Les policiers dans le quartier des Halles à Paris
Agé de 34 ans, le capitaine Joël Terry est, depuis deux ans, responsable de la police de quartier des Halles. Le Forum est dans son champ d’intervention, avec son environnement immédiat, la gare RER où transitent 800 000 voyageurs par jour, le jardin et tous les espaces publics. Le quartier est fréquenté par des populations à problèmes, notamment les SDF et les toxicomanes, mais, au-delà du maintien de l’ordre, la police doit aussi prendre en compte les attentes contradictoires des riverains, qui veulent vivre et disposer des équipements collectifs dans un climat de convivialité, et des commerçants dont l’activité engendre la circulation et entraîne des contraintes pour l’approvisionnement.
J. Terry commence son exposé par les péripéties de sa dernière journée de permanence, » une journée parmi d’autres « . Dès son arrivée à 9 heures, il a dû intervenir sur une manifestation d’étudiants en archéologie qui s’étaient enchaînés au Conseil d’État. Après avoir parlementé avec eux, il a repassé le problème au responsable de la sécurité du Conseil d’État.
Le Forum des Halles à Paris, 1er arrondissement
PHOTO A.T.
À son retour au poste s’est posé le problème d’un agent qui, à la suite d’un divorce, avait des problèmes de garde pour ses enfants.
En début d’après-midi, il a conduit une saisie de matériel vidéo dans un sex-shop, puis une jeune femme l’a abordé pour se plaindre d’un individu qui l’avait plaquée contre un mur et embrassée de force. La jeune femme ayant reconnu l’agresseur dans la foule, » j’ai décliné ma qualité et lui ai demandé pourquoi il s’était comporté de cette façon. » Il a répondu en criant au racisme, ce qui a suscité un attroupement. J. Terry a menotté l’individu qui l’avait insulté et, la foule devenant hostile, il a appelé des renforts. Vingt agents sont arrivés, et il a fallu vingt minutes pour stabiliser la situation. En fin de journée, il a encore été appelé pour l’incendie d’un appartement.
Quand J. Terry a pris son poste, le service était confronté au problème de sa propre sécurité : 65 % des policiers avaient été blessés en activité pendant l’année 2001. La brigade était composée de 80 fonctionnaires avec un seul officier. 90 % des policiers venaient de province, beaucoup sortant juste de l’École de police. Les affaires de drogue étaient nombreuses, mais aussi les infractions routières avec des menaces et des intimidations par des contrevenants importants (donnez-moi votre matricule, vous allez avoir de mes nouvelles), qui étaient fort mal vécues par les agents. Étant îlotiers, ils portaient la tenue traditionnelle des gardiens de la paix, qui leur apparaissait ringarde à côté de celle des CRS1. Les agents ne se sentaient pas respectés ; le public se montrait systématiquement hostile quand on interpellait un délinquant. De plus les jeunes policiers avaient des difficultés à se loger et leurs horaires de travail leur rendaient la vie de famille d’autant plus difficile qu’ils ne pouvaient pas indéfiniment raconter ce qu’ils vivaient tous les jours.
Lors de sa nomination à ce poste, J. Terry avait reçu pour mission de réorganiser les moyens et de remotiver les agents. Il avait obtenu que les effectifs soient portés à 120, avec deux officiers supplémentaires. Aux trois groupes d’îlotage traditionnel avaient été rajoutées deux brigades polyvalentes très mobiles, l’une en VTT, l’autre en rollers. Le tour de présence avait été fixé à quatre jours, suivis de deux jours de repos. Une compagnie de CRS avait été affectée au quartier, pour patrouiller de 13 heures 30 à 20 heures. Les agents avaient été équipés d’un tonfa, qui est un bâton de défense à poignée latérale. Les policiers le portaient à la ceinture à l’arrière. Si la situation se dégradait, ils le faisaient glisser vers l’avant » ce qui est très dissuasif « . Ils avaient aussi été équipés de gants de maintien de l’ordre pour se protéger des toxicomanes qui sont porteurs d’hépatite ou de SIDA.
L’église Saint-Eustache. PHOTO A.T.
Il fallait aussi remotiver, et pour cela il fallait d’abord faire respecter la police. Cela a consisté à entraîner les gardiens à effectuer des interpellations propres, à ne pas réagir aux insultes, à observer les règles de courtoisie, à ne pas tutoyer, sans cesser de rester ferme. La consigne était d’agir comme si on était filmé par la TV de façon permanente. Chaque fois que se produisait un incident, il en faisait le débriefing, en reprenant ce qui s’était passé, en expliquant pourquoi, dans la plupart des cas, il fallait éviter d’agir à chaud et savoir se retirer si une action immédiate n’était pas indispensable.
Quand un habitant du quartier est en cause, il est plus efficace de revenir le lendemain pour régler la question en tête à tête au lieu de laisser advenir un affrontement devant la foule. Le public perçoit le métier des policiers à travers les médias. » Quand nous faisons notre travail dans le respect des règles, ça n’intéresse personne pour une raison simple, c’est que ça n’a rien de spectaculaire, alors que donner un coup de tonfa, ça passe bien au (journal TV de) vingt heures. »
J. Terry met l’accent sur le fonctionnement collectif du service. Les moments de convivialité devant la machine à café permettent de prendre la température. Il faut aussi prendre soin des carrières et de la formation des agents, répondre à ceux qui souhaitent passer de la brigade des îlotiers à celle des VTT ou à celle des rollers.
Le service collabore avec les autres acteurs de la vie du quartier. Les tags créent un sentiment d’insécurité parce qu’ils signifient le marquage d’un territoire. La voirie s’est engagée à les enlever rapidement dès que les îlotiers les ont signalés. Au service des jardins, la police a demandé d’abaisser les haies qui empêchent de surveiller les recoins où on peut se cacher. Le service d’hygiène s’est engagé à collecter les seringues que les jardiniers trouvent dans les massifs. Les contacts sont permanents avec l’organisme qui gère le centre commercial, avec la FNAC et avec les principales activités.
» Aujourd’hui, si j’appelle la directrice du cinéma UGC parce que nous avons reçu une alerte à la bombe et qu’il faut évacuer immédiatement les huit mille spectateurs, je sais qu’elle va accepter tout de suite parce que nous avons établi des relations de confiance. »
Les signataires du contrat local de sécurité, le préfet de police, le procureur, le maire du 1er arrondissement ont reconnu des progrès depuis deux ans. Il reste des groupes de marginaux dans le quartier des Halles. » Ce sont des commerçants illicites, mais des commerçants qui ont besoin, pour exercer leur activité, d’une certaine tranquillité. »
Avec eux s’est posée au début une question de rapports de force. » Il s’agissait d’occuper le terrain, du matin au soir et toute la semaine. Lorsqu’il pleuvait ou lorsqu’il neigeait, à onze heures du soir, dans le jardin, il ne restait plus qu’eux et nous. Aujourd’hui, notre relation avec eux est presque de professionnels à professionnels : ils exercent leur activité de façon relativement discrète, et tant qu’ils ne créent pas de trouble à l’ordre public et respectent les lois de la République, je n’ai pas de raison de les harceler particulièrement. »
Une douzaine de multirécidivistes font l’objet d’une interdiction de site. Si on les trouve, ils sont immédiatement interpellés. » Le nombre d’individus qui posent réellement des problèmes n’est pas aussi important que cela ; si on peut les identifier et les écarter, cela améliore nettement la situation. »
Joël Terry conclut en soulignant que la difficulté est maintenant de pérenniser le système.
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1. Le capitaine Terry est venu faire son exposé en tenue.