleures mesures permettraient d’effectuer des échanges commerciaux sur une base commune et aideraient à fabriquer de meilleurs produits pour le monde entier. Il était d’emblée clair que les unités et les étalons de mesure devaient être approuvés au niveau international afin de répondre à cette exigence.
Les meilleurs experts internationaux conseillent le BIPM
L’acte fondateur en a été la Convention du Mètre signée par 17 États le 20 mai 1875 (ce jour est maintenant célébré comme la « Journée mondiale de la métrologie »). Son but d’origine était de promouvoir les mesures métriques dans le monde. Le BIPM a été établi en tant qu’organisation intergouvernementale afin de servir de bureau scientifique permanent et d’effectuer des travaux pour ses membres « d’un commun accord ». La conférence diplomatique devient permanente : c’est la Conférence générale des poids et mesures (CGPM) qui se réunit tous les quatre ans à Paris pour débattre de toutes les questions importantes concernant la métrologie mondiale. La CGPM approuve aussi le programme de travail du BIPM et fixe sa dotation.
Une organisation visant à l’universalité
Science et mesure
De nombreux scientifiques célèbres associés au BIPM depuis sa création : Benoît, de Broglie, Cornu, Fabry, Köster, Michelson, Sears, Siegbahn, Volterra, Zeeman et Mendéléev, qui ont tous participé à différents comités du BIPM. De nombreux lauréats du prix Nobel ont aussi travaillé étroitement avec le BIPM : Charles-Édouard Guillaume, prix Nobel de physique en 1920, en fut le directeur. L’attirance des scientifiques pour la métrologie s’explique par le besoin de comprendre ce qui limite leurs possibilités à mesurer, afin de repousser les limites des connaissances. Steven Chu, prix Nobel de physique en 1997, dans un discours à l’occasion du 125e anniversaire de la Convention du Mètre (et du BIPM), a ainsi déclaré : « L’exactitude des mesures est au cœur de la physique et, selon mon expérience, les avancées de la physique commencent avec la nouvelle décimale. »
L’uniformité mondiale des mesures est un enjeu central qui implique des réseaux complexes. La CGPM nomme un comité composé de dix-huit personnalités, élues pour leurs compétences personnelles : le Comité international des poids et mesures (CIPM), qui se réunit tous les ans afin de superviser le travail du BIPM et étudier les questions relatives à la métrologie internationale. Le CIPM présente son rapport à la CGPM ; dix Comités consultatifs rassemblant les meilleurs experts internationaux le conseillent.
Le BIPM travaille avec ses membres par l’intermédiaire des laboratoires nationaux de métrologie, eux-mêmes chargés d’assurer l’exactitude et la traçabilité des mesures au niveau national. Une partie de l’activité du BIPM consiste à aider à coordonner les recherches effectuées dans les laboratoires nationaux de métrologie, ce qui fait progresser l’exactitude des étalons de mesure, afin de répondre aux besoins de la science, de la société et de l’industrie, ainsi que des autres utilisateurs. De plus, le BIPM aide les laboratoires nationaux de métrologie à démontrer qu’ils détiennent des étalons nationaux de mesure équivalents et cohérents.
Le rôle actuel du BIPM est toujours de rechercher l’uniformité mondiale des mesures : maintenance et diffusion des divers étalons, ainsi que des équipements nécessaires ; organisation d’un forum permanent destiné à la coordination de la métrologie mondiale, par l’intermédiaire des Comités consultatifs, dont les membres sont les laboratoires nationaux de métrologie les plus éminents dans le monde, et d’un certain nombre de Comités communs avec d’autres organismes internationaux ; mise à jour du Système international d’unités ; coopération avec d’autres organismes internationaux.
Le lien entre la métrologie internationale et nationale
Le rôle du BIPM est de rechercher l’uniformité mondiale des mesures
Le BIPM joue un rôle international dans l’établissement d’étalons de référence uniques, mais il a besoin de relais pour prolonger et mettre en oeuvre son action au niveau du terrain : ce sont les laboratoires nationaux de métrologie, au nombre d’une centaine, ainsi que les laboratoires accrédités spécialisés, encore plus nombreux.
Le rôle central des laboratoires nationaux de métrologie est de réaliser les définitions des unités du SI, d’offrir des services d’étalonnage nationaux aux industriels et aux autres clients et d’effectuer des transferts de technologie et de connaissances des meilleures pratiques de mesure. Comme il est toujours important d’anticiper les besoins des industriels, les laboratoires nationaux de métrologie sont aussi des organismes de recherche, et les meilleurs laboratoires sont au premier plan au niveau scientifique et technologique.
Les meilleurs laboratoires sont au premier plan au niveau scientifique et technologique
À l’origine, les laboratoires nationaux de métrologie vérifiaient ou étalonnaient tous les instruments de routine utilisés dans l’industrie dans leur pays. La plus grande attention apportée par les fabricants industriels à la qualité de leurs produits dans les années 1960 et 1970 a entraîné une surcharge de travail de routine pour les laboratoires nationaux de métrologie. Une solution a été trouvée en créant des services nationaux d’étalonnage, c’est-à-dire des réseaux de laboratoires compétents qui ont pris en charge le travail de routine et qui ont libéré des ressources pour les laboratoires nationaux de métrologie. Cette étape a constitué le début des réseaux de laboratoires accrédités, qui jouent maintenant un rôle clé dans l’infrastructure des étalonnages traçables et l’assurance qualité des produits. L’accréditation de ces laboratoires, conformément à des spécifications internationales, relève des organismes d’accréditation nationaux.
La reconnaissance mutuelle des étalons nationaux : le CIPM MRA
Assurer la traçabilité des mesures
La traçabilité des mesures est une préoccupation fondamentale du BIPM et des laboratoires nationaux de métrologie. Les mesures de base sont toujours faites en relation avec un étalon de référence plus exact, pour les besoins des fabricants ou du commerce. Les étalons de référence sont eux-mêmes étalonnés ou mesurés par rapport à un étalon encore plus exact. La chaîne d’étalonnage se poursuit jusqu’au niveau des étalons nationaux. La fonction du laboratoire national de métrologie est de s’assurer que les étalons nationaux sont suffisamment exacts pour répondre aux besoins nationaux. La fonction du BIPM est de s’assurer que les réalisations nationales sont équivalentes et de le démontrer au moyen de comparaisons.
Jusqu’à il y a environ dix ans, les laboratoires nationaux de métrologie effectuaient des comparaisons informelles de leurs étalons avec des motivations scientifiques plus que légales et liées au commerce international. La procédure ne reposait pas sur un document officiel. En 1999, le BIPM, par l’intermédiaire du CIPM, a établi un arrangement de reconnaissance mutuelle (le CIPM MRA) entre les laboratoires nationaux de métrologie, qui implique un examen par les pairs des aptitudes techniques de chaque laboratoire national, ainsi qu’une série de comparaisons robustes, du point de vue technique, entre les étalons nationaux qu’ils maintiennent. Les résultats démontrent la capacité de tous les participants à effectuer des mesures équivalentes et permettent d’émettre des certificats d’étalonnage acceptés, pour la première fois, par tous les signataires. D’où une réduction des obstacles techniques au commerce. Le Comité sur les obstacles techniques au commerce de l’OMC s’intéresse maintenant au CIPM MRA, celuici figurant désormais dans un certain nombre d’accords commerciaux internationaux.
Le CIPM MRA permet aux laboratoires nationaux de métrologie de réduire le nombre de comparaisons bilatérales qu’ils auraient dû entreprendre autrement. KPMG, dans une étude publiée en 2002, a chiffré à environ 85 millions d’euros l’économie directe pour les labo ratoires et que l’impact du CIPM MRA pour réduire les obstacles techniques au commerce est supérieur à 4 milliards d’euros. Quant aux retombées scientifiques, elles sont nombreuses car les laboratoires nationaux profitent des avancées réalisées par leurs homologues.
Une activité en perpétuel changement
Le système établi il y a plus de cent trente ans est toujours valable
Demain, les domaines traditionnels de la physique et de l’ingénierie continueront à poser un certain nombre de défis, et les exigences de l’industrie pour des mesures de plus en plus précises semblent insatiables. Les nanotechnologies commencent à constituer un nouveau domaine de travail en soi sur les étalons de mesure du très petit et du très rapide. Les biosciences constituent un domaine entier de nouveaux défis et changements culturels pour assurer la traçabilité au SI plutôt qu’à des références arbitraires.
Mesure et santé
Certaines législations posent des exigences déraisonnables ou impossibles du point de vue scientifique, comme, par exemple, des produits « 100% exempts d’organismes génétiquement modifiés », ignorant souvent que toutes les mesures sont accompagnées d’une incertitude. Les agences de réglementation préfèrent généralement une approche par oui ou par non (binaire) de l’évaluation de la conformité, ce qui pose des problèmes, par exemple pour vérifier les drogues à effet dopant chez les sportifs.
Le BIPM y répond par des études et des projets, afin de traiter les implications de ces développements au niveau international. Cependant, la demande la plus forte et la plus pressante qui nous est adressée pour les deux prochaines années est de continuer à répondre aux besoins de mesures précises et traçables en chimie, en particulier celles relatives à l’environnement, aux biotechnologies, aux essais de médicaments, à la sécurité alimentaire et à la médecine.
Les bénéfices économiques et sociétaux dans ce domaine sont énormes. Il reste beaucoup à faire et ceux qui furent à l’origine de la Convention du Mètre peuvent vraiment être fiers, car le système qu’ils ont établi il y a plus de cent trente ans est toujours valable.
Siège du Bureau international des poids et mesures © BIPM