Les politiques publiques à l’épreuve des économies politiques locales
La mise en œuvre des politiques environnementales chinoises s’appuie largement sur les autorités locales dont le rôle est essentiel dans un pays aussi vaste. Mais, sur le terrain, concilier impératifs économiques et environnementaux n’est pas chose aisée.
L’État chinois a commencé au début des années 2000 à mettre en place de véritables dispositifs administratifs et juridiques pour protéger l’environnement et les a renforcés en 2013, en combinaison avec le développement de l’industrie des énergies renouvelables. Il est encore tôt pour juger de l’efficacité de cette politique volontariste. Le rôle des gouvernements locaux est un facteur important car ils avaient largement contribué jusqu’alors à aggraver les problèmes environnementaux.
REPÈRES
Grand établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, l’Inalco enseigne et mène des recherches sur les langues d’Europe centrale et orientale, d’Asie, d’Océanie, d’Afrique et des populations d’Amérique, ainsi que sur la géographie, l’histoire, les institutions, la vie politique, économique et sociale des pays concernés.
Planification centralisée et d’autonomie des provinces
À l’époque de Mao, l’appareil productif chinois avait été volontairement fragmenté dans les régions, pour des raisons idéologiques et militaires, pour assurer l’autonomie de chaque région en cas de conflit à grande échelle. Il existait bien un secteur d’État centralisé soumis à une planification de type soviétique mais il ne représentait qu’un tiers de l’économie, à la différence de l’URSS où le secteur d’État en représentait plus des deux tiers. En cela, l’économie chinoise conservait une agilité qui a contribué à son miracle ultérieur.
À partir de 1978, les réformes de Deng Xiaoping ont encouragé les provinces, municipalités et districts à continuer dans le même sens et à développer une base industrielle complète sur chaque territoire, très souvent grâce à des subventions déguisées sous forme de crédits bancaires.
À partir de 1983–1984, pour des raisons d’efficacité, Deng Xiaoping a dédoublé l’appareil de commande de l’économie. Les grandes firmes d’État restaient soumises au système de planification socialiste centralisé, tandis que les PME d’État en étaient retirées pour être soumises à un système fiscal et décisionnel décentralisé au niveau des gouvernements locaux. Ces derniers conservaient une grande partie de ces ressources fiscales, et avaient un pouvoir de nomination des directeurs des agences bancaires régionales. Enfin, les dirigeants locaux du PCC étaient notés sur leurs résultats en matière de développement économique et de lutte contre le chômage, au moment où la croissance démographique était forte. Par la suite quand la démographie globale a fléchi, c’est l’exode rural qui a entretenu la pression démographique au niveau urbain où se trouvaient les centres de production. C’est ainsi que les gouvernements locaux se sont lancés dans une course à la production, qui a permis le miracle économique chinois.
Une situation aggravée par l’autonomie des provinces
Pendant les années 1980 et une bonne partie des années 1990, les entreprises industrielles proliféraient tout en fabriquant des produits identiques. Cela a conduit à une dispersion sur tout le territoire des cimenteries, des aciéries, de la construction automobile, de l’industrie du verre, de celle des télévisions, de celle des réfrigérateurs. Et cela a conduit à de fortes surcapacités de production dans tous ces secteurs. Seuls en étaient exclus les secteurs à monopole d’État réglementé (pétrole, distribution électrique, télécoms, transport aérien et ferroviaire).
À partir du milieu des années 1990, les gouvernements locaux ont dû restructurer le secteur public sous leur contrôle, ce qui a entraîné des licenciements massifs, aussi ont-ils dû compenser en continuant de favoriser la croissance à tout prix, pour assurer la stabilité sociale.
Plus récemment depuis 1999 à 2013, les plans de développement de la construction et des infrastructures ont entretenu la prolifération d’entreprises et les surcapacités.
En 2014, on observait des surcapacités colossales, notamment dans les secteurs de l’acier, du ciment, du verre, de l’aluminium, de l’extraction minière, des centrales électriques au charbon.
Cette caractéristique d’un développement économique entretenant des surcapacités massives sur une longue durée a exacerbé les problèmes environnementaux de la Chine.
“Le secteur d’État centralisé
soumis à une planification de type soviétique
ne représentait qu’un tiers de l’économie”
Une volonté politique en faveur de l’environnement
En 2012, la National Development and Reform Commission (NDRC), la plus puissante des agences de planification chinoises, a publié son premier plan à l’échelle nationale pour le changement climatique, avec de nombreux objectifs pour 2020, notamment ajustement de la structure industrielle, efficacité énergétique, captation de CO2, centrales électriques à charbon ultra-supercritiques (« charbon propre »), mais aussi transparence et participation citoyenne.
En 2013, le gouvernement central lance un « plan d’action de contrôle et de prévention de la pollution de l’air ». Dès 2014, de nombreuses provinces avaient pris des engagements chiffrés de réduction de la pollution de l’air. Quant au gouvernement central, il prenait des mesures de fermeture d’usines polluantes, d’interdiction de véhicules polluants, de désulfuration, dénitrification et dépoussiérage des centrales électriques à charbon.
Les freins des économies régionales demeurent
Le gouvernement central vise donc la réduction des surcapacités, notamment grâce à la fermeture des usines les plus polluantes. Mais les entreprises publiques et privées qui ont proliféré depuis quatre décennies continuent de bénéficier de la protection des autorités locales.
Le vieux proverbe chinois dit : « Le ciel est haut et l’empereur est loin. » Il n’est pas rare que des usines soient fermées au moment d’une inspection du gouvernement central, puis réouvertes une fois l’inspection terminée. Les gouvernements locaux peuvent également « oublier » de répertorier certaines usines.
Le gouvernement central a décidé de reprendre le contrôle du secteur minier et de fermer certains sites. Mais les gouvernements locaux ont fermé les yeux pour un certain nombre de mines qui ont continué leur production malgré une obligation de fermeture, tout simplement en arrêtant de communiquer leurs chiffres au Bureau des statistiques. Ce type d’incertitude sur les PME a obligé à réviser à la hausse les chiffres de consommation de charbon de 3,7 à 4,2 milliards de tonnes en 2014.
Environnement vs stabilité sociale
De fait, il y a une injonction contradictoire du gouvernement central aux gouvernements locaux : d’un côté, respecter l’environnement, mais de l’autre côté, assurer la « stabilité sociale » et la création d’emplois. Par ailleurs, d’importants lobbies industriels cherchent à limiter les fermetures. Dans ce contexte, les gouvernements locaux s’efforcent d’assurer un crédit bancaire facile à leur tissu industriel local. En fin de compte, les campagnes de fermeture d’usines ont des effets limités. Le gouvernement central lui-même joue de temps à autre un rôle contradictoire, comme lors du mini-plan de relance de 2015 pour l’immobilier et les infrastructures.
Pesanteurs administratives
Il y a aussi les freins structurels de l’organisation administrative. Déjà au niveau du gouvernement central, les questions environnementales n’ont accédé au même rang de priorité que l’économie qu’en 2008 avec la création du ministère de la Protection de l’environnement (MPE). Mais les freins étaient plus importants à l’échelle locale où les bureaux de protection de l’environnement étaient hiérarchiquement inférieurs aux autres bureaux municipaux, et ces freins restent encore très présents.
Par ailleurs il est question de l’exemplarité de l’État, car le secteur industriel d’État, bien que contrôlé par le gouvernement central, reste une des principales causes de la pollution.
Enfin, la distribution des compétences en matière d’environnement entre plusieurs ministères au niveau central, et bureaux municipaux au niveau local, complique le traitement des dossiers, comme l’illustre la difficulté de la gestion de l’eau du bassin du fleuve Jaune, impliquant la collaboration de huit provinces.
“Des mouvements de yo-yo,
alternant volonté de progrès écologique et besoin de relance économique”
Concilier économie et protection de l’environnement
Le miracle économique chinois depuis quarante ans a été largement basé sur le développement économique des provinces chinoises. Il s’est réalisé grâce à une politique de « croissance à tout prix », notamment au prix d’énormes surcapacités qui ont amplifié la dégradation de l’environnement. Le gouvernement central a commencé à corriger ces problèmes dès 1990, il a consolidé la protection de l’environnement par les créations du MPE en 2008 et le plan dédié environnement de 2013. Mais la crainte du fléchissement de la croissance et de l’apparition de poches massives de chômage constitue un frein puissant au niveau des gouvernements locaux. Si en 2013, on pouvait constater une vraie volonté de fermer les usines en surcapacité, trois ans plus tard le 19e congrès du PCC a décidé une relance qui a inversé la tendance. Pour l’avenir, on risque d’observer de tels mouvements de yo-yo, alternant volonté de progrès écologique et besoin de relance économique, avec sans doute une tendance à long terme vers le progrès écologique. Pour cela, une réforme de la fiscalité, un changement de grille d’évaluation des dirigeants locaux et la croissance du secteur des services semblent indispensables pour changer la donne.
Références :
The political logic of economic reform in China, Susan Shirk, University of California Press, 1993
« China’s policies and actions for addressing climate change », the National Development and Reform Commission, 2012
« Overcapacity in China : an impediment to the Party’s reform agenda », European Union chamber of commerce in China, Beijing, 2016
La crise environnementale en Chine, Jean-François Huchet, Les Presses de Sciences Po, 2016